- Écrit par Lakome, 10/10/2013
Elles expliquent, arguments à l'appui, que les charges liées
au terrorisme retenues contre Ali Anouzla n'ont aucun fondement dans le
droit international et constituent une grave violation de la liberté
d'expression du journaliste et de son droit d'informer le public. Les 60
ONG internationales demandent aux autorités de mettre fin immédiatement
à sa détention arbitraire.
Le texte qui suit est une lettre signée par plus de 60 organisations,
initiée par l'ONG internationale ARTICLE 19, appelant les autorités
marocaines à libérer Ali Anouzla. Elle fait suite aux déclarations du
porte-parole du gouvernement, Mustapha Khalfi, et à l'inculpation du
journaliste le 24 septembre dernier pour incitation, apologie et aide
matérielle au terrorisme. Ces organisations avaient en effet publié un premier communiqué le 20 septembre pour dénoncer l'arrestation du journaliste.
Maroc : Plus de 60 organisations des droits humains demandent la libération immédiate du journaliste Ali Anouzla
Les organisations de défense de la liberté d'expression et des droits
humains signataires de cette déclaration demandent la libération
immédiate du journaliste Ali Anouzla et l'abandon des accusations contre
lui. Anouzla, directeur de la version arabe du site d'information
Lakome, a été arrêté le 17 septembre 2013 en relation avec un article
publié dans son site.
Les organisations signataires considèrent que l'inculpation d'Ali
Anouzla, le 24 septembre 2013, par le juge d'instruction près de la Cour
d'Appel de Rabat pour «aide matérielle», «apologie du terrorisme» et
«incitation à l'exécution d'actes terroristes» (selon la base de la loi
marocaine anti-terrorisme 03-03 du 28 mai 2003) n'a aucun fondement dans
le droit international, et constitue une grave violation de la liberté
d'expression du journaliste et de son droit d'informer le public. Par
conséquent, les charges contre lui doivent être abandonnées et il doit
être immédiatement libéré.
Après avoir étudié l'article incriminé, (publié le 13 septembre 2013
sur le site Lakome.com et intitulé : Pour la première fois Al Qaeda
attaque le roi Mohamed VI), nous sommes choqués d'apprendre que cet
article a été considéré par le procureur général du roi comme une aide
matérielle apportée au terrorisme, une apologie du terrorisme, et une
incitation à l'exécution d'un acte terroriste. L'article relate
simplement le contenu d'une vidéo d'AQMI qu'il a lui-même qualifié de
«propagande», et a fourni un lien indirect avec celle-ci.
Nous craignons que l'arrestation et les chefs d'accusation contre
Anouzla puissent être interprétés comme une réplique à sa ligne
éditoriale, et en particulier à ses articles très critiques des hautes
personnalités politiques.
Nous rappelons aux autorités marocaines que, selon le Comité des droits de l'homme des Nations Unies :
"Infractions telles que «encourager le terrorisme» et «activité
extrémiste», ainsi que «louant», «glorifiant» ou «justifiant» le
terrorisme devraient être clairement définies de manière à garantir
qu'elles ne résultent pas en interférence injustifiée ou
disproportionnée à la liberté d'expression. Les restrictions excessives à
l'accès à l'information doivent également être évitées. Les médias
jouent un rôle crucial en informant le public sur les actes de
terrorisme, et leur capacité d'action ne devrait pas être indûment
limitée. A cet égard, les journalistes ne doivent pas être pénalisés
pour avoir poursuivi leur travail légitime » (Commentaire
(CCPR/C/GC/34) de l'article 19 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques, normes internationales).
Par ailleurs, dans leur déclaration commune de 2008, le rapporteur de
la liberté d'opinion et d'expression de l'Organisation des Nations
unies et les rapporteurs régionaux de la liberté d'expression et des
médias de l'Organisation de la sécurité et la coopération en Europe, de
l'Organisation des états américains et de la Commission africaine des
droits de l'homme et des peuples ont clairement indiqué que:
«L'apologie du terrorisme ne devrait être pénalisée que si elle
constitue une incitation délibérée au terrorisme, c'est-à-dire un appel
direct à commettre des actes terroristes qui sont directement
responsables de l'accroissement des risques d'actes terroristes, ou de
la participation à des actes terroristes . . . Des notions vagues comme
la fourniture d'une assistance en communication au terrorisme ou à
l'extrémisme, la «glorification» ou la «promotion» du terrorisme ou de
l'extrémisme, et la simple répétition de déclarations faites par des
terroristes, ne constituent pas en soi une incitation ou une collusion
avec le terrorisme. Elles ne doivent pas être pénalisées.»
Les rapporteurs spéciaux ont aussi déclaré que : «Le rôle
primordial des médias dans l'exercice de la liberté d'expression et la
transmission d'informations au public doit être respecté dans les lois
contre le terrorisme et l'extrémisme. Le public a le droit d'être
informé sur la perpétration ou les tentatives de perpétration d'actes
terroristes, et les médias ne doivent pas être sanctionnés pour la
diffusion ou la publication de ces informations.»
Selon le Principe 6 des principes de Johannesburg sur la sécurité
nationale, la liberté d'expression et la liberté d'information,
développés par un groupe d'experts en droit international, sécurité
nationale et droits humains :
«L'expression ne pourra pas être punie comme menaçant la sûreté nationale à moins que le gouvernement ne puisse prouver que:
(a) l'expression est destinée à provoquer la violence de manière imminente;
(b) qu'elle est susceptible de provoquer une telle violence; et
(c) qu'il y a un lien immédiat et direct entre l'expression et les actes de violence ou de potentiels actes de violence.»
Et selon le Principe 8, «L'expression ne peut pas être empêchée
ou punie simplement parce qu'elle transmet une information provenant ou à
propos d'une organisation qu'un gouvernement a déclaré menaçante pour
la sécurité nationale ou pour toute autre raison ayant un lien avec la
sécurité nationale.»
De même, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le terrorisme et
les droits de l'homme a défini la «provocation publique à commettre une
infraction terroriste» en référence à trois éléments:
«D'abord un acte de communication (« la diffusion ou toute autre
mise à disposition, d'un message au 'public ...»). Deuxièmement, il doit
y avoir une intention subjective de la part de la personne à inciter le
terrorisme («... avec l'intention d'inciter à commettre une infraction
terroriste ... si préconise directement ou non les infractions
terroristes ...»). Enfin, il doit y avoir un danger d'autre objectif que
le comportement de la personne va inciter le terrorisme («... lorsqu'un
tel comportement ... crée un danger qu'une ou plusieurs de ces
infractions puissent être commises»).» (Bureau du Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme : droits de l'homme, le terrorisme et contre-terrorisme)
Le Comité des droits de l'homme des Nations unies dans son
commentaire du mois juillet 2011 (CCPR/C/GC/34) de l'article 19 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, a déclaré à
propos de la question du terrorisme et des médias (Para. 46) que :
«Les États parties devraient veiller à ce que les mesures de
lutte contre le terrorisme soient compatibles avec le paragraphe 3. Des
infractions telles que l'«encouragement du terrorisme» , «activités
extrémistes», ainsi que le fait de «louer», «glorifier» ou «justifier»
le terrorisme devraient être définies avec précision de façon à garantir
qu'il n'en résulte pas une interférence injustifiée ou disproportionnée
avec la liberté d 'expression. Les restrictions excessives à l'accès à
l'information doivent aussi être évitées. Les médias jouent un rôle
crucial en informant le public sur les actes de terrorisme, et leur
capacité d'action ne devrait pas être indûment limitée. À cet égard, les
journalistes ne doivent pas être pénalisés pour avoir mené leurs
activités légitimes.»
Le Plan d'action de Rabat relatif à l'interdiction de l'incitation de
la haine nationale, raciale et religieuse, d'octobre 2012, estime,
entre autres, que l'incitation nécessite un seuil élevé parce que «comme
une question de principe fondamental, la limitation de la parole doit
rester une exception». Elle se réfère à un test de seuil élevé qui
devrait être appliqué de façon uniforme par un pouvoir judiciaire
indépendant et comprend un examen du contexte, l'orateur, l'intention de
l'orateur, le contenu de l'expression, l'étendue et l'ampleur de
l'expression et de la probabilité, y compris l'imminence de l'action
préconisée de se produire.
Le Plan d'action de Rabat recommande en outre que : «Les
sanctions pénales liées à des formes illégales d'expression doivent être
considérées comme des mesures de dernier recours et ne doivent être
appliquées que dans des situations strictement justifiées. Des sanctions
civiles et les recours doivent également être pris en compte, y compris
les dommages pécuniaires et non pécuniaires, ainsi que le droit de
rectification et le droit de réponse.» Plus important encore , le
plan de d'action de Rabat estime que des médias indépendants et
pluralistes jouent un rôle vital dans la lutte contre la discrimination
et la promotion de la compréhension interculturelle, et donc recommande
que: «Les États devraient mettre en place une politique publique et
un cadre réglementaire qui favorisent le pluralisme et la diversité des
médias, y compris les nouveaux médias, et qui favorise universalité et
la non-discrimination dans l'accès et l'utilisation des moyens de
communication.»
Concernant le communiqué du Ministre de la Communication et
Porte-parole du gouvernement, du 23 septembre 2013 (mincom.gov.ma),
critiquant la position de plus de 60 organisations en faveur de la
libération d'Anouzla, nous apportons les précisions suivantes:
• Nous condamnons toute violence et tout appel qui incite à la
discrimination, à l'hostilité ou la violence par n'importe quelle
organisation ou personne, y compris l'AQMI. Nous appelons aussi à la
protection des journalistes et des défenseurs des droits humains qui
pourraient être victimes de ces violences.
• Nous rappelons au Ministre de la Communication que l'article
incriminé qualifie la vidéo comme «propagande». Cet article ne peut pas
être considéré comme une incitation à la violence sous les standards
internationaux mentionnés plus haut.
Sur la question de la Déclaration de Vienne du 6 Octobre 2009 dont
plusieurs des organisations internationales, régionales et nationales
signataires sont les auteurs, le Ministre de la Communication nous
accuse dans son communiqué cité plus haut de ne pas l'avoir respectée.
Nous pensons que notre position exprimée dans notre communiqué du 20
septembre 2013 reflète le contenu et l'esprit de la déclaration de
Vienne. Et pour rappel, celle-ci affirme entre autres que «Les
médias doivent être libres dans leur couverture du terrorisme, y compris
les actes et l'idéologie terroristes, tant que cela ne constitue pas
une incitation intentionnelle au terrorisme.» En conséquence, nous
insistons encore sur le fait que la déclaration de Vienne protège
Anouzla contre l'invocation arbitraire de la loi anti-terroriste contre
sa liberté d'expression et son droit d'informer.
Nous, organisations signataires, demandons la libération immédiate du
journaliste Anouzla, l'abandon des accusations contre lui, la remise au
journal Lakome de ses équipements électroniques et la cessation du
harcèlement judiciaire et médiatique contre lui.
Signataires
ARTICLE 19
Africa Freedom of Information Centre
Albanian Media Institute
Arabic Network for Human Rights Information
Association Mondiale des Journaux et des Éditeurs de Médias d'Information
Association of Caribbean Media Workers
Bahrain Center for Human Rights
Canadian Journalists for Free Expression
Cartoonists Rights Network International
Center for Media Freedom and Responsibility
Center for Media Studies & Peace Building
Centre for Independent Journalism - Malaysia
Comité pour la protection des journalistes
Electronic Frontier Foundation
Fondation Maharat
Fondation pour les Médias en Afrique de l'Ouest
Freedom House
Initiative for Freedom of Expression - Turkey
Institut Studi Arus Informasi (Institute for the Studies on Free Flow of Information)
International Press Institute
Journaliste en danger
Media, Entertainment and Arts Alliance
Media Watch
Norwegian PEN
Pakistan Press Foundation
Palestinian Center for Development and Media Freedoms - MADA
PEN American Center
PEN Canada
PEN International
Reporters sans frontières
Union des Journalistes de l'Afrique de l'Ouest
World Press Freedom Committee
Adala (Justice) Association, Morocco
Association de Recherche sur les Transitions Démocratiques (ARTD), Tunisia
Association tunisienne pour la defense des valeurs universitaires (ATDVU)
Centre for Law and Democracy
Centre de recherche sur l'opinion publique, les médias et la gouvernance locale (CRM), Tunisia
Centre de Tunis pour la liberte de la presse
Citizens Assembly, Morocco
Comité pour le respcet des libertés et des droits de l'homme en Tunisie (CRLDHT)
Community Media Solutions
Forum of Moroccan journalists abroad
Forum tunisien pour les droits economiques et sociaux (FTDES)
Free Press Unlimited
Front Line Defenders
Gulf Center for Human Rights (GCHR)
International Media Support (IMS)
Lam Echaml, Tunisia
Media Legal Defence Initiative (MLDI)
National Syndicate of Tunisian Journalists (SNJT)
Nawaat.org
Observatoire des libertés académiques des universitaires tunisiens (OLAUT)
Organisation des libertés d'expression et des médias (HATEM - Morocco)
Regional Center for Training and Development of Civil Society, Sudan
Syndicat des journaux indépendants et partisans (SJIP), Tunisia
Syndicat général de la culture et l'information, Tunisia
Tunisian League to Defend Human Rights (LTDH)
Tunisian Association of Democratic Women (ATFD)
Tunisian Syndicate of Free Radio Stations (STRL)
Union générale tunisienne du travail (UGTT)
Vigilance Association for Democracy and the Civic State, Tunisia
http://fr.lakome.com/index.php/maroc/1467-affaire-ali-anouzla-60-ong-internationales-repondent-au-gouvernement-marocain-et-demandent-la-liberation-immediate-du-journaliste
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