Il était temps. Ali Lmrabet va récupérer son
identité et son droit à exercer le journalisme au Maroc. De fait, après
la déclaration ce mardi 28 juillet du ministre de l'intérieur, Mohamed
Hassad, annonçant officiellement qu'Ali Lmrabet pourra renouveler son
passeport à Barcelone, et qu'il pourra obtenir un certificat de
résidence au Maroc après un séjour de trois mois au Maroc, en
concertation avec son comité de soutien au Maroc, le journaliste a
décidé d'arrêter sa grève de la faim.
Première étape : régulariser sa situation administrative
Ali Lmrabet va donc demander, quand sa santé
le lui permettra, puisqu'il sera hospitalisé aujourd'hui, aux services
consulaires de Barcelone le renouvellement de son passeport, puis après
un temps de récupération, il rentrera au Maroc où il séjournera pendant
trois mois dans son appartement à Tétouan afin de recevoir un certificat
de résidence qui lui permettra de demander un duplicata de sa carte
d'identité nationale, qui lui a été délivrée dans la même ville en 2010.
Il a l'intention par la suite de demander, comme le permettent les lois
en vigueur au Maroc, un récépissé de création d'un hebdomadaire
satirique.
Deuxième étape : lancer un hebdo satirique
Ali Lmrabet a accepté de jouer le jeu. Si à
son tour l'Etat marocain joue le jeu, respecte ses promesses et ses
propres lois et ne tente pas encore une fois de s'acharner sur le
journaliste, le projet d'hebdomadaire satirique marocain d'Ali Lmrabet
avec le caricaturiste Khalid Gueddar et l'humoriste Ahmed Snoussi, «
Bziz », devrait voir le jour dans quelques mois. En attendant, Ali
Lmrabet n'a pas manqué de remercier tous ceux et celles, marocains et
étrangers, qui l'ont accompagné et soutenu dans son pénible combat pour
le droit d'informer.
Ali Lmrabet soutenu par des confrères internationaux
Dans l'édition du Monde de dimanche et lundi
dernier, Elisabeth Badinter, l'écrivain Jonathan Littell, le
journaliste Jean-Marcel Bouguereau, Ricardo Gutierrez, secrétaire
général de la Fédération européenne des journalistes, ont signé une
tribune intitulée “Rabat continue d'exercer la censure“. Ils ont ainsi
indiqué qu'Ali Lmrabet, qui a été distingué en 2014 par Reporters sans
frontières, comme l'un des “100 héros de l'information“ s'était vu
empêcher d'exercer son métier par le Maroc en refusant “de lui délivrer
des papiers d'identité“.
Un journaliste atypique dans l'univers du royaume
Ali Lmrabet est un vrai chasseur de scoop.
Il a été le premier reporter de son pays à interviewer un Premier
ministre israélien, à rencontrer l'opposant politique Abraham Serfaty, à
s'entretenir avec les dirigeants du Front Polisario à Tindouf, en
Algérie. Alors, les autorités l'ont condamné à de la prison pour
“outrage à la personne du roi“, avant de lui interdire en 2005 d'exercer
pendant dix ans le métier de journaliste. Une peine inconnue du code
pénal marocain. Quand l'interdiction s'est achevée en avril 2015, Ali
Lmrabet a décidé de relancer ses journaux, Demain, en français, et
Doumane, en arabe. Et c'est là que cela se (re)complique car un
certificat de résidence, qui lui a bien été délivré, a été retiré dès le
lendemain par des policiers, à Tétouan, son lieu de naissance.
Indispensable certificat de résidence
Problème. Sans le certificat de résidence,
Ali Lmrabet ne peut pas obtenir une licence de travail, et par
conséquent ne peut pas relancer ses publications. Au début de la grève
de la faim, Mohamed Aujjar, ambassadeur du Maroc auprès de l'ONU à
Genève, et ancien ministre délégué aux Doits de l'homme, a évoqué un
simple “malentendu administratif“. Puis, il a assuré qu'en deux ou
trois jours, le consulat du Maroc à Barcelone délivrera des papiers
d'identité à Ali Lmrabet. Ce dernier a effectivement vécu en Espagne
lorsqu'il travaillait pour le quotidien El Mundo, mais il n'y réside
plus. “C'était un mensonge pour m'éloigner de Genève. J'ai contacté le
consulat du Maroc à Barcelone le 9 juillet, il ne m'a jamais répondu“, a
affirmé le journaliste marocain d'une voix faible, soutenu par sa
compagne Laura Feliu. Contactée par Le Point Afrique, la mission du
Maroc auprès des Nations unies à Genève n'a pas répondu à notre demande
d'entretien.
Des soutiens réconfortants mais des silences assourdissants aussi
Venons-en au faisceau de soutiens et de
dérobades lors de ce triste épisode de lutte d'un journaliste pour
exercer son métier. Un journaliste marocain en grève de la faim
accueilli dans un temple protestant ! A priori, cela peut surprendre.
Cela dit, il faut savoir que L'Espace Solidaire Pâquis (Mission urbaine
Tenir la porte ouverte) héberge depuis 2013 un cours de “civislam“,
mêlant théologie musulmane, civisme, histoire, animé par des imams. Une
bonne centaine de jeunes musulmans fréquentent ainsi ce temple de la
Cité de Calvin. “Outre des protestants, des catholiques, des juifs, des
bouddhistes ont apporté leur soutien à Ali Lmrabet. En revanche, ni la
Grande Mosquée de Genève, financée par les Saoudiens, ni le Centre
islamique de Genève des frères Ramadan, n'ont manifesté la moindre
solidarité vis-à-vis du journaliste en grève de la faim depuis plus d'un
mois“, a déploré Ahmed Benani, d'origine marocaine, politologue et
anthropologue à l'université de Lausanne. En attendant, il n'y a plus
qu'à espérer que la régularisation promise par les autorités marocaines
se passe dans les règles de l'art afin que cette grève de la faim ne
soit plus qu'un mauvais souvenir.