Par Ahmed Beseddik, 27/9/2014
Lhaqed, lors de sa sortie de prison en 2012 (photo DR)
A peine dix jours nous séparent du mardi 7 octobre 2014. Le pouvoir
marocain n’aime pas cette date, il la déteste même, comme il déteste
tout miroir qui lui renvoie son image, que des tonnes de cosmétiques
n’arrivent pas à embellir. Il aimerait bien dormir le soir du lundi 6
octobre et se réveiller le matin pour découvrir qu’on est le mercredi 8
octobre et que le mardi 7 octobre a simplement disparu par magie.
En effet, le mardi 7 octobre est la date qu’a choisie le Parlement européen pour sélectionner les trois finalistes du Prix Sakharov 2014 pour la liberté de l’esprit, sachant que le vainqueur sera annoncé jeudi 16 octobre.
Pour un régime qui n’est pas très ami avec la liberté et encore moins celle de l’esprit, son inquiétude trouve du sens.
Le choix des trois finalistes se fera parmi les sept nominés (à titre
individuel ou au sein d’une liste) qui ont été présentés le 23
septembre dernier. On y trouve en particulier le jeune rappeur marocain,
Mouad Belghouat, plus connu sous le nom de Lhaqed,
emprisonné trois fois pour avoir osé exercer son talent et exprimer par
son art les aspirations de sa génération à une vie digne. Il a quitté
la prison il y a quelques jours en attendant un jugement en appel le 13
octobre.
Les autres candidats qui ont été choisis par les groupes
parlementaires européens ont des trajectoires différentes mais se
rejoignent pour défendre la cause des droits de l’Homme.
On y trouve, à titre d’exemple, Mahmoud Al’Asali,
professeur de droit à l’Université de Mossoul, tué en juillet dernier
après avoir défendu le droit des chrétiens, dont le nom est soumis par
le groupe des Conservateurs et réformistes européens, en même temps que Louis Raphael Sako, né en Irak et patriarche de l’Église catholique chaldéenne.
De son côté, le groupe de la Gauche unitaire européenne / Gauche verte a nominé les rappeurs Mouad Belghouate et Ala Yaacoubi (Weld El 15 en Tunisie) ainsi que le blogueur égyptien et activiste politique Alaa Abdel Fattah.
Ala Yaacoubi a été condamné en juin 2013 à deux ans de prison ferme
pour avoir offensé la police dans une chanson, au moment où il était
déjà sous le coup d’une peine de deux mois de prison pour un autre clip
similaire. Il a encore été condamné il y a quelques semaines à quatre
mois de prison.
Par ailleurs, le groupe de l’Alliance progressiste des socialistes et
démocrates (S&D) et le groupe Alliance des démocrates et des
libéraux pour l’Europe a choisi de présenter la candidature de Denis Mulwege, un gynécologue congolais spécialisé dans le traitement des victimes de viol et fondateur de l’hôpital Panzi à Bukavu (Congo).
Le Prix Sakharov pour la liberté de l’esprit, d’une valeur de 50 000
euros, est décerné chaque année par le Parlement européen. Il a été créé
en 1988 pour honorer des personnalités collectives ou individuelles qui
s’efforcent de défendre les droits de l’homme et des libertés
fondamentales.
Malala Yousafzai a remporté le prix l’année dernière pour son combat pour l’éducation des filles au Pakistan.
Le groupe Gauche unitaire européenne / Gauche verte qui a proposé les
rappeurs marocain et tunisien, en plus de l’activiste égyptien, est
très conscient que depuis le déclenchement du Printemps Arabe, l’Union
européenne n’a pas été à la hauteur de ses valeurs de démocratie et de
liberté. Elle a apporté peu de soutien aux jeunes qui battaient le pavé
pour réclamer justice et dignité.
Les gouvernements européens, trop pragmatiques et obsédés par la
phobie aveugle de l’islamisme, ont plutôt penché pour les contre
révolutions et les réformes superficielles.
Dans le cas du Maroc, l’Union européenne n’a exprimé aucune inquiétude à propos de l’affaire du journaliste indépendant Ali Anouzla, accusé de faire l’apologie du terrorisme, alors que les ONG les plus célèbres du monde comme RSF, HRW ou Amnesty International ont exprimé leur solidarité avec lui et leur indignation face à son arrestation abusive et la suspension arbitraire des sites Lakome dont il dirige la version arabophone.
Le choix de Mouad Belghouat est en soi un premier affront pour les autorités et le gouvernement de Rabat.
Si, le 7 octobre prochain, sa liste est sélectionnée parmi les trois
finalistes, l’affront sera encore plus douloureux, et si, le 16 octobre,
il gagne le Prix Shakharov, l’affront se transformera en une belle
gifle.
Elle rappellera l’octroi par l’ONU en 2013 du Prix des droits de l’Homme à Khadija Ryadi, ancienne présidente de l’Association marocaine des droits humains (AMDH) et actuelle secrétaire générale de la jeune association Freedom Now, Comité de protection de la liberté de presse et d’expression au Maroc.
Alors que Freedom Now se débat avec une justice aux ordres pour
arracher la reconnaissance légale de sa constitution, l’AMDH vit depuis
des mois au rythme du harcèlement et de l’interdiction illégale de ses
activités, dont la dernière est une conférence sur les médias et la
démocratie prévue ce samedi 27 septembre.
La veille, le président de l’Union marocaine de la presse électronique, Abdallah Aftat a publié une lettre de démission, en guise de protestation contre les agissements des autorités.
Après avoir rappelé que « les autorités enchainent les attaques à
l’encontre des expressions médiatiques, en particulier au niveau des
médias numériques », et qu’elles « utilisent différents
instruments pour punir tous ceux qui ont choisi une ligne éditoriale qui
dérange le pouvoir: procès, harcèlement, arrestations et suspension »,
il s’indigne contre le projet de Code de la presse liberticide concocté
par le ministère de la communication et interpelle le roi pour qu’il
assume ses responsabilités dans cette mascarade.
Dans ce contexte lourd, un juge, de surcroit président de chambre à la Cour de cassation et surtout vice-président du Club des magistrats du Maroc,
a tenu le 24 septembre une conférence de presse pour dénoncer le
harcèlement dont il est victime de la part de son ministre de la
justice.
Mohamed Anbar n’a pas sa langue sans sa poche. Pour lui, le vrai responsable est l’organe de renseignement (la fameuse DST) dont le directeur Abdellatif Hammouchi
veut continuer à bénéficier de l’impunité, avec la complicité des
autres responsables. Le juge avait osé critiquer la décision du
gouvernement de suspendre les accords de de coopération judiciaire avec
la France suite à la convocation de Hammouchi par le parquet de Paris
dans une affaire de torture présumée de marocains ayant la double
nationalité.
Les relations franco marocaines demeurent timides pour le pas dire froides.
La décoration par le roi Mohamed VI, le 31 juillet
2011, de ce même Hammouchi, dont l’organe est synonyme de répression, a
été perçue comme une humiliation par les jeunes manifestants du
Mouvement du 20 février.
La sortie médiatique audacieuse d’un juge, qui tient lui aussi à sa
liberté d’expression, tout comme Mouad Belghouat, est une première au
Maroc.
Il y a quelques jours, le chef du gouvernement Abdelilah Benkirane
prononçait docilement à l’assemblée générale de l’ONU un discours du
roi du Maroc, dans lequel ce dernier se permettait de donner des leçons à
l’humanité entière à propos du développement durable, et ne cachait pas
sa nervosité contre les multiples indices et classements
internationaux, qui, plus têtus les uns que les autres, se succèdent
pour mettre à nu l’échec de sa gouvernance depuis quinze ans. Que ce
soit en matière de développement humain, de liberté d’expression, de
lutte contre la corruption ou de qualité de l’enseignement, le palmarès
est plutôt pâle.
Heureusement qu’il se trouve encore dans le monde quelques âmes
charitables, pour rappeler qu’il est toujours plus raisonnable de savoir
balayer devant sa porte.
Ahmed Benseddik
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