Par Christophe Guguen, Le Journal Hebdomaire n°415, 7/11/2009
Un conflit social oppose actuellement l’Office Chérifien des Phosphates à huit cent cinquante ouvriers intérimaires de Khouribga, au chômage depuis l’été dernier. Au cœur de ce dossier : l’emploi abusif de salariés contractuels sur les sites de l’OCP.
Ils sont chaudronniers, soudeurs, informaticiens ou encore conducteurs d’engins de chantier. Certains travaillaient depuis plus de sept ans sur le site de production de Khouribga, capitale minière du royaume. Aujourd’hui sans emploi, huit cent cinquante ouvriers intérimaires multiplient les manifestations pour retrouver leurs postes au sein de la plus grande entreprise publique du Maroc : l’Office Chérifien des Phosphates (OCP). Entre ce groupe des «850 de Khouribga» et la direction de l’OCP, il n’y a pas de discussions. «Les protestataires n’ont aucun lien juridique, ni contractuel, ni avec lui ni avec sa filiale SMESI. Les protestataires sont liés en droit à des sociétés d’intérim seules habilitées à les gérer et ne peuvent prétendre à ce titre à leur intégration au sein du Groupe», explique un communiqué de l’OCP publié le 31 août dernier.
Colère et incompréhension.
Les intérimaires, de leur côté, affirment travailler depuis des années directement sous l’autorité de la SMESI, filiale à 100% de l’OCP, qui servait officiellement jusqu’en janvier 2009 «d’intermédiaire» entre les sociétés d’intérim et les différentes entités du groupe OCP. «Ces sociétés d’intérim dont parle la direction de l’OCP, ce ne sont que des guichets bancaires : ils nous payaient notre salaire à la fin du mois, c’est tout. Le recrutement, la formation, les visites médicales, les congés, tout était fait directement au niveau de la SMESI», affirme Hamza Barakat, l’un des huit cent cinquante intérimaires de Khouribga et membre du bureau syndical local (UMT). «Pourquoi est-ce qu’on travaille depuis des années ici, en continu, et qu’on n’a toujours pas le statut de salariés OCP ?», ajoute-t-il, un mélange de colère et d’incompréhension dans la voix. «Avant, les contractuels qui étaient recrutés par la SMESI étaient automatiquement embauchés en CDI au bout de quelques mois et intégrés à l’OCP», explique Ali Fkir, militant de longue date, nommé coordinateur du Comité de solidarité avec les ouvriers de SMESI (CSOS). Les «contrats à durée déterminée» (CDD) n’existaient pas encore et l’OCP, aujourd’hui premier employeur du royaume, embauchait à tour de bras. Depuis, bien des choses ont changé. C’est à partir de 2001, selon la direction de l’OCP, que la SMESI a commencé à travailler avec des sociétés d’intérim. Le nouveau Code du travail, promulgué en 2004, définit les conditions de recours au travail temporaire. En 2005, une note interne de l’OCP diffusée à toutes les filiales du groupe, précise ces conditions : la main d’œuvre «mise à disposition» en régie ne peut être utilisée que pour exécuter «un travail temporaire», soit dans le cadre d’un «accroissement de la charge de travail ou de production», soit pour réaliser «une tâche ponctuelle ou exceptionnelle». Le problème, pour les 850 ouvriers de Khouribga, c’est que leur travail sur le site de production de l’OCP est, dans les faits, tout sauf temporaire. Certains sont même inscrits sur les plannings de congés annuels de la SMESI !
Comment des intérimaires peuvent-ils travailler de manière permanente et à plein-temps sur le même site pendant des années ?
Le système en vigueur à Khouribga jusqu’à l’année dernière était bien rôdé : les responsables du site transmettaient régulièrement à la SMESI des lettres de commande accompagnées de listes indiquant les noms des «intérimaires» requis. La SMESI se tournait alors vers l’une des quatre sociétés d’intérim agréées (Glonet, F.K Services, Good Team Intérim, Crit). Quand l’intérimaire atteignait la durée maximum de son contrat avec l’une d’entre elles, pas de problèmes, «la SMESI pouvait se tourner vers les autres sociétés, qui prenaient le relais, avoue à demi-mot Abdelouahed Aatifi, directeur de Glonet. Grâce à cette rotation sans fin, les «intérimaires» étaient ainsi baladés de société d’intérim en société d’intérim. Sur le papier. Car dans les faits, ils gardaient toujours le même poste au sein de l’Office…
Un document interne de l’OCP, dont Le Journal Hebdomadaire s’est procuré une copie, indique que lesdites sociétés d’intérim facturaient à la SMESI la «mise à disposition» de ces ouvriers temporaires à hauteur de 40% des salaires bruts versés. La SMESI, à son tour, facturait à l’OCP sa «prestation» d’intermédiaire. Pour la seule année 2007, la filiale de l’Office a ainsi engrangé 54 millions de dirhams, alors que seulement 13 salariés SMESI, répartis sur l’ensemble des sites, étaient affectés à temps plein à cette activité. Où est parti cet argent ? La direction de l’OCP, contactée par Le Journal Hebdomadaire, n’a pas répondu à cette question.
Protestataires trop revendicatifs ?
La restructuration de l’Office Chérifien des Phosphates, amorcée ces dernières années, a permis de mettre un peu d’ordre dans le système. Le 1er janvier 2008, un avenant à la convention liant l’OCP à la SMESI entre en vigueur. Il modifie les relations entre l’Office et sa filiale. La régie SMESI est abandonnée et 884 salariés contractuels de la SMESI (dont 272 à Khouribga) sont embauchés en CDI. En juin 2008, le directeur général de l’OCP, Mostafa Terrab, demande officiellement l’intégration au statut OCP de l’ensemble des salariés contractuels de la SMESI. Seuls les 884 ouvriers ayant obtenu un CDI sont embauchés le mois suivant par la maison-mère. Quid des autres intérimaires travaillant en continu sur les différents sites de production ? Là encore, silence de la direction de l’OCP. Fin 2008, Abdelhamid Zryouil, directeur exécutif du groupe en charge du pôle Ressources, Infrastructures et Environnement, annonce à toutes les entités et filiales de l’OCP que la SMESI n’assurera plus la «mise à disposition de personnel intérimaire» à compter de janvier 2009. Les intérimaires de Khouribga, qui disent avoir toujours travaillé avec la SMESI, s’inquiètent pour leur avenir. Depuis le début de l’année, le site de Khouribga fait donc directement appel aux sociétés d’intérim. De nouveaux accords sont signés. En avril 2009, les intérimaires décident de créer un bureau syndical local pour défendre leurs intérêts. Dès lors, selon Hamza Barakat, les membres dudit bureau reçoivent des pressions de la part des responsables du site, qui n’acceptent pas la constitution de ce syndicat. Le ton monte, la situation s’envenime. Les nouveaux contrats à durée déterminée prévoient des salaires à la baisse et la suppression de fait de certains avantages sociaux (arrêts maladie, etc.). Le 1er juillet dernier, l’ensemble des membres du syndicat et certains ouvriers, une centaine d’intérimaires au total, refusent de signer le énième CDD qui leur est proposé. Ils sont immédiatement suspendus par les sociétés d’intérim qui les «emploient». L’OCP leur ferme les portes du site. Le mois suivant, ils organisent un premier sit in à Khouribga. Les autres intérimaires les ont rejoints, ils sont désormais 850 à réclamer leur intégration en bonne et due forme à l’OCP. La mobilisation prend de l’ampleur, mais l’OCP campe sur ses positions. Seul «geste» de la part des sociétés d’intérim : la proposition d’un CDD de trois mois. Privés de salaires depuis cet été, certains n’ont pas eu le choix. Le directeur de Glonet, Abdelouahed Aatifi, annonce ainsi que «150 ouvriers l’ont déjà signé». Un contrat fait sur-mesure pour des «protestataires» un peu trop revendicatifs : il sera résilié sans préavis en cas de grève, sit-in et rassemblement sur les lieux de travail. En le signant, l’ouvrier s’engage également «à ne pas faire de sit-in devant la direction OCP».
La restructuration de l’Office Chérifien des Phosphates, amorcée ces dernières années, a permis de mettre un peu d’ordre dans le système. Le 1er janvier 2008, un avenant à la convention liant l’OCP à la SMESI entre en vigueur. Il modifie les relations entre l’Office et sa filiale. La régie SMESI est abandonnée et 884 salariés contractuels de la SMESI (dont 272 à Khouribga) sont embauchés en CDI. En juin 2008, le directeur général de l’OCP, Mostafa Terrab, demande officiellement l’intégration au statut OCP de l’ensemble des salariés contractuels de la SMESI. Seuls les 884 ouvriers ayant obtenu un CDI sont embauchés le mois suivant par la maison-mère. Quid des autres intérimaires travaillant en continu sur les différents sites de production ? Là encore, silence de la direction de l’OCP. Fin 2008, Abdelhamid Zryouil, directeur exécutif du groupe en charge du pôle Ressources, Infrastructures et Environnement, annonce à toutes les entités et filiales de l’OCP que la SMESI n’assurera plus la «mise à disposition de personnel intérimaire» à compter de janvier 2009. Les intérimaires de Khouribga, qui disent avoir toujours travaillé avec la SMESI, s’inquiètent pour leur avenir. Depuis le début de l’année, le site de Khouribga fait donc directement appel aux sociétés d’intérim. De nouveaux accords sont signés. En avril 2009, les intérimaires décident de créer un bureau syndical local pour défendre leurs intérêts. Dès lors, selon Hamza Barakat, les membres dudit bureau reçoivent des pressions de la part des responsables du site, qui n’acceptent pas la constitution de ce syndicat. Le ton monte, la situation s’envenime. Les nouveaux contrats à durée déterminée prévoient des salaires à la baisse et la suppression de fait de certains avantages sociaux (arrêts maladie, etc.). Le 1er juillet dernier, l’ensemble des membres du syndicat et certains ouvriers, une centaine d’intérimaires au total, refusent de signer le énième CDD qui leur est proposé. Ils sont immédiatement suspendus par les sociétés d’intérim qui les «emploient». L’OCP leur ferme les portes du site. Le mois suivant, ils organisent un premier sit in à Khouribga. Les autres intérimaires les ont rejoints, ils sont désormais 850 à réclamer leur intégration en bonne et due forme à l’OCP. La mobilisation prend de l’ampleur, mais l’OCP campe sur ses positions. Seul «geste» de la part des sociétés d’intérim : la proposition d’un CDD de trois mois. Privés de salaires depuis cet été, certains n’ont pas eu le choix. Le directeur de Glonet, Abdelouahed Aatifi, annonce ainsi que «150 ouvriers l’ont déjà signé». Un contrat fait sur-mesure pour des «protestataires» un peu trop revendicatifs : il sera résilié sans préavis en cas de grève, sit-in et rassemblement sur les lieux de travail. En le signant, l’ouvrier s’engage également «à ne pas faire de sit-in devant la direction OCP».
Solidarité
La mobilisation ne faiblit pas. Depuis le premier sit-in observé en août dernier, les intérimaires multiplient les manifestations à Khouribga, Rabat et Casablanca. Les organisations nationales et internationales qui les soutiennent sont de plus en plus nombreuses. Le 13 septembre dernier, le bureau central de l’AMDH, en coopération avec sa section locale de Khouribga, a organisé une grande «caravane de solidarité». Des militants de toutes les régions du Maroc ont convergé vers Khouribga pour soutenir les intérimaires et leurs familles. Forts de ce succès, les ouvriers ont décidé d’organiser deux jours plus tard un nouveau sit-in dans la ville. Cette fois, les forces de l’ordre ont sévi. Plusieurs manifestants se sont retrouvés à l’hôpital. Quarante et un ouvriers ont été interpellés, conduits au commissariat de la ville pour un interrogatoire «serré» puis finalement relâchés. Quatre d’entre eux sont en liberté provisoire : Hilali Ouassif, Rachid Belouafi, Abderrahman Boukdir et Omar Fakhori comparaitront le 3 novembre prochain devant le tribunal Première instance de Khouribga pour «troubles à l’ordre public». Réunis en assemblée générale lundi 26 octobre, à Khouribga, les intérimaires ont décidé la poursuite du mouvement. Un nouveau sit-in sera organisé le 4 novembre devant le siège de l’OCP, à Casablanca.