Par Zine Cherfaoui, 20/4/2016
zoom
Gianfranco Fattorini. Représentant permanent de l’Association américaine de juristes (AAJ) auprès de l’ONU
La décision du Maroc d’expulser, en mars dernier, les membres de la composante politique de la Mission de l’ONU pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso) risque, selon de nombreux spécialistes du conflit du Sahara occidental, de provoquer une escalade dans la région.
- Le Conseil de sécurité est resté pratiquement aphone face
aux violentes attaques marocaines qui ont ciblé, en mars dernier, Ban
Ki-moon, le secrétaire général de l’ONU. Comment expliquez-vous
l’impunité dont jouit le Maroc au niveau international ?
Le système, mis en place par les vainqueurs de la Deuxième Guerre mondiale, qui régit le fonctionnement de l’ONU, en particulier celui du Conseil de sécurité, explique cet état de fait. La liberté d’expression et la capacité d’action du Conseil de sécurité sont sous le strict contrôle de ses cinq membres permanents. Lorsqu’un Etat tel que le royaume du Maroc ne respecte pas la légalité internationale, s’il jouit de la protection d’un des membres permanents du Conseil de sécurité, ce dernier perd ses attributions fondamentales.
- Pourquoi le Conseil de sécurité de l’ONU n’arrive toujours pas à faire respecter ses propres résolutions se rapportant au conflit du Sahara occidental ?
Le problème fondamental dans la solution du conflit du Sahara occidental tient au processus imposé par le royaume du Maroc grâce au soutien inconditionnel, pour le moment, de la France. Dans ses résolutions, le Conseil de sécurité demande aux parties (le royaume du Maroc et le Front Polisario) de «poursuivre les négociations sans conditions préalables et de bonne foi». Or, chacun sait que le royaume du Maroc n’envisage en aucune manière l’organisation d’un référendum qui donne la possibilité au peuple sahraoui de choisir l’indépendance, ce qui est son droit légitime.
Par ailleurs, les entraves utilisées par le royaume du Maroc à l’encontre du représentant personnel du secrétaire général, du chef de la Minurso, du secrétaire général et finalement à l’organisation matérielle du référendum poussent à se poser légitimement la question de la bonne foi du royaume du Maroc. Après 25 ans d’existence, la Minurso devrait recevoir de la part du Conseil de sécurité les moyens adéquats pour l’organisation du référendum.
- En mars dernier, le gouvernement marocain a expulsé les éléments de la composante politique de la Minurso en réaction à la visite du secrétaire général de l’ONU dans les camps de réfugiés sahraouis. Quel est, selon vous, le but recherché par le Maroc à travers cette décision ?
En réalité, ce sont certains termes employés par le secrétaire général à l’occasion de cette visite qui ont déclenché la violente réaction des autorités marocaines. Parmi ces termes, celui d’occupation. En réalité, le secrétaire général ne faisait là qu’énoncer une vérité juridique que l’Assemblée générale des Nations unies a eu l’occasion de condamner par le passé. Une vérité que le royaume du Maroc, adoptant une attitude autiste, feint d’ignorer.
Les décisions prises par les autorités marocaines le mois dernier font partie d’une tactique à court terme. Acculé par les démarches entreprises par le secrétaire général à quelques semaines de l’adoption de la résolution par le Conseil de sécurité d’une résolution sur le renouvellement du mandat de la Minurso, le royaume du Maroc a choisi de renverser la table de sorte que chacun s’emploiera à essayer de remettre tout en l’état sans même espérer de pouvoir obtenir une quelconque avancée dans la solution du conflit.
- Qu’est-ce qui explique la réaction violente du Maroc à l’égard de l’ONU et de son secrétaire général ? Est-ce là le résultat de la peur d’un effet boule de neige de la décision prise par la Cour européenne de justice (CEJ) d’annuler l’accord agricole et de pêche UE-Maroc ?
La décision de la CEJ n’a fait que rappeler aux instances européennes la vérité que je viens d’évoquer : le territoire non autonome du Sahara occidental se trouve actuellement sous l’occupation du royaume du Maroc. La Commission européenne est tenue de se conformer aux normes du droit international lorsqu’elle signe des accords commerciaux avec une puissance occupante en ce qui concerne le territoire sous occupation.
La décision adoptée par le Parlement européen, quelques jours après la CEJ, dans le cadre de l’adoption de son Rapport annuel sur les droits de l’homme dans le monde et sur la politique de l’UE en la matière par laquelle il demande l’intégration d’une composante «droits de l’homme» dans le mandat de la Minurso, ce dont le royaume du Maroc ne veut pas entendre parler, tient compte également de cette vérité juridique.
En réalité, l’effet boule de neige est déjà en cours : dans plusieurs pays, les chaînes de grande distribution exigent de pouvoir identifier clairement les produits exportés depuis le territoire non-autonome du Sahara occidental ; d’autres ont déjà annoncé qu’ils cesseront de distribuer ces produits ; des fonds d’investissement souverains se désengagent de projets réalisés au Sahara occidental. Ce mouvement est appelé à s’amplifier tant en Europe, qu’aux Etats-Unis.
- Après en avoir accepté le principe en 1991, le Maroc refuse maintenant l’idée de la tenue d’un référendum d’autodétermination au Sahara occidental. Rabat ferme également la porte aux négociations directes avec le Front Polisario. Que cherche le roi Mohammed VI ?
En effet, depuis les années 1960 déjà, le royaume du Maroc a suivi le processus de décolonisation du Sahara occidental avec grande attention dans la perspective de son intégration aux frontières du royaume. C’est pourquoi, entre autres, il accepte de participer au financement de la Minurso, bien que cela puisse paraître abscons qu’une des parties au conflit participe au financement la Mission de maintien de la paix mandatée dans le cadre de ce même conflit.
Dans les faits, Mohammed VI, en reniant l’engagement pris par son père devant la communauté internationale, souhaite que le peuple sahraoui ne puisse pas choisir librement la manière dont il entend exercer son droit inaliénable à l’autodétermination. C’est pourquoi, dès son accession au trône, il a tout mis en œuvre pour saborder le plan de règlement.
- Le Maroc n’est-il pas en train de pousser l’ONU à renoncer à sa mission de décolonisation du Sahara occidental, empêchant ainsi le peuple sahraoui d’exercer son droit à l’autodétermination ? N’est-ce pas là une tentative d’aliénation du caractère juridique du conflit ?
Le royaume du Maroc est surtout en train de pousser la jeunesse sahraouie, notamment celle qui a vu le jour et grandi dans le désert et qui n’a pas de perspectives devant elle, dans un désespoir tel qu’elle pourrait être tentée par un mouvement de révolte aventureux dont les régions du Sahel et du Maghreb n’ont nullement besoin.
Il faut espérer que les puissances qui soutiennent le royaume du Maroc, au premier rang desquelles la France, comprendront l’intérêt pour chacun d’éviter que le cessez-le-feu soit rompu. L’ONU a une responsabilité particulière vis-à-vis du Sahara occidental dans la mesure où il s’agit là du seul territoire non autonome pour lequel la communauté internationale ne reconnaît aucune puissance administrante. Au-delà de la rhétorique marocaine, tous les membres des Nations unies, ainsi que l’ONU ont une obligation de faire respecter le droit international, y compris le droit international humanitaire.
- Les territoires sahraouis occupés illégalement par le Maroc depuis 40 ans sont pour ainsi dire décrétés zone interdite. Des délégations d’avocats et de juristes viennent d’ailleurs d’être refoulées. Quelle est actuellement la situation des droits de l’homme dans les villes sahraouies occupées ?
En effet, au fil des ans, ce sont des centaines d’élus locaux, régionaux, nationaux et internationaux, avocats et juristes, journalistes, défenseurs des droits de l’homme qui ont été arrêtés et refoulés du territoire non autonome du Sahara occidental par les autorités d’occupation marocaines, justement pour que ces personnes ne puissent pas témoigner des violations graves et persistantes dont est victime le peuple sahraoui.
Bien que le royaume du Maroc soit particulièrement actif sur la scène internationale en matière de droits de l’homme, il se comporte comme toute autre puissance occupante dans le monde en adoptant les réflexes répressifs classiques d’une force d’occupation dont ont été également témoins les membres de la mission technique dépêchée par le Haut-Commissaire aux droits de l’homme il y a un an. La manifestation pacifique de milliers de Sahraouis à Gdeim Izik, en 2010, réprimée par la force, n’a probablement été qu’un avant-goût de la révolte qui gronde dans les territoires occupés.
Le système, mis en place par les vainqueurs de la Deuxième Guerre mondiale, qui régit le fonctionnement de l’ONU, en particulier celui du Conseil de sécurité, explique cet état de fait. La liberté d’expression et la capacité d’action du Conseil de sécurité sont sous le strict contrôle de ses cinq membres permanents. Lorsqu’un Etat tel que le royaume du Maroc ne respecte pas la légalité internationale, s’il jouit de la protection d’un des membres permanents du Conseil de sécurité, ce dernier perd ses attributions fondamentales.
- Pourquoi le Conseil de sécurité de l’ONU n’arrive toujours pas à faire respecter ses propres résolutions se rapportant au conflit du Sahara occidental ?
Le problème fondamental dans la solution du conflit du Sahara occidental tient au processus imposé par le royaume du Maroc grâce au soutien inconditionnel, pour le moment, de la France. Dans ses résolutions, le Conseil de sécurité demande aux parties (le royaume du Maroc et le Front Polisario) de «poursuivre les négociations sans conditions préalables et de bonne foi». Or, chacun sait que le royaume du Maroc n’envisage en aucune manière l’organisation d’un référendum qui donne la possibilité au peuple sahraoui de choisir l’indépendance, ce qui est son droit légitime.
Par ailleurs, les entraves utilisées par le royaume du Maroc à l’encontre du représentant personnel du secrétaire général, du chef de la Minurso, du secrétaire général et finalement à l’organisation matérielle du référendum poussent à se poser légitimement la question de la bonne foi du royaume du Maroc. Après 25 ans d’existence, la Minurso devrait recevoir de la part du Conseil de sécurité les moyens adéquats pour l’organisation du référendum.
- En mars dernier, le gouvernement marocain a expulsé les éléments de la composante politique de la Minurso en réaction à la visite du secrétaire général de l’ONU dans les camps de réfugiés sahraouis. Quel est, selon vous, le but recherché par le Maroc à travers cette décision ?
En réalité, ce sont certains termes employés par le secrétaire général à l’occasion de cette visite qui ont déclenché la violente réaction des autorités marocaines. Parmi ces termes, celui d’occupation. En réalité, le secrétaire général ne faisait là qu’énoncer une vérité juridique que l’Assemblée générale des Nations unies a eu l’occasion de condamner par le passé. Une vérité que le royaume du Maroc, adoptant une attitude autiste, feint d’ignorer.
Les décisions prises par les autorités marocaines le mois dernier font partie d’une tactique à court terme. Acculé par les démarches entreprises par le secrétaire général à quelques semaines de l’adoption de la résolution par le Conseil de sécurité d’une résolution sur le renouvellement du mandat de la Minurso, le royaume du Maroc a choisi de renverser la table de sorte que chacun s’emploiera à essayer de remettre tout en l’état sans même espérer de pouvoir obtenir une quelconque avancée dans la solution du conflit.
- Qu’est-ce qui explique la réaction violente du Maroc à l’égard de l’ONU et de son secrétaire général ? Est-ce là le résultat de la peur d’un effet boule de neige de la décision prise par la Cour européenne de justice (CEJ) d’annuler l’accord agricole et de pêche UE-Maroc ?
La décision de la CEJ n’a fait que rappeler aux instances européennes la vérité que je viens d’évoquer : le territoire non autonome du Sahara occidental se trouve actuellement sous l’occupation du royaume du Maroc. La Commission européenne est tenue de se conformer aux normes du droit international lorsqu’elle signe des accords commerciaux avec une puissance occupante en ce qui concerne le territoire sous occupation.
La décision adoptée par le Parlement européen, quelques jours après la CEJ, dans le cadre de l’adoption de son Rapport annuel sur les droits de l’homme dans le monde et sur la politique de l’UE en la matière par laquelle il demande l’intégration d’une composante «droits de l’homme» dans le mandat de la Minurso, ce dont le royaume du Maroc ne veut pas entendre parler, tient compte également de cette vérité juridique.
En réalité, l’effet boule de neige est déjà en cours : dans plusieurs pays, les chaînes de grande distribution exigent de pouvoir identifier clairement les produits exportés depuis le territoire non-autonome du Sahara occidental ; d’autres ont déjà annoncé qu’ils cesseront de distribuer ces produits ; des fonds d’investissement souverains se désengagent de projets réalisés au Sahara occidental. Ce mouvement est appelé à s’amplifier tant en Europe, qu’aux Etats-Unis.
- Après en avoir accepté le principe en 1991, le Maroc refuse maintenant l’idée de la tenue d’un référendum d’autodétermination au Sahara occidental. Rabat ferme également la porte aux négociations directes avec le Front Polisario. Que cherche le roi Mohammed VI ?
En effet, depuis les années 1960 déjà, le royaume du Maroc a suivi le processus de décolonisation du Sahara occidental avec grande attention dans la perspective de son intégration aux frontières du royaume. C’est pourquoi, entre autres, il accepte de participer au financement de la Minurso, bien que cela puisse paraître abscons qu’une des parties au conflit participe au financement la Mission de maintien de la paix mandatée dans le cadre de ce même conflit.
Dans les faits, Mohammed VI, en reniant l’engagement pris par son père devant la communauté internationale, souhaite que le peuple sahraoui ne puisse pas choisir librement la manière dont il entend exercer son droit inaliénable à l’autodétermination. C’est pourquoi, dès son accession au trône, il a tout mis en œuvre pour saborder le plan de règlement.
- Le Maroc n’est-il pas en train de pousser l’ONU à renoncer à sa mission de décolonisation du Sahara occidental, empêchant ainsi le peuple sahraoui d’exercer son droit à l’autodétermination ? N’est-ce pas là une tentative d’aliénation du caractère juridique du conflit ?
Le royaume du Maroc est surtout en train de pousser la jeunesse sahraouie, notamment celle qui a vu le jour et grandi dans le désert et qui n’a pas de perspectives devant elle, dans un désespoir tel qu’elle pourrait être tentée par un mouvement de révolte aventureux dont les régions du Sahel et du Maghreb n’ont nullement besoin.
Il faut espérer que les puissances qui soutiennent le royaume du Maroc, au premier rang desquelles la France, comprendront l’intérêt pour chacun d’éviter que le cessez-le-feu soit rompu. L’ONU a une responsabilité particulière vis-à-vis du Sahara occidental dans la mesure où il s’agit là du seul territoire non autonome pour lequel la communauté internationale ne reconnaît aucune puissance administrante. Au-delà de la rhétorique marocaine, tous les membres des Nations unies, ainsi que l’ONU ont une obligation de faire respecter le droit international, y compris le droit international humanitaire.
- Les territoires sahraouis occupés illégalement par le Maroc depuis 40 ans sont pour ainsi dire décrétés zone interdite. Des délégations d’avocats et de juristes viennent d’ailleurs d’être refoulées. Quelle est actuellement la situation des droits de l’homme dans les villes sahraouies occupées ?
En effet, au fil des ans, ce sont des centaines d’élus locaux, régionaux, nationaux et internationaux, avocats et juristes, journalistes, défenseurs des droits de l’homme qui ont été arrêtés et refoulés du territoire non autonome du Sahara occidental par les autorités d’occupation marocaines, justement pour que ces personnes ne puissent pas témoigner des violations graves et persistantes dont est victime le peuple sahraoui.
Bien que le royaume du Maroc soit particulièrement actif sur la scène internationale en matière de droits de l’homme, il se comporte comme toute autre puissance occupante dans le monde en adoptant les réflexes répressifs classiques d’une force d’occupation dont ont été également témoins les membres de la mission technique dépêchée par le Haut-Commissaire aux droits de l’homme il y a un an. La manifestation pacifique de milliers de Sahraouis à Gdeim Izik, en 2010, réprimée par la force, n’a probablement été qu’un avant-goût de la révolte qui gronde dans les territoires occupés.