- Écrit par Salah Elayoubi, 30/3/2013
Une porte de prison s'est ouverte, ce vendredi 29 mars 2013, à zéro heure et dix minutes, sur deux hommes.
L'un est un chanteur de rap contestataire, Mouad Belghouat, l'autre,
un poète surdoué, Younes Belkhdim. Ils ont exécuté la totalité de leur
peine. Un an pour le premier, huit mois pour le second. Jour pour jour,
heure pour heure.
Pour un pays qui se targue de grandir les âmes, rien n'est plus
paradoxal et hideux que d'y voir régner cette insoutenable injustice qui
ne fait grâce de rien à ceux qui apportent la contradiction au régime.
Ni d'une journée de prison, ni d'un casier judiciaire, qu'on aura pris
soin de charger jusqu'à la gueule, d'infamie, histoire de salir et de
nier l'existence de prisonniers politiques, pendant que les délinquants
et les criminels, se pavanent dans les palaces et roulent carrosse.
Hier encore, on accordait à Khalid Alioua, auteur présumé de
détournements de fonds et dilapidation des deniers publics, la liberté
provisoire que l'on avait systématiquement refusée aux deux artistes.
Hier encore, Yasmina Baddou et son époux Ali Fassi-Fihri, dont un
faisceau concordant d'indices laisse supposer qu'ils auraient fait
l'acquisition de deux appartements luxueux à paris, en totale infraction
à la législation des changes, avec, de surcroît des fonds aux origines
pour le moins douteuses, sinon délictueuses, se sont vus proposer un
arrangement à minima, par l'Office des changes, au lieu de venir
s'expliquer devant un juge.
Mais au-delà de ce constat d'injustice criarde, quelle magnifique
allégorie et quelle belle revanche que deux poètes, autodidactes,
incarnent ainsi, un militantisme déterminé, contre un régime qui a
prémédité la destruction de l'éducation nationale, pour mieux ourdir un
analphabétisme de masse.
Toutes les dictatures ont cédé à cet irrépressible besoin génétique,
de s'en prendre aux artistes, ces penseurs qui, depuis des temps
immémoriaux les ont tournés en dérision, et dénoncé leurs travers et
leurs vicissitudes. Il en va de la tyrannie du Makhzen comme de toutes
les autres tyrannies. Elles vivent, prospèrent et meurent de leurs
ignominies avant d'être balayées par l'histoire, tandis que ceux
qu'elles ont agonis de leurs crimes, continuent, longtemps après leur
disparition, à façonner la pensée de leurs semblables et en inspirer la
lutte. Et tant pis pour la dictature marocaine, si son acharnement
proverbial fit un jour, rentrer dans l'Histoire deux poètes de la trempe
de Mouad et Younès.
L'histoire retiendra de cette journée de vendredi, que le Makhzen
n'aura pas dérogé à la règle d'or qu'il s'est fixé de ne jamais officier
que dans l'ombre. C'est même à cela qu'on reconnaît sa « patte », cette
empreinte ignoble ! On connaissait sa préférence pour les procès
fabriqués, les verdicts subreptices, les enlèvements nocturnes, la
torture dans de sombres culs de basse-fosse et les meurtres souterrains.
Le tout, administré par des gangsters encagoulés, afin que jamais leurs
victimes ne puissent un jour, les désigner à la vindicte de la justice,
des fois que celle-ci renouerait avec son impartialité et son honneur
perdu. Voilà qu'à présent, « ils » se mettent à libérer nuitamment les
militants. En catimini, en loucedé ! Après ça, il s'en trouvera
toujours un, parmi les représentants du ministère public, du
gouvernement ou des Droits de l'homme, pour venir nous expliquer, toute
honte bue, qu'une journée s'achevant à minuit, les deux artistes ont
vu leur peine s'éteindre à cette heure-là, d'où cette libération aux
premières heures du jour.
L'histoire retiendra également que le premier fait d'arme notable de
Benkirane et sans doute le plus marquant de son misérable mandat aura
été de se faire la main sur les militants du Vingt février et les
indigné de « Tanger à Lagouira », selon l'expression consacrée, alors
même qu'il déclarait, en pleine campagne électorale, comprendre que l'on
puisse exprimer son indignation face à l'injustice.
Si les démocrates se réjouissent de la libération des deux militants,
il n'en demeure pas moins, que, comme l'a si bien souligné Mouad, dans
sa conférence de presse, subir une année de prison n'est pas anodin.
Alors, vous, les frères que j'aurais tant voulu avoir, si vous
décidiez de vous taire, pour un moment, fût-il long, je le comprendrais,
parce que tant des nôtres se sont tus, lorsqu'on vous traînait
menottés, dans la saleté répugnante, d'un cachot à l'autre, sous la
menace, les insultes et les coups.
Et si vous choisissiez de ne plus jamais nous entendre, je
respecterais également cette volonté, parce que tant des nôtres ont fait
semblant de ne rien entendre des cris de vos souffrances, dans les
geôles de Pharaon.
Enfin, même si vos harangues sur la place publique ou sur la toile
nous manqueront, longtemps, après que vous vous soyez tus, vos poèmes et
vos chansons continueront de courir encore dans les rues et hanter les
tyrans.