Les
imposteurs ne dissertent jamais que sur l’inutile et le superfétatoire. Ça ne
mange pas de pain, ça noie le poisson et ça donne un minimum de
contenance. C’est dans cette position délicate, que s’est retrouvé
Driss El Yazami, lors de cette mémorable joute
Oratoire du 18 août 2011, au gymnase Fleury de
Clermont-Ferrand, et qui l’a opposé à
Zineb El Rhazoui, membre du mouvement du 20 février et
co-fondatrice du Mouvement MALI.
Son
analyse de la révolution arabe, nous a valu, en vrac, le Baby-boom arabe
corollaire du chômage, la visibilité des femmes, le naufrage du système
éducatif arabe, l’émergence de l’individu comme acteur et la prégnance de
l’Etat-Nation. Après son soporifique état des lieux, dans une diction à la
limite du supportable et loin de se décourager, face au silence réprobateur de
la salle, il a tenté d’ expliquer à une assistance médusée, les raisons qui
l’auraient, lui, le réformateur, poussé à s’investir dans le printemps
marocain dont pour un peu, notre homme en revendiquerait la paternité !
Selon
lui, ce sont les particularités du Maroc qui l’auraient séduit:
-
Une monarchie vieille de plus de quatorze siècles, installée sur des frontières
inchangées et qui a échappé à l’occupation ottomane,
-
Une diversité et un pluralisme ethno-culturels, malgré un Etat central
fort.
-
Une réforme du pouvoir, entamée bien avant le printemps arabe.
-
L’adoption du code de la famille en 2004.
- La constitution de l’instance équité et réconciliation, destinée à éviter la
répétition des violations des droits de l’homme.
- La mise en place de l’Instance de lutte contre la corruption
-
Le conseil de la concurrence.
-
Le mouvement du 20 février accélérateur essentiel du processus de réforme
-
La mise en place de la nouvelle constitution.
En
paraphrasant de la sorte, le discours officiel, Driss El Yazami a-t-il seulement
conscience qu’il en devient de facto, le thuriféraire, perdant du même coup,
toute légitimité du réformateur, qu’il prétend être ? Sait-il seulement qu’en
épousant, jusqu’à l’absurde, les thèses du régime, autant que l’argumentaire
de ses campagnes de marketing, il passe de la posture du défenseur des droits
de l’homme, à celle du suppôt inconditionnel d’une monarchie, qui n’a de
positif, à son bilan, que le portefeuille que la famille royale et ses
complices se sont constitués, en un demi-siècle de prédation, de confiscation et
de crimes en tous genres. Comme le serpent qui vient de gober l’œuf et se trouve
emprunté, au moment où il doit en restituer la coquille, il sait, sans doute,
qu’un retour en arrière, lui est désormais interdit et que la seule attitude
qu’il lui reste à adopter, est la fuite en avant. Collaborer avec les ennemis de
la démocratie, n’a, en effet, jamais mené leurs auteurs, ailleurs, que sur les
chemins de la compromission et de la perdition ?
Quand
Zineb prend la parole, elle trépigne et ronge son frein, déjà depuis plusieurs
minutes. Sa réplique est cinglante. Elle fulmine et culmine sa colère. Elle
livre une toute autre version du Maroc. Celle que le régime tait à la communauté
internationale. En se présentant, elle évoque le chômage où l’a plongée la
fermeture ourdie de son journal, raconte la condamnation ubuesque de
Ali Amar, pour le vol d’un ordinateur lui appartenant
et sa propre inculpation pour prostitution. On l’aura compris, un règlement de
comptes du régime envers le premier, pour publication de son livre sur le roi du
Maroc et envers la seconde, pour sa nuque de révolutionnaire, un peu trop raide,
au goût des partisans de l’absolutisme. Elle détaille tout et n’épargne rien des
crimes de la monarchie, jusqu’aux plus sordides, quand elle évoque
Mohamed Binyam, ce britannique d’origine musulmane,
dont le pénis a été tailladé par ses bourreaux, dans le bagne secret de la
Direction de la Surveillance du Territoire
(DST) à Témara, dont le
régime persiste à nier jusqu’à l’existence.
Driss
El yazami est détruit. Il se tasse un peu plus sur sa chaise, s’arrondit
littéralement, s’effondre et se répand sur la table, sans laquelle il chuterait
de son siège. Au bord de l’asphyxie, Il cherche un bol d’oxygène qui pourrait
venir de ses compagnons d’estrade, les questionne du regard, y quémande des
réponses qui ne viennent pas, cherche du secours auprès du public, mais celui-ci
gronde de réprobation.
La
sincérité de Zineb est sans faille. Elle est perceptible dans cette colère du
juste devant l’injustice. Tout son être n’est plus qu’indignation. Telle
Marianne sur la barricade, elle sait qu’elle parle pour l’histoire. Elle
poursuit sa charge ulcérée de voir, dit-elle, s’exprimer, dans une tribune
consacrée au printemps arabe, un conseiller du roi qui a escamoté le véritable
débat par des généralités. On le serait à moins ! La salle applaudit à tout
rompre !
El
yazami est au bord du malaise. On l’entendrait presque gémir et en appeler à sa
mère, à son dieu, ou à ses saints. Il murmure, se lamente, soliloque, regrette
d’être venu se jeter dans cette gueule de loup béante qui le mastique, le
déchiquette et le déchire. Il se prend le visage d’une main, boit une gorgée
d’eau, triture le micro, se cure le nez du pouce et de l’index et envoie
valdinguer ses boulettes de crotte sur l’estrade, sans se rendre compte que tous
les regards de la salle, sont braqués sur lui. Il jette un regard à sa voisine,
ricane péniblement et tente pitoyablement de la rassurer, en lui promettant de
répondre à cette interpellation. Son teint bileux, son visage exsangue et sa
bouche sèche, reflètent son profond désarroi.
Zineb
poursuit de plus belle et pointe son aide-mémoire en guise d’index accusateur,
en évoquant les treize immolations par le feu, les tabassages des manifestants
pacifiques et la mort de Kamal Ammari. Sur la
« Moudawana » qui continue de nier aux femmes leurs
droits les plus élémentaires, elle a cette formule qui fait chavirer
l’assistance de bonheur :
-
« j’hérite la moitié de ce que vous héritez, vous, en tant qu’homme
alors que je paie mon café au même prix !»
Sur
l’Instance Equité et Réconciliation
(IER), elle parle des recommandations
jamais suivies d’effet. Sur l’Instance de Lutte contre la
Corruption, elle rappelle qu’elle n’aura épargné ni à
Transparency, l’interdiction de remettre son prix au
Maroc, ni à Chakib El Khyari une condamnation de trois
ans d’emprisonnement, pour avoir précisément dénoncé la corruption. A chaque
salve de la militante, répond un tonnerre d’applaudissements et
d’encouragements, pouces ou poings levés !
Le
roi, septième tête couronnée la plus riche du monde et soixante pour cent de la
capitalisation marocaine, n’échappe pas à sa vindicte lorsqu’elle raconte l’
implication de ce dernier dans toutes les niches économiques : téléphonie,
agro-alimentaire, assurances, immobilier, hôtellerie…….. Quelle différence entre
Mohamed VI et Ben Ali ?
A-t-on reçu un conseiller de Ben Ali pour parler de révolution ?
Sermonne-t-elle ?
Elle
rappelle enfin, ce simulacre de constitution, qui consacre l’Islam, religion
d’Etat et qui a été concocté dans les arcanes du palais, en trois mois, par dix
huit personnes, dénuées de toute légitimité, et non par une constituante, comme
le demandait le peuple marocain qui n’a eu que dix jours pour se prononcer sur
cette constitution votée à 99%, score digne de la Corée du Nord
El
yazami est sonné par un tel déluge. Il sait qu’il a perdu et la partie et la
face. Pour lui adoucir un tant soit peu, la défaite, sa voisine lui accorde un
droit de réponse, mais le cœur n’y est plus, même quand il proteste mollement,
et tente lamentablement d’infantiliser ses semblables révoltés: « Lisez cette
constitution ». Plus tard il s’essaiera à la formule avec son « vous n’avez pas
la prétention de parler au nom de tous les marocains ! ». Piètre argument.
Ce
n’est pas cette nuit-là qu’il dormira du sommeil du juste, ni qu’il savourera
son passage, dans cette salle, où le baratin n’aura pas suffi.
Ce
débat appartient, désormais, à l’histoire et rien ne vaut ces moments superbes
que celle-ci nous offre, lorsque se croisent deux destins. Celui du démocrate,
vent debout, en route vers la liberté, et celui des imposteurs, lorsque le
ressac les emporte, vers les abysses insondables de l’infamie.
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Zineb El Rhazaoui lynche Driss El Yazami