- Les relations entre le Maroc et les Nations unies se sont
considérablement détériorées depuis la visite, en mars, de Ban Ki-moon
dans les camps de réfugiés sahraouis. Vous attendiez-vous à une telle
situation ?
J’ai été surpris de voir le secrétaire général de l’ONU afficher
ouvertement une pareille hostilité à l’égard du Maroc. La source de
cette hostilité est bien connue. Durant des années, le Maroc a refusé de
travailler avec son envoyé personnel pour le Sahara occidental,
l’ambassadeur Christopher Ross. Dans le passé, le secrétariat a montré
certains signes de frustration, mais cela est resté discret et gardé
sous silence.
Quand le Maroc a décidé de bloquer la visite de Ban Ki-moon dans les
territoires (cela inclut aussi le refus d’accorder à son avion
l’autorisation d’atterrir à El Ayoun), ce fut la goutte de trop… le coup
final. En affichant sa frustration publiquement, le secrétaire général
de l’ONU a créé un précédent. De Waldheim à Annan, les secrétaires
généraux de l’ONU ont généralement été plus favorables au Maroc qu’au
Front Polisario.
- Que pensez-vous des raisons invoquées par le Maroc pour
essayer de disqualifier Ban Ki-moon et l’approche de l’ONU du conflit ?
Les Marocains n’aiment pas entendre la vérité à propos du Sahara
occidental. La vérité est que le Sahara occidental est le dernier
territoire non autonome d’Afrique. De plus : selon les documents de
l’ONU, l’Espagne est officiellement la puissance administrante. Donc, si
l’Espagne est la puissance administrante et que le Sahara occidental
est non autonome, alors quel est le statut légal du Maroc dans ce
territoire ? Cela ne peut être autre chose qu’une occupation.
Ban Ki-moon a dit la vérité quand il a défini la situation comme une
occupation. L’Assemblée générale de l’ONU a aussi qualifié la situation
d’occupation. L’avis légal émis en 2002 par les Nations unies sur la
question est aussi clair. En fait, quand Ban Ki-moon a qualifié le
Sahara occidental de «territoire occupé», il a parlé simplement d’un
fait reconnu comme tel par la loi internationale.
- Comment décryptez-vous la décision du Maroc d’expulser
les membres de la composante politique de la Minurso ? Quel message le
roi Mohammed VI a-t-il voulu délivrer ?
Le Maroc a toujours eu une relation inconfortable avec la Minurso. Tout
d’abord, le nom de la mission onusienne reconnaît que sa vocation est
d’organiser un référendum d’autodétermination. Le cessez-le-feu n’était
pas le but principal de cette mission. Il ne s’agissait là que d’une
étape dans le processus devant mener à l’organisation d’un référendum
sur l’indépendance.
Le Maroc s’en est quand même accommodé. Le cessez-le-feu et les
observateurs militaires onusiens le long de la berme sont devenus très
utiles pour Rabat. Le Maroc sait que beaucoup de Sahraouis veulent que
le Polisario reprenne la guerre. Rabat utilise donc les forces de
maintien de la paix de la Minurso pour garder un œil sur le Polisario et
dissuader les Sahraouis de se lancer dans une nouvelle lutte armée.
Cependant, l’administration civile de la Minurso est un problème pour
le Maroc vu la pression internationale grandissante en faveur de la
surveillance des droits de l’homme dans les territoires occupés, surtout
que la demande est soutenue par les gouvernements américain et
britannique.
Si la Minurso est mandatée pour surveiller les droits de l’homme, ce
sera forcément ses administrateurs civils qui se chargeront d’accomplir
la mission. A certains égards, la Minurso a déjà surveillé les droits de
l’homme de façon informelle. Le Maroc a donc fait une action préventive
destinée à empêcher la Minurso de surveiller les droits de l’homme.
- Le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union
africaine (UA) vient de se dire «inquiet» au sujet de la situation dans
la région. Pour l’UA, la décision du Maroc d’expulser les membres de la
composante politique de la Minurso «menace la sécurité régionale».
Partagez-vous la même inquiétude ? Pensez-vous que la situation pourrait
un jour dégénérer si rien n’est fait pour résoudre ce vieux conflit ?
Je partage les préoccupations de l’UA. Les tensions ne cessent
d’augmenter au Sahara occidental. Néanmoins, il est peu probable que le
Front Polisario se lance, dans un avenir proche, dans une guerre et cela
par respect pour l’Algérie qui se débat avec la question de
l’«après-Bouteflika». Le Maroc, quant à lui, attend tout simplement
l’élection d’un nouveau président aux Etats-Unis. Il espère une deuxième
Administration Clinton qui signifiera probablement le soutien total des
Etats-Unis pour «l’autonomie».
Mais si le Maroc et le Conseil de sécurité des Nations unies continuent
à fermer toutes les issues qui conduisent concrètement vers un
référendum, il est difficile d’imaginer qu’il n’y aura pas de
manifestations du conflit. Cela sous une forme ou une autre. Après, AQMI
et Daech pourraient tirer profit d’une telle situation, comme ils l’ont
déjà fait au Mali.
- Pourquoi le Conseil de sécurité n’a pas condamné
l’attitude agressive du Maroc envers le secrétaire général de l’ONU,
comme cela a été demandé par Ban Ki-moon lui-même ? Comment le Maroc
peut-il se permettre de défier ainsi la communauté internationale ?
La réponse est simple : c’est la France. Le gouvernement français a
toujours soutenu le Maroc au sein du Conseil de sécurité de l’ONU. La
France est au Maroc ce que les Etats-Unis sont à Israël. Quand il y
avait un consensus total sur le plan Baker en 2003 — qui aurait pu
résoudre ce conflit en 2010 —, la France avait sonné la charge et s’y
était opposée. Depuis lors, le Maroc ne cesse de se sentir conforté et
renforcé dans son attitude. Ban Ki-moon est également sur le point de
terminer son mandat. En France et aux Etats-Unis, le Maroc est plus
important qu’un secrétaire général sortant.
- Qu’est-ce qui empêche concrètement le règlement du
conflit du Sahara occidental, conformément aux résolutions pertinentes
des Nations unies ?
Les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU appellent actuellement
une solution politique négociée qui permettra un référendum
d’autodétermination au Sahara occidental. Le Polisario est prêt à
discuter de l’autonomie dans le contexte d’une solution politique qui
équivaudrait au final au vote d’un statut définitif. Cependant, le Maroc
estime que sa proposition d’autonomie avancée en 2007 est la solution
optimale, même si elle ne prévoit pas de référendum d’autodétermination.
C’est le Maroc qui a généré l’impasse. Mais le Conseil de sécurité ne
veut pas mettre de pression sur le Maroc. Et cela, même pas au plan du
discours. Comme nous l’avons vu durant les derniers événements, le Maroc
est prêt à tout pour parvenir à ses fins, y compris exploiter comme il
l’a fait un événement sans conséquence (visite de Ban Ki-moon) ou créer
une crise régionale.
- A votre avis, que devons-nous attendre de la prochaine réunion du Conseil de sécurité sur le conflit du Sahara occidental ?
Le rapport du secrétaire général de l’ONU a été retardé. Il semble donc
qu’il y ait actuellement des tractations et un intense travail de
coulisses. Il n’en sortira probablement pas grand-chose. La dernière
fois que nous avons assisté à une levée de boucliers du Maroc concernant
la surveillance des droits de l’homme dans les territoires sahraouis
occupés, le Conseil de sécurité de l’ONU avait fini par trouver le moyen
de le calmer. Un processus similaire est probablement en cours.
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