Par Salah Elayoubi, demainonline, 29/12/2012
Opinion. Aucun train n’ira jamais jusqu’à Figuig. Ni
le mythique et si controversé TGV, ni le «Lucky Luke», baptisé ainsi
par le petit peuple, pour sa grande ressemblance, avec celui de la bande
dessinée du même nom.
Trop loin du «Maroc utile». Trop cher !
A moins que, par miracle, un gisement ne soit découvert et que par le
pactole alléché, on ne voie accourir, à la vitesse du vent, une faune
venue faire main basse sur le filon, comme ce fut le cas lorsqu’un
crieur mal avisé, avait claironné que les sous-sols de Talsint
regorgeaient de pétrole.
D’ici là, la palmeraie continuera d’agoniser au soleil et la province
de mourir de sa belle mort. D’ailleurs, la population ne l’a-t-elle pas
déjà portée en terre, lors de funérailles symboliques, le 23 décembre
dernier ?
Une manifestation monstre qui a erré à travers la ville*, s’arrêtant
devant chacune des administrations, pour en huer les responsables et
conspuer l’incurie des uns ou l’absentéisme des autres.
Comme
à chaque fois que des évènements secouent une région ou une ville, les
organes d’information officiels, se fendent d’articles ou de
documentaires aux antipodes des préoccupations du citoyen ou de ses
revendications, histoire de noyer le poisson. La première chaîne n’aura
pas dérogé à la règle, avec ce film à la limite du ridicule, dépeignant
le « Souk Dlil » ou le « Souk Enssa », le souk des femmes. Un
non évènement, aux allures de provocation, en ces temps de colère.
Indigence et sinistrose assurées.
De fantomatiques silhouettes, drapées de blanc venues dès l’aube,
vendre le produit de leur artisanat : des burnous et des djellabas, pour
quelques misérables dirhams. La plupart repartiront bredouilles et je
ne serais pas étonné que les rares transactions qui se sont effectuées
ce matin-là, sous l’œil indiscret des caméras, l’aient été, à
l’instigation des journalistes. Comme par enchantement, ceux-ci ont pu
dénicher, au saut du lit, une représentante de la gente féminine qui
explique, dans un arabe classique châtié et avec le plus grand sérieux,
la profondeur de la crise régionale : le marché du burnous et de la
djellaba « a eu payé ! » Il ne paie plus, à Fijij, dit-elle, comprenez
Figuig. Car dans ce pays où la schizophrénie des gouvernants est avérée,
les choses ne sont jamais ce qu’elles vous semblent être. Les noms des
villes non plus, qui ne s’écrivent pas comme elles se prononcent !
Fin pitoyable du reportage, sans un mot, ni une allusion à
l’omniprésence de la police et de l’armée dans les rues de la ville, la
destruction des palmeraies, l’éloignement forcé des populations de leurs
lopins de terre, l’installation de caméras de surveillance. Pas une
bribe, non plus, sur les abus de pouvoir des agents d’autorité, les
trafics d’influence, le népotisme, la corruption et tout le reste,
qu’une bible ne suffirait pas à quantifier.
Ce que le reportage a occulté c’est que à Figuig personne ne veut
plus venir et ceux qui y sont nés refusent d’y revenir. Le temps semble
s’y être définitivement figé, en mode misère Ni fonctionnaires, ni
enseignants, ni médecins, ni personnels hospitaliers ne veulent officier
dans cette région qui fait fonction de mouroir. Une affectation dans le
secteur a signification de parenthèse brutale, car le risque est grand
d’y être à tout jamais oublié par l’administration centrale, trop
heureuse d’avoir trouvé candidat à tel exil.
L’oasis ne s’est, en réalité, jamais remise de la guerre des sables
qui opposa, un court moment, le Maroc et l’Algérie, en octobre 1963,
puis de celle qui mit le Maroc aux prises avec le Polisario, soutenu par
Alger. Pas plus qu’elle ne semble s’être remise des « focos » de 1973,
initiés ici par les opposants à Hassan II, pour embraser l’Atlas et
emporter le régime. Les contrôles policiers, in situ et ceux de la
gendarmerie sur la route de Bouarfa sont là pour en témoigner.
Autrefois, la région faisait partie de vastes territoires connus
comme marocains depuis des temps immémoriaux et exploités par les
autochtones, pour leur agriculture vivrière, leurs palmeraies et leurs
oliveraies. Le colonialisme français est passé par là. Dans ses rêves
les plus fous d’annexion définitive de l’Algérie, il grappilla du
territoire à son profit, amputant le Maroc d’autant. On connaît la
suite. L’Algérie ne devint jamais française, les territoires ne furent
jamais rendus au Maroc et l’Istiqlal, ce parti qui rêvait du « Grand
Maroc » devra se résoudre à remiser son irrédentisme, dans la poche, le
mouchoir par-dessus !
Point final de l’histoire ? Sans doute pas, car tel un saillant qui
s’enfonce dans les flancs de l’Algérie, Figuig joue, à son corps
défendant et au grand désespoir de ses habitants, le triste rôle de
verrou stratégique. La route nationale 17 relie Bouarfa à Figuig.
Lorsqu’elle traverse cette dernière de part en part, elle emprunte au
défunt Hassan II son nom, avant de se perdre, tel un affluent dans la
nationale 6…… en territoire algérien. Le poste frontière qui reste
désespérément clos, fait donc ressembler la région à un cul de sac.
Dans une monographie qui date de 2010, le commissariat au plan liste les prétendus atouts de l’Oasis de Figuig. Il écrit :
« L’oasis de Figuig est
dotée de magnifiques paysages, constitués essentiellement de parcelles
plantées en palmiers-dattiers et sillonnées par des ruisseaux d’eau de
source. Etant le plus proche oasis africain de l’Europe, Figuig est
prédestiné à devenirun pôle touristique de choix, notamment en matière de tourisme écologique et culturel»
Pure phraséologie, car hélas, jamais touriste, entrepreneur ou
investisseur ne s’aventurera dans ce qui ressemble à une zone en état
de siège, où chaque détour de rue est synonyme de barrage de police et
où le tout sécuritaire prend le pas sur ce qui fait la vie d’une cité:
l’administration, la santé, la culture, l’éducation, le transport, les
échanges. En un mot tout ce qui fait la dignité, le bien-être des
populations et leur fierté d’appartenir à une nation.L’expression
« frères ennemis » mérite ici toute sa pertinence. Tout dans la
géographie invite à l’ouverture entre les deux voisins qui se donnent
du frère à tout bout de champ, sans jamais arriver à démontrer un
minimum de fraternité dans leurs actes politiques. La frontière
artificielle tracée par une plume diabolique, s’appuie sur plusieurs
passes magnifiques qui sont autant d’invitations à l’ouverture et que
l’on s’obstine à laisser fermées.Pascal écrivait : « Je crains que ce qu’on appelle la nature ne soit qu’une somme d’habitude et que l’habitude soit une seconde nature »
Comme pour illustrer le propos, à trois cents kilomètres plus au
Nord, un autre poste frontière, sur la route reliant Oujda la marocaine
à Maghnia l’algérienne. Un autre cul-de-sac. Le colonisateur ne s’y
était pas trompé. Il l’avait baptisé « Zouj Beghal », les deux mules.
Essayez d’en faire dialoguer deux ! L’appellation qui prend pourtant
des allures d’insulte, dans cette région du monde, colle si bien aux
deux protagonistes, qu’ils l’ont officialisée, d’un commun accord, comme
pour mieux admettre leur stupide entêtement, face à l’histoire de
l’humanité qui s’écrit chaque jour un peu plus, en termes d’ouverture
des esprits et des frontières.
Jusqu’à ce que les deux voisins comprennent enfin que le salut de
leurs peuples viendra de la paix, la palmeraie continuera de ressembler à
une caricature de ville. Et le jour où la paix aura, enfin droit de
cité, dans cette partie du monde, ce jour-là et ce jour là seulement,
peut-être une main bienveillante daignera ajouter, les deux points qui
manquent depuis toujours à Fijij cette morne plaine, pour en faire enfin
Figuig, la plus belle des oasis !
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