Par La rédaction de Mediapart, Correspondance à Casablanca de José Douglas,18/6/2011
Après un discours-fleuve, c’est un Mohammed VI hésitant, bafouillant, qui a finalement appelé ses sujets à approuver ce qui devrait devenir la sixième constitution du Maroc en quarante ans. Un souverain chérifien visiblement enrhumé répétant « oui » par trois fois comme pour mieux convaincre ses sujets/citoyens de le suivre sur cette voie. Les Marocains ont intérêt à prendre sur leur temps libre pour déchiffrer en moins de deux semaines un texte presque deux fois plus long que celui de l’actuelle constitution. L’organisation de ce scrutin risque surtout d’aboutir à un blanc-seing pour les desseins pseudo-réformistes du roi.
« C’est une mascarade, rit, jaune, Hosni qui participe au mouvement du 20 février à Casablanca. Comment croire que le scrutin va être transparent en même pas deux semaines? Qui peut croire qu’en deux semaines on va expliquer à la moitié de l’électorat analphabète le contenu des 180 articles?, lance-t-il juste après le discours royal. On passe maintenant d’une interprétation liberticide des pouvoirs du roi à la constitutionnalisation de ces mêmes pouvoirs. Et ça, c’est la blague du jour. »
Car, en dépit de tous les commentaires laudateurs des journaux français, il n’y a pas eu de limitation par le roi de ses propres pouvoirs. Les véritables innovations sont ailleurs avec, par exemple, la reconnaissance inédite pour un pays maghrébin de la langue amazighe (berbère) comme langue officielle au même titre que l’arabe. Mais le préambule du texte précise aussitôt que « l’Etat œuvre à la promotion et au développement de l’arabe », mais pas pour l’amazigh. Le changement est donc symbolique.
A bien regarder le discours du roi et le projet de nouvelle constitution, la limitation des pouvoirs du monarque est en effet loin d’être flagrante. Mohammed VI annonce qu’il devient « roi citoyen » et, sept mots plus tard, « sa personne est inviolable et le respect lui est dû en tant que roi, commandeur des croyants et chef de l’Etat ». Le respect est une notion très vague qui risque de conduire à des abus. En fouillant bien le document, à défaut d’une séparation réelle des pouvoirs, ce sont les pouvoirs du roi qui sont séparés.
Le dépoussiérage
Pour la première fois, on assiste à des attributions claires sur la sphère religieuse et dans le champ politique. Chose incongrue, la dénomination « chef de l’Etat » n’existait pas jusqu’à présent. « Le roi était le représentant suprême de la Nation, décrypte le constitutionnaliste Abderrahmane Baniyahya. Cela répondait à un bras de fer politique entre Hassan II et les élus socialistes. Il leur lance alors : vous êtes les représentants de la Nation, mais je suis le représentant suprême, ce qui avait le mérite d’être clair. »
Mohammed VI et ses descendants ne seront donc plus que « chef de l’Etat » mais ils restent « chefs suprêmes de…l’Etat ». Et surtout : « commandeur des croyants ». Un titre que contestent les islamistes de Justice et Bienfaisance. Signe que le champ religieux demeure un domaine sensible pour le roi : les islamistes légaux du PJD (Parti de la justice et du développement) sont montés au créneau la semaine dernière quand la commission de révision de la constitution avait penché pour « une liberté de croyance ».
Cette dernière n’existe plus, car permettant une conversion, et seule la liberté de culte est restée. La menace d’une mobilisation en masse des islamistes a donc eu raison du rétro-pédalage royal. En cédant, Mohammed VI s’assure ainsi le soutien de la frange légale des islamistes et des conservateurs dont le poids est important dans la société marocaine.
« Il ne faut pas s’y tromper, cette réforme est un dépoussiérage, analyse Zakaria Choukrallah du journal Actuel. On passe d’une monarchie absolue à une monarchie intouchable. » Le roi reste en effet au-dessus de la justice. Aucune de ses actions ne pourra être contestée. « Il n’y a pas de séparation des pouvoirs, mais un partage. » Et c’est en effet clair sur la subtilité entre nomination/désignation. La chasse gardée du roi reste les nominations des magistrats, tout en présidant le nouveau conseil supérieur du pouvoir judiciaire qui remplacera le conseil de la magistrature, et en étant le garant de l’indépendance de la justice. Les diplomates et les militaires restent sous le joug des nominations royales.
Le premier ministre voit certes ses pouvoirs élargis puisqu’il sera issu du parti vainqueur des élections, et sera pleinement responsable devant le Parlement. Les deux chambres ont deux fois plus d’attributions qu’actuellement, encore faut-il savoir qui a le pouvoir de proposer la loi. Car ce qui va devenir la sixième constitution depuis l’indépendance réserve bien des surprises. Rien dans cette mouture ne dit qui détient l’initiative de la loi. Est-ce le Parlement ou le gouvernement? Rien, pas un seul article, pas un seul alinéa ne l’indique.
À la lecture de ce texte touffu, s’ajoutent la confusion et l’incohérence des prérogatives de chacun. Quand l’article 49 stipule que le conseil des ministres « délibère du projet de loi d’amnistie », l’article 58 réaffirme une compétence traditionnelle du monarque: « Le roi exerce le droit de grâce. » Délibération et exercice, mais qui établit la liste des prisonniers à gracier ou amnistier ? Là encore pas de réponse. Et les flous juridiques sont légion dans cette constitution présentée par le roi comme « un tournant historique ». Ou pas. Ou qui risque de tourner casaque si les manifestations ne s’essoufflent pas.
Mais parfois, cette nouvelle constitution sait être très claire quand il le faut. L’article 27 risque de créer de sérieux remous, y compris chez les partenaires européens du royaume, car il concerne le droit d’informer. Désormais il est exclu de parler de tout ce qui touche à la sûreté intérieure ou extérieure et à « la vie privée des personnes ». Certains journalistes marocains avaient osé écrire sur la santé du roi. Rien dans l’actuelle constitution ne l'interdisait. Ils avaient été jetés en prison. Ils savent maintenant que c’est interdit. Et tant pis pour le droit d’informer. Un exemple parmi d’autres qui montre bien que le roi reste bel et bien le maître du jeu avec des pouvoirs élargis en dépit de tous les thuriféraires d’une « exception du Maroc ».