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vendredi 17 juin 2011

Maroc : le roi face à la tentation sécuritaire

Par HICHAM BEN ABDALLAH EL ALAOUI Chercheur, "Libération" (France) du 15/6/2011
Hicham Ben Abdallah el Alaoui est le cousin germain du roi Mohammed VI. Chercheur en sciences sociales à l'université de Stanford, Californie , il publie régulièrement analyses et recherches sur l'évolution de son pays et du monde arabe

Au moment où l’été marocain rejoint le printemps arabe, le mouvement du 20 février s’exprime par des manifestations à répétition pendant que le régime cherche à engager d’autres forces sociales dans une réforme constitutionnelle sous la houlette d’une Commission consultative (CCRC) nommée par le roi : les deux parties se jaugent pour sonder leurs forces et leurs faiblesses respectives. Le mouvement, porté par la dynamique existant dans le monde arabe, cherche à savoir jusqu’où sa démarche   non-violente peut le conduire.
Le régime teste sa capacité à contenir cette pression par un mélange de cooptation et de répression tout en misant sur les forces de restauration désormais aussi à l’œuvre dans la région. Pour l’instant,le régime maîtrise le calendrier : d’ici la fin juin, la CCRC soumettra ses conclusions au roi, qui préparera à son tour la révision constitutionnelle qui sera soumise à référendum.

Des observateurs craignent que le processus se perde dans les méandres habituels des changements cosmétiques. Ce scénario d’un simulacre de discussion avec toujours les mêmes acteurs et un happy end connu d’avance semble le plus vraisemblable : un processus opaque dans lequel les leaders traditionnels des partis et syndicats (dont la plupart ont «ménagé», sinon refusé, leur soutien au mouvement) vont élaborer sous le contrôle d’un conseiller royal une réforme qui sera revue et corrigée par le roi avant d’être soumise au vote populaire.Des révisions constitutionnelles «assez bonnes» pourront en sortir et être approuvées par référendum et par la communauté internationale. 

Cela vaudra au régime une crédibilité en matière de réforme démocratique et lui permettra de  disqualifier la mobilisation de la rue comme «antidémocratique». Mais la désillusion grandissante par rapport aux espoirs d’ouverture démocratique entraînera presque à coup sûr de nouvelles  manifestations.

On comprend dès lors pourquoi les activistes du mouvement n’ont pas voulu s’inscrire dans un processus «consultatif» aussi étroitement encadré, même si leur participation aurait pu le transformer en un forum utile. L’enjeu crucial et le test réel de la réforme consistent à savoir si, et comment, les prérogatives de la monarchie seront pour la première fois circonscrites. Cela concerne non seulement les attributs du monarque par rapport aux pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire mais aussi tout un éventail de prérogatives royales de nature patrimoniale.

Toutefois le changement politique auquel aspirent les Marocains va au-delà du sort d’une seule institution, même si toute réforme réelle implique que soit résolue cette question des privilèges royaux. Les élections passées dites «transparentes» en attestent : elles étaient en réalité  structurellement frauduleuses du fait du charcutage des circonscriptions et du consentement tacite des partis politiques à empêcher des majorités «gênantes». Aussi devrons-nous au moins renforcer le code électoral et conférer à la commission électorale une indépendance du ministère de l’Intérieur. Mais il suffit de penser aussi à l’indépendance et à l’intégrité des autorités municipales et régionales, de la justice, de la police, voire des entreprises, pour entrevoir l’étendue du changement qu’impliquerait une vraie démocratisation.

On mesure la constance et la complexité de l’effort politique nécessaire pour faire cheminer ce changement. La démocratie est un processus et non un résultat. Il serait naïf de penser qu’une loi ou une manifestation puissent la faire émerger. En effet, des questions plus fondamentales relèvent de la culture politique. Celle-ci requiert une participation constante de millions de citoyens à tous les
problèmes affectant leur société. Or l’héritage de décennies d’autoritarisme est lourd : passivité, résignation, peur, cynisme et analphabétisme. Et aussi l’intégration des partis dans un jeu qui les maintient dans une dépendance à la monarchie. Les jeunes cybernautes éduqués et plein d’énergie qui ont inspiré le mouvement du 20 février se sont défaits de cet héritage. Ils commencent tout juste à entraîner de larges pans de la population qui restent traditionalistes, conservateurs et, non sans raison, soucieux de ne pas rendre leur vie plus difficile encore. Pour les mobiliser, pour les aider à se muer en citoyens actifs, il faut fixer un nouvel ordre du jour, proposer un nouveau projet social, il faut une vision qui inspire et un programme assez concret pour que tous puissent espérer des vies meilleures.

L’élaboration d’un tel projet est difficile pour un mouvement politiquement et socialement hétérogène. Pour progresser, ce mouvement doit être plus qu’un front du refus. Il faut aménager au Maroc un espace politique plus ouvert que celui existant dans nombre de pays arabes. Le mouvement trouve ses racines dans le profond désir de changement de tout un peuple, mais il n’a pas encore su bâtir les alliances susceptibles de le mobiliser et de formuler des stratégies lui permettant de devenir efficace.

Le régime n’a pas non plus défini de vision d’avenir. Les rapports entre le mouvement et le régime sont dominés par la suspicion et la peur, ce qui engendre une situation dangereuse. Car, quels que soient les résultats de la CCRC, ils seront redéfinis par la dynamique actuelle. Soit la réforme constitutionnelle est substantielle et amorce une démocratisation de toute la société ; soit elle est superficielle et sert d’excuse à plus de répression, provoquant davantage d’ardeur militante. Dans ce contexte, l’impression que le pouvoir recourt d’ores et déjà à une répression accrue est troublante.
C’est comme s’il croyait non seulement qu’une réforme constitutionnelle vaut en soit processus de démocratisation mais aussi que sa seule promesse suffit. Or, tabasser des hommes et des femmes pour faire évacuer la rue, procéder à des arrestations et lâcher des policiers dans des «rodéos» à moto ne peut que contribuer à saper le soutien au gouvernement. Une alternative préférable serait une sympathie compréhensive à l’égard d’un besoin de changement vaste etsocial plutôt qu’étroit et légal.

Que la tentation sécuritaire résulte d’une ascendance momentanée des forces de l’ordre au Maroc ou de la crainte de lobbies bien établis - sinon de l’influence de «frères» au pouvoir qui pensent que le printemps arabe mériterait un traitement à l’herbicide - cette tentation est condamnée d’avance. Dans tout le monde arabe, l’attrait de la monarchie comme force unificatrice et stabilisatrice s’est révélé réel. Mais cette fleur est fragile et nécessite une constante attention. Aucun «club des rois» ne protégera une monarchie de la colère du peuple si le peuple a été battu par le club des rois. Des plaies s’inscrivent plus profondément dans la mémoire qu’un scrutin.
Les acteurs politiques marocains feraient preuve de sagesse en allant à la rencontre de leurs  adversaires avec respect plutôt que crainte, comme compatriotes et non comme ennemis. Tous devraient préparer un projet de réforme suffisamment généreux pour dépasser les places des grandes villes ou l’agenda politique à courte vue de qui que ce soit. Espérons que l’été marocain ne connaisse pas de coups de chaleur.

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