NATIONS UNIES UNITED NATIONS
HAUT COMMISSARIAT DES NATIONS UNIES OFFICE OF THE UNITED NATIONS AUX DROITS DE L’HOMME HIGH COMMISSIONER FOR HUMAN RIGHTS
PROCEDURES SPECIALES DU SPECIAL PROCEDURES OF THE
CONSEIL DES DROITS DE L’HOMME HUMAN RIGHTS COUNCIL
Mandat du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
4 décembre 2012
Excellence,
J’ai l’honneur de m’adresser à vous en
ma qualité de Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants conformément à la résolution
16/23 du Conseil des droits de l’homme.
Dans ce contexte, je souhaiterais
attirer l’attention du Gouvernement de votre Excellence sur des
informations que j’ai reçues concernant des allégations portant sur des
actes de torture et de mauvais traitements ayant été commis à l’encontre
M. Ali Aarrass.
Les informations reçues concernent
également des allégations portant sur des preuves obtenues sous la
torture lors de la détention provisoire de M. Aarrass; de l’absence
d’enquêtes par les autorités marocaines; de harcèlement constant; de
refus d’un traitement médical approprié; et de menaces envers M. Aarrass
après la visite du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines
ou traitements cruels, inhumains ou dégradants au Maroc du 15 au 22
septembre 2012.
Selon les informations reçues:
M. Aarrass, âgé de 50 ans, est un
citoyen belgo-marocain, qui se trouvant actuellement en détention à la
prison de Salé II au Maroc. M. Aarrass a été arrêté en Espagne le 1er
avril 2008, conformément à une demande d’extradition du Maroc pour des
accusations liées au terrorisme.
Le 19 novembre 2010, le Conseil des
ministres espagnol a approuvé l’extradition de M. Aarrass. Le 26
novembre 2010, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies
(référence 2008/2010) a demandé aux autorités espagnoles de surseoir à
l’extradition de M. Aarrass. M. Aarrass a été extradé comme prévu
d’Espagne vers le Maroc le 14 décembre 2010.
À son arrivée au Maroc, il est rapporté
que M. Aarrass aurait été sauvagement torturé pendant 10 jours et
soumis à d’autres formes de traitement cruel, inhumain et dégradant, y
compris le viol, les coups et les humiliations, ainsi que le refus d’un
traitement médical approprié, au cours de sa détention provisoire. Il
est en outre signalé que M. Aarrass aurait avoué les accusations portées
à son encontre en signant une confession écrite par les autorités en
langue arabe, en dépit de sa mauvaise connaissance de cette dernière.
Le 8 février 2011, M. Aarrass, en
présence d’un avocat, aurait dit au juge d’instruction que ses aveux
avaient été obtenus sous la torture. Le 2 mai 2011, le conseiller
juridique aurait déposé une plainte au sujet de la torture de M. Aarrass
avec le ministre de la Justice et le procureur général de Rabat. Le 15
septembre 2011, le Tribunal de première instance aurait refusé d’ouvrir
une enquête sur les allégations portant sur les actes de torture.
Le 29 novembre 2011, le tribunal
marocain de première instance de Salé a condamné M. Aarrass à 15 ans de
prison. Il est également allégué que le tribunal de première instance
aurait omis de mener une enquête adéquate sur les allégations portant
sur les actes de torture commis envers M. Aarrass, malgré de nombreuses
demandes et malgré une plainte pénale officielle déposée par son avocat.
Il est en outre allégué que l’accusation reposerait uniquement sur les
aveux obtenus de M. Aarrass sous la torture, plutôt que sur les preuves
objectives de la culpabilité du prévenu. Il est rapporté que M. Aarrass a
fait appel de la décision et que l’État aurait procédé à
l’établissement d’un rapport médico-légal concernant M.Aarrass, le 8
décembre 2011.
Il est également signalé que, selon une
étude indépendante médico-légale du 13 juin 2012, le rapport
médico-légal du 8 décembre 2011, et l’examen médical établi par les
autorités seraient à la fois insuffisants et ne répondraient pas aux
normes exigeant une diligence raisonnable, indépendante, et des enquêtes
impartiales sur les allégations portant sur les actes de torture et
autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Toutefois, le 18 avril 2012, dans le
cadre de l’appel de la décision du tribunal de première instance, le
procureur général de Rabat a pris la décision de ne pas enquêter sur les
allégations portant sur les actes de torture.
Il est rapporté que le 2 octobre 2012,
la Cour d’appel de Rabat-Salé a confirmé la condamnation de M. Aarrass,
en réduisant la peine de 15 à 12 ans. Il est également allégué que la
Cour d’appel n’aurait pas entendu les allégations de M. Aarrass
concernant des allégations portant sur les actes de torture, et aurait
omis de considérer l’irrecevabilité des aveux obtenus sous la
contrainte. Il est rapporté que le juge aurait interrompu la description
de M. Aarrass des actes de torture subis en disant simplement que M.
Aarrass avait déjà signé des aveux.
Il est en outre signalé que la Cour d’appel n’a pas encore rendu sa décision par écrit dans le cas de M. Aarrass.
Le 20 septembre 2012, le Rapporteur
spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants a rencontré M. Ali Aarrass à la prison de Salé I peu de
temps avant que la Cour d’appel n’ait rendu son jugement.
Le médecin légiste indépendant qui
accompagnait le Rapporteur spécial a effectué un examen physique externe
et trouvé des traces de torture sur le corps de M. Aarrass. Le médecin
légiste a conclu que la plupart des traces observées, bien que non
diagnostiquées comme signes de torture, sont clairement compatibles avec
les allégations présentées par M. Aarrass, à savoir le genre de torture
et de mauvais traitements infligés, tels que brûlures occasionnées par
une cigarette, pratique du «falanja » (coups assenés sur la plante des
deux pieds), attachement intense puis suspension par les poignets et
électrochocs aux testicules. En outre, il a constaté que la description
faite par M. Aarrass des symptômes ressentis après les épisodes d’actes
de torture et de mauvais traitements est totalement compatible avec les
allégations et que le genre de pratiques décrites et les méthodologies
qui auraient été suivis par les agents pratiquant ces actes, coïncident
avec les descriptions et les allégations présentées par d’autres
témoignages que le Rapporteur spécial a reçus dans d’autres lieux de
détention et qui ne sont pas connus de M. Aarrass. Il a conclu que
certains de ces signes seront de moins en moins visibles avec le temps
et, à terme, devraient disparaître comme ceux, par exemple, existants
sur la plante des deux pieds. Il a également conclu que l’examen
physique a uniquement été effectué sous lumière artificielle.
Selon les informations que nous avons
reçues, M. Aarrass a été transféré à la prison de Salé II après la
réunion avec le Rapporteur spécial. Il est rapporté qu’un agent de la
prison, M. Bouazza, aurait harcelé M. Aarrass cette nuit-là, exigeant de
lui de fournir des détails sur la visite et sur la discussion avec le
Rapporteur spécial.
Il est en outre signalé que, dans sa
réponse, M. Aarrass a déposé une plainte contre l’agent de prison auprès
des autorités de la prison le lendemain, 21 septembre 2012. Il est
allégué que le 22 septembre 2012, les autorités pénitentiaires auraient
menacé M. Aarrass ou fait pression sur lui pour qu’il retire sa plainte.
Il est rapporté que suite aux menaces et actes d’’intimidation
proférées, notamment par M. Bouazza, directeur adjoint de la prison de
Salé II, à l’encontre de M. Aarrass, ce dernier a retiré sa plainte.
Toutefois, le harcèlement et les menaces ont continué d’être proférés.
La dernière information reçue en date du 12 novembre 2012, indique que
M. Bouazza aurait menacé M. Aarrass de viol, de rendre sa vie en prison
impossible et qu’il aurait emporté le chauffe-eau utilisé par M. Aarrass
afin de chauffer l’eau pour se laver.
D’autres
membres du personnel pénitentiaire sont impliqués dans les mauvais
traitements à l’encontre de M. Ali Aarrass depuis son arrivée à la
prison de Salé II sont M. Mustafa El Hajri, ancien directeur; M. Mohamed
El Athimi, ancien directeur adjoint; et M. Hamid Allali, infirmier. Il
est rapporté que le nouveau directeur de l’établissement aurait promis à
M. Aarrass qu’il préviendrait le harcèlement et les mauvais traitements
dans l’avenir et que les conditions de vie dans la prison de Salé II
seraient améliorées. Toutefois, le harcèlement et les menaces par le
personnel pénitentiaire se poursuivent.
Il est également allégué que les
autorités carcérales continuent de rejeter les demandes d’examen et de
traitements médicaux appropriés à M. Aarrass. Selon les sources, M.
Aarrass souffre de plusieurs maux qui nécessitent des soins médicaux
immédiats, tels qu’éruption cutanée douloureuse, épilepsie, hémorroïdes
et problèmes dentaires. Il est rapporté que le personnel médical de la
prison de Salé II refuse de recevoir M. Aarrass s’il ne paie pas pour ce
service.
Des craintes ont été exprimées quant au
fait que M. Aarrass puisse être l’objet de torture ou de cruels et
mauvais traitements. Sans vouloir à ce stade me prononcer sur les faits
qui m’ont été soumis, je souhaiterais néanmoins intervenir auprès du
Gouvernement de votre Excellence pour tirer au clair les circonstances
ayant provoqué les faits allégués ci-dessus, afin que soit protégée et
respectée ‘intégrité physique et mentale de M. Aarrass et ce,
conformément aux dispositions pertinentes de la Déclaration universelle
des droits de l’homme, du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques, de la Déclaration sur la protection de toutes les
personnes contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants, et de la Convention contre la Torture.
Quant aux allégations concernant les
actes de torture et de mauvais traitements à l’encontre de M. Aarrass
pendant sa détention provisoire, je souhaiterais attirer ‘attention du
Gouvernement de votre Excellence sur le paragraphe 1 de la résolution
16/23 du Conseil des droits de l’homme qui « condamne toutes les formes
de torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, y
compris l’intimidation, qui sont et demeurent prohibés, en tout temps et
en tout lieu, et ne peuvent jamais être justifiés, et invite tous les
États à mettre pleinement en œuvre l’interdiction absolue et intangible
de la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. «
De plus, j’aimerais attirer l’attention
du Gouvernement de votre Excellence sur l’article 15 de ladite
Convention qui stipule que «Tout Etat partie veille à ce que toute
déclaration dont il est établi qu’elle à été obtenue par la torture ne
puisse être invoquée comme un élément de preuve dans un procédure, si ce
n’est contre la personne accusée de torture pour établir qu’une
déclaration a été faite.» L’Assemblé Générale, dans le paragraphe 7 de
sa Résolution A/RES/61/153 du 14 février 2007, a réitéré cette demande.
Je souhaiterais également rappeler
l’article 12 de la Convention contre la torture, à laquelle le Maroc a
adhéré en 21 juin 1993, qui stipule que «Tout Etat partie veille à ce
que les autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête
impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un
acte de torture a été commis sur tout territoire sous sa juridiction.»
et l’article 7 qui veut que des cas de torture soient soumis aux
autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale. Je voudrais
aussi attirer l’attention du Gouvernement de votre Excellence sur le
paragraphe 3 de la Résolution 8/8 du Conseil de Droits de l’Homme, qui
exhorte les Etats «À prendre des mesures durables, décisives et
efficaces pour que toutes les allégations de torture ou autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants soient examinées
promptement et en toute impartialité par l’autorité nationale compétente
et que ceux qui encouragent, ordonnent,tolèrent ou commettent des actes
de torture, notamment les responsables du lieu de détention où il est
avéré que l’acte interdit a été commis, en soient tenus
responsables,traduits en justice et sévèrement punis et à prendre note à
cet égard des Principes relatifs aux moyens d’enquêter efficacement sur
la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants et d’établir la réalité de ces faits (Protocole d’Istanbul),
qui peuvent contribuer utilement à lutter contre la torture;» (6b).
Quant aux allégations portant sur les
actes de harcèlement et d’intimidation envers M. Aarrass suite à la
réunion qui s’est tenue avec le Rapporteur spécial, je souhaiterais
rappeler que pendant sa visite au Maroc, le Rapporteur spécial a demandé
et reçu l’assurance des autorités que des instructions claires seraient
communiquées à tous les niveaux de pouvoir et que ni l’intimidation, ni
aucune sorte de représailles ne sauraient être tolérées.
A cette égard, je souhaiterais aussi
attirer l’attention du Gouvernement de votre Excellence sur le
paragraphe 7b de la Résolution 8/8 du Conseil des droits de l’homme de
juin 2008 laquelle rappelle aux Etats que «Les mesures d’intimidation ou
les pressions visées à l’article premier de la Convention contre la
torture, notamment les menaces graves et crédibles contre l’intégrité
physique de la victime ou d’une tierce personne, ainsi que les menaces
de mort, peuvent être assimilées à un traitement cruel, inhumain ou
dégradant ou à la torture.»
Finalement, je tiens à rappeler au
Gouvernement de votre Excellence les dispositions de la résolution 12/2
du Conseil des droits de l’homme (A/HRC/RES/12/2), qui, entre autres,
«condamne tous les actes d’intimidation sur les représailles de la part
des gouvernements et des acteurs non étatiques contre des individus et
des groupes qui cherchent à coopérer ou ont coopéré avec l’Organisation
des Nations Unies, ses représentants et mécanismes dans le domaine des
droits de l’homme» (OP 2) et «invite tous les États à assurer une
protection adéquate contre les actes d’intimidation ou de représailles
pour les individus et les groupes qui cherchent à coopérer ou ont
coopéré avec l’Organisation des Nations Unies, ses représentants et
mécanismes dans le domaine des droits de l’homme (…)» (OP 3).
Il est de ma responsabilité, en vertu
du mandat qui m’a été confié par le Conseil des droits de l’homme, de
solliciter votre coopération afin de tirer au clair les cas qui ont été
portés à mon attention. Etant dans l’obligation de faire rapport de ces
cas au Conseil des droits de l’homme, je serais reconnaissant au
Gouvernement de votre Excellence de ses observations sur les points
suivants :
1. Les faits tels que relatés dans le résumé du cas sont-ils exacts?
2. Veuillez fournir la décision écrite
de la Cour d’appel du 2 Octobre 2012, et veuillez préciser dans quelle
mesure les allégations de torture ont été étudiées par les procureurs,
les juge d’instruction et par la Cour de première instance et d’appel
dans le cas de M. Aarrass. Veuillez également fournir les détails, et le
cas échéant les résultats de ces enquêtes. Si aucune enquête n’a eu
lieu ou si elles n’ont pas été concluantes, veuillez s’il vous plaît en
indiquer les raisons.
3. Veuillez s’il vous plaît indiquer
quelles mesures seront prises afin d’assurer que toute déclaration, dont
il est établi qu’elle a été faite suite à des actes de torture, ne
puisse être invoquée comme preuve dans une procédure juridique
conformément à l’article 15 de la Convention contre la torture.
4. Veuillez s’il vous plaît fournir des
informations sur les mesures prises pour empêcher d’autres actes de
harcèlement et de mauvais traitements à l’encontre de M. Aarrass en
prison. Pourriez-vous également fournir des détails et, lorsqu’ils
seront disponibles, les résultats des enquêtes sur les actes de
harcèlement récents et de mauvais traitements envers M. Aarrass après la
visite du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants. Si aucune enquête n’a eu
lieu,veuillez s’il vous plaît en indiquer les raisons.
5. Veuillez s’il vous plaît fournir des
informations sur les mesures qui seront prises pour assurer que M.
Aarrass obtiendra immédiatement le traitement médical adéquat. Veuillez
également expliquer quelles mesures ont été prises pour permettre
l’accès à un médecin indépendant et pour quelles raisons une telle
demande peut être refusée.
Je serais reconnaissant de recevoir de
votre part une réponse à ces questions dans un délai de 60 jours. Je
m’engage à ce que la réponse du Gouvernement de votre Excellence à
chacune de ces questions soit reflétée dans le rapport que je soumettrai
à la session de mars 2013 du Conseil des droits de l’homme.
Dans l’attente d’une réponse de votre
part, je prie le Gouvernement de votre Excellence de prendre toutes les
mesures nécessaires pour assurer la protection des droits et des
libertés de M. Aarass, de diligenter des enquêtes sur les violations qui
auraient été perpétrées et de traduire les responsables en justice. Je
prie aussi le Gouvernement de votre Excellence d’adopter, le cas
échéant, toutes les mesures nécessaires pour prévenir la répétition des
faits mentionnés.
Veuillez agréer, Excellence, l’assurance de ma très haute considération.
Juan E. Méndez
Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels,inhumains ou dégradants