par Salah Elayoubi 30/5/2013
C'est
le drapeau palestinien qui a enveloppé de ses couleurs si
reconnaissables, le corbillard menant Moumen Chbari à sa dernière
demeure.
Un geste lourd de symbolique,assumé par ceux qui l'ont
porté en terre et que le défunt n'aurait certainement pas désavoué. Il
dit le combat inachevé et tout le chemin qui reste à parcourir, pour que
justice et dignité aient enfin, droit de cité, à l'autre bout de la
Méditerranée, mais aussi sur les rivages de l'Atlantique, dans ce pays,
dont les dirigeants pactisent honteusement, avec l'ennemi du peuple
palestinien.
Quant au drapeau rouge, frappé de l'étoile
chérifienne, même mort, Moumen aurait trouvé insupportable qu'il
l'accompagnât pour son dernier voyage, tant il est associé aux
souffrances qu'on lui a infligées, de son vivant. Elles sont
certainement à l'origine des pathologies lourdes qui ont fini par
l'emporter.
Car, disons-le, le Makhzen est, pour grande part,
responsable de la disparition tragique de Moumen qu'il a pourchassé,
torturé et emprisonné, remettant son sinistre métier sur l'ouvrage,
plusieurs fois de suite, allant même jusqu'à s'en prendre à la famille,
histoire d'en finir définitivement avec le militant.
Toutes les
victimes et les pathologistes vous le confirmeront, nul n'est jamais
sorti indemne d'une confrontation avec la dictature marocaine, qu'elle
ait eu pour théâtre Moulay Chérif, Dar El Mokri, Tazmamart, Kelaat
Mgouna ou Témara. Des dizaines de milliers de personnes y ont laissé la
vie. Les autres se contentent tout juste de survivre, perclus à tout
jamais, d'abominables stigmates.
Des siècles de pénitence aux
bourreaux,des montagnes d'or et les thérapies les plus lourdes en
institutions spécialisées ne suffiraient pas à racheter ces crimes du
régime marocain voyou et rendre vie aux victimes de sa barbarie.
L'Instance
de Réconciliation et d'Equité, cette autre fumisterie, comme seul
sait en concocter le Maroc, pourra se fendre de toutes les conclusions
qu'elle voudra, histoire de blanchir son commanditaire, celui-ci n'en a
cure. il continue de noircir obstinément des chapitres d'ignominie, jour
après jour. Et lorsqu'on le croit fatigué d'écrire, il reprend de plus
belle, comme ce dimanche, lorsqu'il s'en est pris aux manifestants qui
réclamaient pacifiquement, la libération des détenus du vingt février,
dans les rues de Rabat et Casablanca.
Moumen
aurait pu survivre à sa crise cardiaque. Mais pour cela, il aurait
fallu qu'il se trouvât dans un pays où l'Etat est comptable du
bien-être, de la santé et de la vie de ses citoyens. Tous ses citoyens.
Son épouse raconte l'agonie de l'homme de sa vie, ce matin de vendredi.
Interminable !
Et cette fichue ambulance, coincée quelque part, dans les embouteillages.
Accablant !
Le
pays qui ambitionne de grandir l'âme de quelques millions de retraités
européens, se montre bien incapable d'acheminer des secours à un homme
agonisant à quelques centaines de mètres.
Accablant aussi parce
que l'on apprend que des médecins ont laissé dans la nature un homme,
dont ils savaient le coeur fragile, les artères obstruées et la glycémie
instable. La famille du défunt ne s'y est d'ailleurs pas trompée. C'est
vers une clinique qu'elle a acheminé Moumen, les hôpitaux ayant la
fâcheuse réputation de vous achever, dès lors qu'il s'agit d'urgences
vitales. Une santé publique misérable et capable du pire, lorsqu'elle
s'applique au pauvre et si performante dès lors qu'il s'agit de porter
secours au puissant.
Moumen s'est donc éteint à 54
ans. Sous des cieux plus cléments, son âge et son expérience l'auraient
conduit aux plus hautes destinées. Mais il avait, très tôt eu cette
intuition infaillible, propre aux surdoués, que le régime insultait
l'intelligence des marocains, en promettant toujours et ne tenant
jamais. Jusqu'à son dernier souffle, il aura refusé de donner quitus à
ce système politique qu'il haïssait et qui ressemble à une voiture
balai, charriant dans son sillage, tant d'opportunistes et d' «
aubainards » incompétents et tellement d'indigence, qu'elle s'achemine
vers une sortie de route, à nulle autre pareille.
Une
fois Moumen enterré, comme pour repousser l'échéance cruelle des adieux
et psychanalyser leur douleur, hommes et femmes ont promené leur
tristesse à travers les allées du cimetière. Alors, un vieux militant a
extirpé son téléphone portable et lui a fait entonner l'Internationale
en français, avant de l'accompagner en sourdine. Bouleversant.
Moment
pathétique et grandiose à la fois, parce qu'il rappelle combien est
long et solitaire le combat pour la dignité, mais que le bon droit et la
justice finissent toujours par triompher de la tyrannie.
https://www.facebook.com/notes/salah-elayoubi/va-moumen-o%C3%B9-tu-vivras-toujours-/534845659895451
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