- par Ali Anouzla, Lakome, 19/4/2013
Original : لماذا الخوف من 'مينورسو'؟
Avant d'entreprendre toute critique de l'initiative
américaine ou d'aller quérir le soutien français, posons donc la
question, crûment : Que craint donc le Maroc si la mission de l'ONU est
étendue à la supervision des droits de l'Homme au Sahara ?
Ce n'est pas la première fois que le rapport de l'ONU demande
l'inclusion d'une recommandation sur l'extension de la mission de la
Minurso aux questions des droits de l'Homme au Sahara et à Tindouf. En
effet, cela avait été le cas lors des précédents rapports, mais le Maroc
avait toujours réussi à contrecarrer ces demandes. La nouveauté
aujourd'hui est que cette recommandation n'est plus seulement le fait du
Secrétaire général des Nations-Unies et de son Envoyé personnel au
Sahara, qui l'auront rédigée et adressée au Conseil de Sécurité pour
qu'il l'adopte ; non, aujourd'hui, c'est un des membres de ce Conseil
qui présente un mémorandum en forme de proposition de résolution,
appelant à élargir les taches de la Minurso aux droits de l'Homme. Et ce
qui complique les choses est que ce membre est une superpuissance, les
Etats-Unis, qui a toujours considéré et continue aujourd'hui encore de
tenir l'initiative marocaine d'autonomie des territoires contestés comme
« sérieuse et crédible ».
Aujourd'hui donc, l'affaire est grave, et
cela se reflète dans la très ferme réaction officielle marocaine,
traduite dans le communiqué publié par le Cabinet royal et qui considère
que l'attitude américaine est « partiale et unilatérale », exprimant sa
nette opposition et son rejet de cette initiative de Washington. Il
apparaît donc que par cette réaction, Rabat a coupé le « cheveu de
Mouaouia » avec les Etats-Unis, et qu'il ne lui reste comme seul recours
que la position que prendra la France ; et comme il est peu probable
que Paris entre en confrontation directe avec Washington en lui opposant
son veto, la France devrait se contenter d'alléger les termes de la
résolution à venir.
Mais avant d'entreprendre toute critique de
l'initiative américaine ou d'aller quérir le soutien français, posons
donc la question, crûment : Que craint donc le Maroc si la mission de
l'ONU est étendue à la supervision des droits de l'Homme au Sahara ?
Nous
lisons dans le communiqué du Cabinet royal que « le Royaume du Maroc a
adopté des mesures volontaristes pour la promotion et la protection des
droits de l'homme, sur l'ensemble de son territoire. C'est dans ce cadre
que s'inscrivent, notamment, le renforcement de l'indépendance des
mécanismes nationaux des droits de l'homme et l'élargissement de
l'ouverture du Maroc sur les procédures spéciales des Nations Unies,
répondant ainsi aux attentes de la communauté internationale et, plus
particulièrement, du Conseil de Sécurité ». Dans un autre paragraphe, le
même communiqué précise que « les efforts du Royaume en faveur de la
promotion des droits de l'homme sur l'ensemble du territoire national – y
compris dans les provinces du Sud – sont salués par la Communauté
internationale et par de nombreux partenaires internationaux ». Pourquoi
donc avoir peur, et de quoi avoir peur, si les droits de l'Homme sont
respectés, et que le monde entier le reconnaît ? Partant de ce principe,
il est évident que même la Minurso se joindra au concert des nations
pour louer le respect des droits de l'Homme par les autorités marocaines
et, ce faisant, confortera encore davantage la position de Rabat. Ne
devrait-on donc pas nous féliciter de cette proposition américaine ?
Le
rapport du Secrétaire général des Nations-Unies, Ban Ki-moon, adressé
au Conseil de Sécurité le 8 avril, contient ce paragraphe (116) :
« Comme les violations des droits de l'homme n'ont apparemment pas
cessé, la surveillance indépendante, impartiale, complète et constante
de la situation des droits de l'homme au Sahara occidental et dans les
camps devient plus que jamais une nécessité primordiale ». Pour sa part,
le mémo américain parle d'un contrôle des droits de l'Homme au Sahara
et dans les camps de Tindouf, ce qui rejoint parfaitement le discours
officiel marocain qui désigne les réfugiés sahraouis dans ces camps
comme des « otages » détenus par les « bandes du Polisario ». Il est à
rappeler aussi que le Maroc avait demandé lors du 7ème round des
négociations informelles (Manhasset, juin 2011) d'inclure la question
des droits de l'Homme dans l'ordre du jour des discussions tenues sous
l'égide de l'ONU. Le ministre des Affaires étrangères de l'époque, Taïeb
Fassi Fihri, avait alors précisé qu'il y avait là « une demande
pressante pour la mise en place d'un mécanisme indépendant qui
assurerait une protection quotidienne des résidents dans ces camps
depuis plus de 30 ans ; ce mécanisme permettra à la communauté
internationale et aux instances onusiennes spécialisées de s'assurer de
la réalité sur le terrain, dans ces camps ». Or donc, si la mission de
la Minurso devait être étendue pour superviser le respect des droits de
l'Homme dans les camps de Tindouf, pourquoi alors le Maroc s'oppose-t-il
à la résolution ? Ne serait-il pas au contraire plus logique de s'en
féliciter ?
Bien entendu, il existe des gens qui soutiennent que
l'élargissement de la Minurso vers une fonction de contrôle des droits
de l'Homme portera atteinte à la souveraineté du Maroc dans les
provinces sahariennes. Mais il est de notoriété publique qu'il n'y a pas
un Etat au monde, et même les Nations-Unies,qui reconnaisse la
souveraineté du Maroc sur ces territoires. De plus, les locaux de la
Minurso au Sahara ne relèvent pas de la « souveraineté marocaine » ; la
présence de la mission onusienne au Sahara, avec ses bâtiments, ses
véhicules, ses petits avions, tous estampillés du signe de l'ONU,
pourrait alors être à son tour considérée comme une atteinte à la
« souveraineté nationale marocaine »...
L'affaire du Sahara est
soumise à l'examen des Nations-Unies pour qu'elles lui trouvent une
solution ; et quand le Maroc accepte le principe de la négociation, il
admet en creux l'existence d'un litige. Alors lorsqu'il estime que la
souveraineté sur ces terres est chose acquise, il entre en contradiction
flagrante avec lui-même. Ou il existe un problème de souveraineté et
dans ce cas, il est nécessaire de recourir à l'arbitrage onusien pour
régler ce problème, ou alors la souveraineté marocaine est acquise et
donc nul besoin d'aller au palais de verre de New York et même nécessité
de refuser toute intermédiation de ce dernier si elle devait aller dans
le sens d'une atteinte à la « souveraineté marocaine ».
Enfin, le
responsable des dernières évolutions dans ce dossier est celui qui en
détient la gestion et le suivi. Il importe donc de définir cette
responsabilité. Le gouvernement n'a aucune relation avec le traitement
de ce dossier, ni politiquement, ni diplomatiquement ni sur le plan
interne. L'affaire du Sahara, depuis qu'elle existe, a toujours été
gérée, et continue de l'être, par le renseignement, l'Intérieur et
l'armée, autant d'organismes qui relèvent directement du palais royal
qui détient le monopole donc de gestion, jusques-y compris dans les
informations liées au sujet.
Or, dans les dernières années, plusieurs
erreurs ont été commises, essentiellement en matière de droits de
l'Homme, et spécialement dans l'affaire du camp Gdim Izik, lorsque des
ordres avaient été adressés aux services de sécurité et à l'armée pour
pénétrer dans le camp, nuitamment, pendant que les protestataires
dormaient sous les tentes. Le résultat, on le connaît, mais pas les
responsables, dont aucun n'a été déféré devant la justice. Et puis,
depuis 2010, les villes du Sahara, Laâyoune, Smara, Dakhla, Boujdour,
vivent dans ce qui ressemble fort à un blocus sécuritaire renforcé, et
dans certains quartiers les patrouilles circulent nuit et jour. Tout le
monde a vu comment des femmes ont été traînées dans les rues de Smara et
de Laâyoune, et avant aussi, à Boujdour. Mais malgré cela, pas
d'enquête ni de poursuite judiciaires... quant aux médias et aux partis
qui font aujourd'hui un vacarme assourdissant contre le mémorandum
américain, ils ont toujours observé un silence aussi assourdissant face
aux violations répétées des droits de l'Homme, au Sahara et ailleurs.
Et
donc, la demande d'élargissement de la mission de l'ONU n'est que la
conséquence de la politique de tous temps suivie dans le dossier du
Sahara. Quand, à l'avenir, cette affaire sera traitée démocratiquement,
et qu'elle sera confiée à un pouvoir disposant de la légitimité
démocratique, soumis au contrôle populaire, nous nous engagerons alors
sur la voie de la résolution du conflit, une résolution qui ne saurait
être que démocratique.
On dit que la question du Sahara est l'affaire
d'un peuple et d'un système politique, mais le problème est que c'est
le second qui gère ce dossier sans revenir au premier, dont il n'a
besoin que pour applaudir ou protester, selon les cas.
Quand le Maroc
sera une démocratie qui rompra avec le pouvoir individuel et personnel,
quand les droits de l'Homme et sa dignité seront observés dans toutes
les régions du pays, du nord au sud, à Taza, Beni Bouayach, Imider,
Douar Chlihate, Sidi Ifni, Dakhla, Laâyoune et même devant le parlement à
Rabat, alors le problème sera en voie de résolution. Car, comme le dit
si bien le proverbe marocain : « Aucun chat ne fuit la maison où se
tient un mariage »...