LETTRE PUBLIQUE ADRESSEE
A MONSIEUR LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE FRANCAISE FRANCOIS HOLLANDE
PAR DEUX MAROCAINS DE SUISSE
PALAIS DE L’ELYSEE
Monsieur Le Président
Mercredi
12 septembre 2012, après un procès injuste, cinq de nos compatriotes,
des militants du mouvement du vingt février ont été condamnés à des
peines de prison ferme. Une militante qui faisait partie de cette
fournée-là, n’a du le sursis qu’à sa condition de femme. Leur crime,
avoir manifesté pacifiquement au soir du 22 juillet de la même année,
dans un quartier de Casablanca, pour protester contre la répression et
la cherté de la vie, tout en revendiquant, ce qui est parfaitement
légitime, un « Maroc de liberté, de dignité et de justice ».
Les
cinq accusés qui comparaissaient en détention provisoire, ont fait
état de tortures abominables infligées au cours de leur interrogatoire,
et que la décence nous interdit d’évoquer ici, dans le seul but de les
intimider, d’attenter à leur dignité et leur extorquer des aveux. La
suite de leur détention, jusqu’au procès n’est qu’un long calvaire, dont
ils n’ont pas manqué de faire état devant la cour. En vain.
D’autres
indignés, militants ou simples citoyens qui ont osé manifester contre
les méthodes du régime croupissent en prison où ils subissent
humiliations et sévices de toutes sortes, quand il ne s’agit pas d’actes
de barbaries insupportables, listés de façon exhaustive, par toutes les
organisations de défense des droits de l’homme dans leurs rapports.
Hier encore, la coalition nationale des organes de
droits de l'homme qui ne compte pas moins d’une quinzaine d’associations
a publié ses conclusions. Elles sont accablantes pour le régime et
témoignent d’une dégradation avérée des droits de l'homme, dans notre
pays.
A l’heure où il
est question que vous vous rendiez en visite officielle dans notre pays,
permettez-nous de vous rappeler que malgré les allégations du régime
marocain et les déclarations de ses responsables, rien n’a
fondamentalement changé au Maroc. La liberté d’expression, d’opinion et
de réunion, y sont toujours assimilées à de la sédition. Tous les
pouvoirs politiques, économiques, religieux, et toutes les décisions qui
engagent l’avenir du pays, demeurent aux mains d’un seul homme, le
gouvernement n’ayant droit de cité qu’à bien plaire au monarque,
"Commandeur des croyants".
Pendant que nos
compatriotes subissent les affres de la torture et de l’emprisonnement,
leurs bourreaux coulent des existences paisibles, sans risque d’être
inquiétés par une justice dont on sait qu’elle est exclusivement le bras
séculier du pouvoir.
Nous
fêterons au cours de votre quinquennat, le cinquantenaire de la
disparition de Mehdi Ben Barka, célèbre leader de la "Tricontinentale"
et opposant à la dictature de Hassan II, enlevé le 29 octobre 1965 dans
la capitale française. On connaît désormais une grande partie de la
vérité, mais le secret défense derrière lequel se retranche votre pays
pour empêcher l’ouverture des archives de cette affaire, occulte une
grande partie de la vérité et contribue à l’impunité des coupables.
Les
responsables de l’enlèvement et de l’assassinat de l’opposant, côté
marocain bénéficient de la protection et de la bienveillance du régime
marocain. Bien pire, ils continuent d’occuper des fonctions centrales
dans l’appareil répressif et de sévir impunément, contre leurs
compatriotes, alors qu’il est question de nouvelle ère, de lutte contre
les injustices et d’autres chimères !
Monsieur Le Président
Vous
feriez votre honneur, celui de la France et celui de votre famille
politique, si vous preniez, au cours de votre mandat, les dispositions
nécessaires, afin que soit enfin levé le secret sur cette tragédie et
pour que la justice française puisse enfin travailler dans la
transparence et la dignité qui seyent aux grandes démocraties.
En
agissant ainsi, vous donneriez aux marocains des raisons d’intégrer
l’espoir que la France se range désormais, à leur côté, dans leur lutte
pour un Maroc meilleur. Vous enverriez, également, par la même
occasion, un signal très fort de votre rejet de la dictature et votre
attachement aux valeurs qui fondent la Nation française et ornent les
frontons de sa république : « Liberté, Egalité, Fraternité ». Ils sont, à
peu de choses près, les mêmes que reprend notre mouvement, depuis le
bourgeonnement du printemps arabe et amazigh.
Nous
pourrions alors, nourrir l’espoir de voir enfin, rattrapés par leur
crime, les auteurs de la disparition de l’une des figures les plus
emblématiques de la lutte contre la dictature marocaine, Mehdi Ben
Barka, mais aussi les responsables de tant de tragédies et d’atrocités,
avant qu’ils ne s’éteignent tranquillement dans leur lit. Ce serait
l’occasion de les voir expier pour tous les crimes commis à l’encontre
du peuple marocain, pendant plus d’un demi-siècle.
Nous
formulons le vœu que cette requête légitime trouvera, auprès de vous,
l’écho qu’elle n’a pu trouver, après tant d’années, auprès de ceux qui
vous ont précédé dans l’exercice de la fonction présidentielle.
Respectueusement
Lausanne le 14 septembre 2012
Ahmed Benani
Salah Elayoubi