Par Les invités de Mediapart, 13/1/2011
«Nous proposons que le savoir-faire qui est reconnu dans le monde entier de nos forces de sécurité permette de régler des situations sécuritaires de ce type.» Michèle Alliot-Marie Le gouvernement français –comme celui d'autres États– est devenu incapable, à lui seul, de gérer pour le compte des Français les paramètres économiques transnationaux qui déstabilisent actuellement la plupart des nations et provoquent des révoltes populaires.
C'est en raison de cette impuissance qu'il se tourne vers la recherche d'une solution policière aux problèmes sociaux. Mais l'État conserve néanmoins le monopole des prises de positions politiques extérieures.
Les encouragements adressés récemment au président Ben Ali, en pleine Assemblée nationale, par la ministre des affaires étrangères, lui proposant une aide technique dans son entreprise de répression antidémocratique, ressemble à une caricature malveillante de la presse anarchiste des années trente.
Mme Alliot-Marie a oublié sans doute un instant qu'elle n'était plus ministre de l'intérieur ni ministre de la défense. Mais ce n'est pas une excuse. Elle s'est ridiculisée en dévoilant, sur le ton d'une banalité, qu'elle avait, en effet, des critères stratégiques communs avec M. Ben Ali. Or, les spécialistes du Maghreb n'ont pas attendu cette crise pour qualifier le régime de M. Ben Ali de dictature policière et pour mentionner l'extrême corruption qui fait que la famille du Président et celle de son épouse forment un gang qui monopolise ou cherche à monopoliser la gestion des ressources du pays tout entier et exporter leurs bénéfices vers des banques privées étrangères.
L'Union européenne (UE) n'est pas faite pour résister à une crise sociale, puisqu'elle gère activement la dépossession des États de leur souveraineté économique. Mais elle a laissé entendre, par la voix de «sa» ministre des affaires étrangères, Mme Ashcroft, une travailliste britannique, naguère chargée des questions sociales, qu'on pouvait stigmatiser les massacres policiers en Tunisie. L'Europe néolibérale reste donc au moins chargée d'une mission de défense des droits de l'homme en cas de troubles sociaux. Clause qui fait partie obligatoirement des accords de coopération que signe l'UE.
Le développement (planifié) de la Tunisie parut un temps «bien parti» et il devait faire de ce pays instruit, laïc, artiste et pacifique, un exemple de valorisation habile de l'éducation populaire, du tourisme et de l'huile d'olive. Malgré un indice de développement humain devant rejoindre celui des pays développés, il souffre d'un épuisement des ressources en eau, d'un «surdéveloppement» de l'instruction et du détournement des investissements vers les caisses du clan Ben Ali. Le pays devient le siège d'une révolte populaire, pas islamique, de la jeunesse chômeuse urbaine et rurale, et a rencontré la sympathie et l'appui du peuple français.
Mais c'est le Maghreb qui va peut être entrer en mouvement: ce sont trois peuples proche de nous, passionnés et sincères, comme le peuple français, quand il se révolte, et c'est au nom des principes populaires de la république française, encore idéale, qu'on y défend la démocratie et la république sociale. Celle qui fut proclamée au printemps des peuples en mai 1848 et écrasée en juin, rétablie en 36, écrasée en 40 ; rétablie en 44 par le Conseil national de la résistance, en voie d'écrasement actuel.
Il faut interdire que nos soldats, nos gendarmes et nos policiers soient envoyés à l'aide d'une dictature post-coloniale corrompue. Bientôt si on persiste dans cette voie, il va falloir aussi aider le régime militaire algérien à mater le peuple algérien. Refaire la bataille d'Alger : Hourra ! cornes au cul, vive le père UBU ! Ensuite ce sera le tour du 9.3 s'il commence à imiter les Tunisiens.
L'attitude du gouvernement français actuel forme un tout qu'on doit analyser avec une malveillance précise car il est orienté en sens inverse de la défense de la démocratie et jette le pont entre les pratiques extérieures et intérieures des forces du maintien de l'ordre:
- dans l'affaire de la Côte-d'Ivoire, la présence post-colonialiste des entreprises françaises oblige à une prudence d'autant plus grande que la qualité criminelle du pouvoir de l'ex-président Gbagbo n'avait jamais été considérée comme un obstacle à la prospérité des intérêts français, bien au contraire
- dans l'affaire des otages à la frontière Niger-Mali, la violence efficace des commandos français d'opérations spéciales, pour la première fois, a été très rapidement menée en sacrifiant explicitement la priorité accordée normalement à la protection de la vie des otages, au profit de la manifestation des capacités d'écrasement des groupes « terroristes » ; une attitude que même l'armée colombienne estimait ne pas devoir afficher.
Ce que révèle cet ensemble, c'est que la doctrine d'emploi des forces policières et militaires, unifiée par l'influence des opérations en Afghanistan, est offerte tout azimuts comme une expertise technique, préconisée dans une partie du Livre blanc sur la défense, pour servir éventuellement à la répression des troubles sociaux internes. Cette tendance fait partie d'une stratégie à l'entraînement et qui paraît tout à fait légitime au pouvoir actuel, même si cette doctrine parait plutôt illégitime aux trois armes, réunifiées de force par l'inclusion de la gendarmerie dans la police.
En prenant le parti du peuple tunisien contre Ben Ali, nous nous plaçons dans la perspective d'une redéfinition claire de la politique de défense et de sécurité des démocraties, telle qu'elle se présente désormais dans l'Union européenne et chez ses voisins. La vraie menace, la violence offensive, c'est la menace économique et sociale qui découle des critères purement spéculatifs que la dominance du secteur financier a imposé par la dérégulation des marchés. Les «nouvelles menaces» sont désormais les catastrophes sociales et écologiques, induites visiblement par les crises financières successives. Les véritables adversaires, ce sont les groupes financiers transnationaux, ou les dirigeants corrompus, complètement dégagés de toute responsabilité sociale localisée, et qui doivent être désignés comme « l'ennemi » des démocraties et traités comme tels, en toute justice, par la loi et la justice internationale.
Ce que nous dit l'insurrection tunisienne, c'est que cette justice et cette loi auront du mal à émerger. Mais la période n'est plus au contrôle des comportements violents des jeunes chômeurs –fils de chômeurs de nos banlieues– ou à la chasse aux terroristes religieux maffieux ou paramilitaires. Il faudra partout traiter les causes, celles de l'effondrement des revenus des classes populaires, et évaluer les responsabilités des personnels politiques au pouvoir; les écarter du pouvoir dans la mesure où les gouvernements paraissent avoir décidé de n'y faire face que par la répression: ce qu'on peut appeler désormais le «modèle tunisien».
Méditer sur la défense de la Liberté politique, sur l'Égalité sécuritaire des habitants qui est le contraire de la précarisation, et sur la Fraternité de la société, qui s'oblige à secourir les habitants dans le besoin quand la survie économique du peuple est menacée, cela ne sonne pas comme un simple rendez-vous d'experts, mais comme une question vitale énoncée par la déclaration des droits de l'homme de 1793, de 1848, de 1945, pour la défense et le maintien de l'identité civique et de la mobilisation sociale, seule garantie de l'indépendance et de la liberté démocratique.
http://www.mediapart.fr/club/edition/les-invites-de-mediapart/article/130111/soutenir-linsurrection-de-la-tunisie
Les encouragements adressés récemment au président Ben Ali, en pleine Assemblée nationale, par la ministre des affaires étrangères, lui proposant une aide technique dans son entreprise de répression antidémocratique, ressemble à une caricature malveillante de la presse anarchiste des années trente.
Mme Alliot-Marie a oublié sans doute un instant qu'elle n'était plus ministre de l'intérieur ni ministre de la défense. Mais ce n'est pas une excuse. Elle s'est ridiculisée en dévoilant, sur le ton d'une banalité, qu'elle avait, en effet, des critères stratégiques communs avec M. Ben Ali. Or, les spécialistes du Maghreb n'ont pas attendu cette crise pour qualifier le régime de M. Ben Ali de dictature policière et pour mentionner l'extrême corruption qui fait que la famille du Président et celle de son épouse forment un gang qui monopolise ou cherche à monopoliser la gestion des ressources du pays tout entier et exporter leurs bénéfices vers des banques privées étrangères.
L'Union européenne (UE) n'est pas faite pour résister à une crise sociale, puisqu'elle gère activement la dépossession des États de leur souveraineté économique. Mais elle a laissé entendre, par la voix de «sa» ministre des affaires étrangères, Mme Ashcroft, une travailliste britannique, naguère chargée des questions sociales, qu'on pouvait stigmatiser les massacres policiers en Tunisie. L'Europe néolibérale reste donc au moins chargée d'une mission de défense des droits de l'homme en cas de troubles sociaux. Clause qui fait partie obligatoirement des accords de coopération que signe l'UE.
Le développement (planifié) de la Tunisie parut un temps «bien parti» et il devait faire de ce pays instruit, laïc, artiste et pacifique, un exemple de valorisation habile de l'éducation populaire, du tourisme et de l'huile d'olive. Malgré un indice de développement humain devant rejoindre celui des pays développés, il souffre d'un épuisement des ressources en eau, d'un «surdéveloppement» de l'instruction et du détournement des investissements vers les caisses du clan Ben Ali. Le pays devient le siège d'une révolte populaire, pas islamique, de la jeunesse chômeuse urbaine et rurale, et a rencontré la sympathie et l'appui du peuple français.
Mais c'est le Maghreb qui va peut être entrer en mouvement: ce sont trois peuples proche de nous, passionnés et sincères, comme le peuple français, quand il se révolte, et c'est au nom des principes populaires de la république française, encore idéale, qu'on y défend la démocratie et la république sociale. Celle qui fut proclamée au printemps des peuples en mai 1848 et écrasée en juin, rétablie en 36, écrasée en 40 ; rétablie en 44 par le Conseil national de la résistance, en voie d'écrasement actuel.
Il faut interdire que nos soldats, nos gendarmes et nos policiers soient envoyés à l'aide d'une dictature post-coloniale corrompue. Bientôt si on persiste dans cette voie, il va falloir aussi aider le régime militaire algérien à mater le peuple algérien. Refaire la bataille d'Alger : Hourra ! cornes au cul, vive le père UBU ! Ensuite ce sera le tour du 9.3 s'il commence à imiter les Tunisiens.
L'attitude du gouvernement français actuel forme un tout qu'on doit analyser avec une malveillance précise car il est orienté en sens inverse de la défense de la démocratie et jette le pont entre les pratiques extérieures et intérieures des forces du maintien de l'ordre:
- dans l'affaire de la Côte-d'Ivoire, la présence post-colonialiste des entreprises françaises oblige à une prudence d'autant plus grande que la qualité criminelle du pouvoir de l'ex-président Gbagbo n'avait jamais été considérée comme un obstacle à la prospérité des intérêts français, bien au contraire
- dans l'affaire des otages à la frontière Niger-Mali, la violence efficace des commandos français d'opérations spéciales, pour la première fois, a été très rapidement menée en sacrifiant explicitement la priorité accordée normalement à la protection de la vie des otages, au profit de la manifestation des capacités d'écrasement des groupes « terroristes » ; une attitude que même l'armée colombienne estimait ne pas devoir afficher.
Ce que révèle cet ensemble, c'est que la doctrine d'emploi des forces policières et militaires, unifiée par l'influence des opérations en Afghanistan, est offerte tout azimuts comme une expertise technique, préconisée dans une partie du Livre blanc sur la défense, pour servir éventuellement à la répression des troubles sociaux internes. Cette tendance fait partie d'une stratégie à l'entraînement et qui paraît tout à fait légitime au pouvoir actuel, même si cette doctrine parait plutôt illégitime aux trois armes, réunifiées de force par l'inclusion de la gendarmerie dans la police.
En prenant le parti du peuple tunisien contre Ben Ali, nous nous plaçons dans la perspective d'une redéfinition claire de la politique de défense et de sécurité des démocraties, telle qu'elle se présente désormais dans l'Union européenne et chez ses voisins. La vraie menace, la violence offensive, c'est la menace économique et sociale qui découle des critères purement spéculatifs que la dominance du secteur financier a imposé par la dérégulation des marchés. Les «nouvelles menaces» sont désormais les catastrophes sociales et écologiques, induites visiblement par les crises financières successives. Les véritables adversaires, ce sont les groupes financiers transnationaux, ou les dirigeants corrompus, complètement dégagés de toute responsabilité sociale localisée, et qui doivent être désignés comme « l'ennemi » des démocraties et traités comme tels, en toute justice, par la loi et la justice internationale.
Ce que nous dit l'insurrection tunisienne, c'est que cette justice et cette loi auront du mal à émerger. Mais la période n'est plus au contrôle des comportements violents des jeunes chômeurs –fils de chômeurs de nos banlieues– ou à la chasse aux terroristes religieux maffieux ou paramilitaires. Il faudra partout traiter les causes, celles de l'effondrement des revenus des classes populaires, et évaluer les responsabilités des personnels politiques au pouvoir; les écarter du pouvoir dans la mesure où les gouvernements paraissent avoir décidé de n'y faire face que par la répression: ce qu'on peut appeler désormais le «modèle tunisien».
Méditer sur la défense de la Liberté politique, sur l'Égalité sécuritaire des habitants qui est le contraire de la précarisation, et sur la Fraternité de la société, qui s'oblige à secourir les habitants dans le besoin quand la survie économique du peuple est menacée, cela ne sonne pas comme un simple rendez-vous d'experts, mais comme une question vitale énoncée par la déclaration des droits de l'homme de 1793, de 1848, de 1945, pour la défense et le maintien de l'identité civique et de la mobilisation sociale, seule garantie de l'indépendance et de la liberté démocratique.
http://www.mediapart.fr/club/edition/les-invites-de-mediapart/article/130111/soutenir-linsurrection-de-la-tunisie