Par Solidarité Maroc 05, 26/4/2012
Monsieur Hollande, Monsieur Sarkozy,
En tant qu’association française de défense des droits de l’homme au Maroc nous nous permettons de vous faire part de nos préoccupations concernant la politique française particulièrement complaisante à l’égard de la monarchie du Maroc…
Voilà douze ans que nous constatons que les droits de l’Homme sont toujours gravement violés au Maroc : arrestations arbitraires, situation inhumaine dans les prisons, banalisation de la torture qui peut aller jusqu’à la mort, presse muselée si elle n’est pas assez complaisante, amendes exorbitantes, désinformation, censure, comportement inacceptable des forces de l’ordre, et bien sûr, corruption à tous les étages de la société …En somme tout ce que le Maroc condamne… dans d’autres pays en se faisant passer pour un pays modèle à démocratie avancée, à quoi la France se hâte d’applaudir… De nombreux Français ne se reconnaissent pas dans cette France complice…
Plus de 200 arrestations en dix mois selon la liste que nous avons établie à partir du jour de la promulgation de la nouvelle Constitution, presque tous des jeunes, emprisonnés pour leurs idées de liberté, de dignité, de justice sociale…. Pas des délinquants, mais des étudiants, des artistes, des défenseurs de la population… La plupart d’entre eux sont militants du Mouvement du 20 février qui, depuis un an et demi, organise des marches pacifiques pour réclamer la démocratie, régulièrement réprimées avec une grande violence. Mouvement soutenu par les associations marocaines de défense de droits de l’Homme.
Tous les motifs sont bons pour se débarrasser de ces encombrants défenseurs des droits de l’homme : La torture pour faire avouer escroquerie, drogue, vandalisme, tabassage de policiers... et le motif passe-partout d’ « atteinte à la sacralité » terme dont la nouvelle Constitution avait pourtant évité de parler. Un marchand ambulant de Nador qui pour protester de ses conditions de vie misérable sans eau ni électricité, a eu l’idée saugrenue de mettre un drapeau –qui n’était pas marocain-sur son toit, a été accusé d’atteinte à la « sacralité du drapeau marocain » : six mois de prison ferme, et une grande famille privée de son maigre revenu. Prison aussi pour un jeune qui a osé crier « vive le peuple », pour un dessin, pour une colère, pour un poème, pour une chanson…
Ezedine Erouissi, étudiant syndiqué à l’UNEM (le pendant de l’UNEF, interdit au Maroc) et militant actif du mouvement du 20 février, a été arrêté à Taza le 1er décembre 2011. Le 19 il a entamé une grève de la faim pour protester contre les insupportables conditions de vie des détenus et demander le statut de prisonnier politique. Son journal de la torture, poignant témoignage de ce que subissent les prisonniers d’opinion, a été largement diffusé sur les réseaux sociaux… Aujourd’hui il en est à 130 jours de grève de la faim. Empêché de mourir par gavage forcé quand il perd connaissance, bras en croix attaché avec 8 menottes. S’il survit il aura fini sa peine à la fin du mois. Dans quel état ?...
Quatre étudiants en prison à Fès qui avaient après lui entamé une grève pour appuyer ses revendications ont terminé leur peine il y a quelques jours, après 86 jours sans se nourrir.
Puis le mouvement de protestation des prisonniers en grève de la faim a gagné les différentes les prisons du royaume. Ils sont actuellement une trentaine de grévistes, dont plusieurs sont déjà en danger de mort. Des ONG du Maroc et d’ailleurs se sont émues de cette situation et ont interpellé le gouvernement. En vain…
Ces prisonniers qui se laissent mourir, et ces jeunes qui s’immolent parce que sans avenir sont autant d’appels au secours d’une jeunesse désespérée !
Yassine Almohali, jeune chômeur condamné à deux ans lors de manifestations à Safi, a subi de telles tortures que sa colonne vertébrale est brisée. Il ne parle plus, il a perdu la raison. Une demande de liberté provisoire a été refusée…
Le fossé entre les immensément riches – le roi et son entourage – et les plus pauvres qui tentent de survivre, est devenu un gouffre. On ne peut être indifférent à la misère des populations qui vivent de plus en plus nombreuses dans les sordides bidonvilles autour des villes, ou dans des régions montagneuses où manque le minimum vital d’infrastructures.
Le Maroc est devenu une économie somptueuse au service de visiteurs de luxe, dont le « premier TGV d’Afrique » n’est qu’un exemple criant, alors que de nombreux villages isolés ne sont desservis que par de mauvais chemins, impraticables en mauvaise saison… Chaque hiver le fait de ne pas pouvoir joindre un médecin est cause de décès au cœur du Moyen Atlas.
Il faut lire « Le roi prédateur » (le livre le plus vendu en France en mars, interdit au Maroc) pour apprendre que ce monarque admiré par la France officielle a multiplié par cinq la fortune colossale de son père et qu’il est plus riche que l’émir du Koweit. Au Maroc la source de richesse du monarque n’est pas le pétrole, mais la misère du peuple. Et la misère devient un trésor inépuisable…
Il y aurait encore tant à dire. Ces lignes ne sont qu’un petit aperçu de la situation dont ne parle pas la presse aux ordres du palais, et qui est si rarement évoquée dans la presse française qu’on pourrait imaginer des consignes de filtrage…
Le Maroc n’est plus une colonie française à exploiter, pas plus qu’il n’est l’État moderne exemplaire qu’il prétend être… Il n’est qu’à regarder le pitoyable spectacle d’un autre âge de la cérémonie d’allégeance, tous « Ses » blancs « Sujets » encapuchonnés et embabouchés prosternés devant « Lui », monté sur un cheval blanc et protégé du soleil par une ombrelle…
Une partie de plus en plus importante de la population marocaine refuse dorénavant d’être SUJET et se proclame CITOYEN. La répression la plus barbare ne lui fera pas plier l’échine. Le Mouvement du 20 février a fait disparaître la peur. C’est un immense pas en avant dont nous nous réjouissons.
Le peuple marocain et tous les défenseurs de la démocratie attendent les grands changements de politique en France. Ne les décevez pas !