Par Laurent Mauduit , mediapart, 24/4/2012

La nouvelle polémique du jour, celle qui oppose Nicolas Sarkozy à François Hollande au sujet de la fête du 1er Mai, pourrait apparaître comme une simple péripétie de la campagne présidentielle. Une péripétie secondaire, au regard des grands enjeux de l’élection, ceux qui ont trait à l’avenir d’une Europe en crise ou à ceux d’une France rongée par le chômage et la précarité. On aurait tort pourtant de ne pas s’y attarder. Car dans sa folle équipée pour draguer les voix de l’extrême droite et transformer l’UMP en un parti de droite extrême, le président sortant a franchi un pas de plus.
Un pas symbolique mais hautement révélateur, puisqu’il en est venu à imaginer une commémoration du 1er Mai qui ressemble fort à celle qu’avait conçue, en d’autres temps… le maréchal Pétain !
Nulle outrance dans ce constat ! Il transparaît des propos mêmes qu’a tenus le chef de l’Etat et de la controverse qu’elle a suscitée. Reconstituons donc d’abord la joute, pour en discerner ensuite les arrière-pensées.
Lors d'un meeting quelques heures plus tard à Saint-Cyr-sur-Loire, dans la banlieue de Tours, Nicolas Sarkozy s’applique ensuite à expliquer ce qu’est pour lui le « vrai travail ». « C'est celui qui a construit toute sa vie sans rien demander à personne, qui s'est levé très tôt le matin et s'est couché très tard le soir, qui ne demande aucune félicitation, aucune décoration, rien, c'est celui qui a commencé tout en bas, qui s'est hissé le plus haut possible et qui se dit: "je veux que mes enfants puissent vivre mieux que moi et commencer plus haut que moi" », dit-il avant d’ajouter : « Le vrai travail, c'est celui qui se dit: "oh, j'ai pas un gros patrimoine, mais le patrimoine que j'ai, j'y tiens, parce qu'il représente tellement de sueur, tellement de milliers, de milliers d'heures de travail, tellement de peine, tellement de sacrifices, tellement de souffrance, ce patrimoine-là, on ne me le volera pas, j'ai trimé pour ce patrimoine-là mais je n'ai pas l'intention de m'excuser d'avoir construit cette vie". C'est ça, le vrai travail ! (…) C'est celui qui dit : "toute ma vie j'ai travaillé, j'ai payé mes cotisations, j'ai payé mes impôts, je n'ai pas fraudé, et au moment de mourir, je veux laisser tout ce que j'ai construit à mes enfants sans que l'Etat vienne se servir". »
Le ton est donc donné.
Ayant le culot de se présenter, de nouveau, en candidat du peuple et des humbles, lui qui a arrosé de cadeaux cinq ans durant ses richissimes supporters du Fouquet’s ; ayant le front de se déguiser en candidat anti-système, lui qui a pour conseiller Alain Minc, le chef de l’Etat use d’une harangue proche de Marine Le Pen. A droite, toute ! De manière allusive, Nicolas Sarkozy suggère donc que s’il défend le « vrai travail », c’est parce que la France est aussi un pays de fainéants ; s’il en appelle aux forces vives, s’il s'adresse directement au peuple, c’est aussi parce que le pays est tiré vers le bas par les syndicats.
Attaques répétées de Sarkozy contre les syndicats
En clair, Nicolas Sarkozy annonce qu’il va organiser “son” 1er Mai – par contraste au 1er Mai des bras cassés, celui des personnels protégés et autres permanents syndicaux.
Le lendemain matin, sur France Inter, son conseiller Henri Guaino poursuit la charge sur le même registre populiste. « On avait pris l’habitude de ne voir défiler le 1er Mai que les permanents syndicaux », déplore-t-il. « Vous voulez dire qu’il y aura deux fêtes, celles des travailleurs et celle des fainéants ?» lui demande le journaliste. « Non, il y aura la fête des permanents syndicaux et il y aura la fête des travailleurs », insiste Henri Guaino. Et ces mots-là viennent de loin : voilà en effet plusieurs semaines que Nicolas Sarkozy mène campagne contre les « corps intermédiaires », comme il les a appelés ; en clair contre les syndicats, dénonçant un jour la CGT, le lendemain la CFDT, et leur reprochant de « faire de la politique » plutôt que de « défendre les intérêts des salariés ».
Henri Guaino par franceinter


Cette histoire-là, celle, glorieuse et cruelle, des combats ouvriers de la fin du XIXe siècle, comme celle, honteuse, du régime de Vichy, Nicolas Sarkozy ne l’ignore naturellement pas. Il faut donc prendre ces allusions pour ce qu’elles sont : un clin d’œil appuyé et délibéré aux heures les plus sombres de la France.
C’est Jean-François Kahn qui le dit ce mardi dans un communiqué, et c’est naturellement la morale de cette controverse Sarkozy-Hollande autour du 1er Mai : « Pour la première fois depuis des lustres, on entend un discours ouvertement pétainiste sortir de la bouche d’un président de la République encore en place. Quoi qu’on pense de Hollande, son challenger social-démocrate, l’hésitation n’est plus possible, plus tolérable : tous les républicains, tous les démocrates qui refusent, par patriotisme, le discours de guerre civile et de lacération de notre nation commune, qu’ils se réclament de Jaurès, de Clemenceau, de De Gaulle, de Mendes France ou de Robert Schuman, doivent voter de façon à barrer la route à l’apprenti sorcier et à permettre qu’on tourne cette page. »
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