L’édition du mois d’août des hebdos et des mensuels offre une
belle occasion pour mesurer le pluralisme de la presse écrite marocaine.
Regardons de plus ce qu’elle a proposé à ses lecteurs pour les
vacances.
Avant de démarrer cette revue de presse, une définition du pluralisme
s’impose. Le Maroc compte 490 publications, réparties entre 30
quotidiens, 175 hebdos, 187 mensuels et 47 périodiques avec une parution
irrégulière. Cette offre pléthorique suffit-elle à créer une presse
plurielle? La réponse est Non.
Pluralisme, de quoi parle-t-on?
L’UNESCO fixe les conditions de l’existence d’un pluralisme dans les médias comme suit :
Dans toute société démocratique, les médias doivent non
seulement être indépendants, mais aussi pluralistes. En effet, la
démocratie ne peut s’exercer que si les médias sont indépendants,
pluralistes, libres de toute emprise gouvernementale et de toute
pression politique ou économique, et s’ils peuvent accéder aux
ressources matérielles et aux infrastructures nécessaires pour produire
et diffuser leurs produits et leurs programmes.
ACRIMED,
site français spécialisé dans la critique des médias, ne limite pas le
pluralisme dans les médias à l’expression et la représentation de la
diversité des seules opinions politiques, mais “il doit (ou devrait) englober l’expression de toutes les opinions. Le pluralisme désigne alors le pluralisme des opinions de toutes natures ou, pour dire dans le langage de nombre de décisions du Conseil Constitutionnel, « le pluralisme des courants d’expression socioculturels » ou « le pluralisme des courants de pensée et d’opinion » pluralisme dont il est souligné, dans toutes les décisions correspondantes, qu’il est « en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ».
Résumons: le pluralisme n’est pas que numérique mais c’est un pluralisme des opinions et des courants de pensées. Jusqu’à quel point la presse écrite marocaine respecte cet engagement?
Unanimité et routine
Le numéro présent dans les kiosques
durant tout un mois est moment propice pour réaliser de “jolis” numéros
pour l’été, riches en rétrospectives, analyses et sujets “magazines”
faisant la part belle à la littérature ou à l’histoire. Au Maroc, c’est
un niet ! Les hebdos comme les mensuels se contentent du service
minimum.
Pour ce dernier numéro de la saison,
tous les hebdos consacrent leurs dossiers à la fête du trône. Si le
choix du sujet est tout a fait défendable, le traitement réservé à ce
thème est dans la grande majorité des cas se limite à de longues pages
de glorification et de louanges.
La censure et l’autocensure
expliquent en partie ce traitement, à cela s’ajoute des intérêts
commerciaux liés à la vente de la publicité sur les pages de
ces “spéciaux”. Un dernier élément à prendre en compte: la répétition de
ces dossiers sur la fête du trône depuis dix sept ans obéit aux
routines journalistiques. C’est désormais un “marronnier” de l’été où
chaque journal ressort quasiment les mêmes articles à l’occasion de ces
éditions.
Venu le moment de s’arrêter sur les titres de ces publications, Attention certains ne veulent strictement rien dire!
Hebdos
Maroc Hebdo: “ Mohammed VI, 17 ans de règne: Un Roi Zen”
L’Observateur: “Les 10 paris gagnés de Mohammed VI”
Le Temps: “Fête du trône: Symbiose intemporelle entre la monarchie et le peuple”
Challenge: “Fidélité aux valeurs et respect aux engagements”
La Vie Eco: “Le Maroc, modèle moderne et innovant”
La Vérité: “La Fête du Trône illustre la symbiose entre le Roi et le peuple: Le symbole du Maroc éternel”
Finance News, La Nouvelle Tribune et Le Reporter ont également consacré des spéciaux à la fête du trône
Mensuels:
Version Homme Magazine : Mohammed VI, un Roi visionnaire”
Economie & Entreprises: “ Ceux qui murmurent à l’oreille de Mohammed VI”
Le Maroc diplomatique: Portrait de Mohammed VI: Parcours trempé dans la lutte et couronné d’espérances”
Ce n’est pas une blague, même la presse satirique s’y met aussi:
Le Canard Liberé: “Le ROI DES CŒURS”
Ainsi qu’une publication de la presse féminine:
Lalla Fatéma (Groupe NewPub) : “Fidélité aux valeurs et respect aux engagements vis-à-vis du peuple marocain”
Une petite et seule exception: Telquel: “Mohammed VI, la nostalgie El Youssoufi”
Cet unanimisme de la presse écrite
marocaine rend caduque l’argument du pluralisme médiatique répété par
tous les ministres de la communication au Maroc. A quoi bon avoir 490
publications dans un pays mais qui choisissent le même traitement d’un
sujet ?
Aicha Akalay, directrice de publication de Telquel a bien résumé l’esprit de ces éditions dans son édito du mois d’août:
« Il ne faudrait pas
compter sur les intellectuels de salon, ni sur les médias biberonnés à
la publicité de connivence, pour se livrer à un exercice de bilan
honnête [du règne de Mohammed VI], mais ô combien nécessaire. Les
adeptes de la propagande décatie sont encore trop nombreux, et la peur
d’indisposer le sérail les tétanise”.
Ce pluralisme de façade est d’ailleurs sanctionné par les lecteurs qui continuent à boycotter la lecture de cette presse…
S. Lemaizi