par Aziz Enhaili, Rédacteur en chef adjoint, membre de Tolerance.ca®,18/1/2013
À l’instar d’autres puissances occidentales, le Canada appuie
''Serval.'' Une opération militaire française menée dans le nord du
Mali. Un soutien apporté par Ottawa au nom de la ''lutte contre le
terrorisme'' dans ce pays. Mais sans dépêcher de soldats sur place. Pour
le moment…
Après la chute du régime Kadhafi en automne 2011, de nombreux partisans
touaregs maliens du ''Guide'' libyen sont retournés chez eux, avec
armes et bagages, dans une région demeurée marginalisée par Bamako. Ils
ont retrouvé un pays instable en raison, entre autres, d’une
mal-gouvernance, d’une classe politique inefficace et largement
corrompue et d’une armée aux réflexes putschistes. D’ailleurs, un des
siens, le capitaine Amadou Haya Sanogo (1972-), a fomenté un coup d’État
en mars 2012, forcé la démission du président Amadou Toumani Touré et
du Premier ministre Cheick Modibo Diarra et suspendu les institutions et
la Constitution. Malgré les concessions faites aux pressions
internationales, ce putschiste demeure le véritable homme fort de
Bamako.
C’est dans ce contexte de crise politique que s’est inscrit l’apport aggravant des Touaregs de Kadhafi.
S’alliant avec les djihadistes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI)
et d’Ansar Dine, la rébellion touarègue du Mouvement national de
libération de l’Azawad (MNLA) a cru arriver l’heure de la sécession du
nord du Mali. Mais c’était sans compter, entre autres, avec l’appétit et
les ambitions de ses alliés islamistes. Sa déclaration unilatérale,
faite le 6 avril 2012, de l’indépendance de ce qu’il appelle
''l’Azawad'' ne lui a été d’aucun recours face aux alliés d’hier qui
l’ont rapidement écrasé. Un autre groupe djihadiste, le Mouvement pour
l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) ne lui a pas non
plus épargné une nouvelle défaite humiliante. C’est donc la charia
islamique à la sauce wahhabo-salafiste qui règne depuis plusieurs
mois sur plus de la moitié du Mali (les provinces de Tombouctou, Gao et
Kidal) avec comme emblème la bannière noire des salafistes. Suscitant la
peur de nombre de Maliens, l’exil de 150 mille réfugiés dans les pays
limitrophes et le déplacement à l’intérieur du pays de 250 mille
personnes. Sans oublier le patrimoine malien qui en a lui aussi
souffert.
La contribution logistique canadienne à l’effort de guerre de l’allié français
Suite aux demandes répétées des autorités politiques de Bamako (dont le
Premier ministre Diango Cissoko et son prédécesseur démis) à l’adresse
de la ''communauté internationale'', le Conseil de sécurité de l’ONU a,
le 21 décembre, adopté la résolution 2085 autorisant le déploiement
d’une force militaire internationale au Mali pour y mettre un terme à
l’expansion du terrorisme djihadiste. À la lumière du précédent afghan,
la crainte était de voir le territoire malien devenir un refuge ou
base-arrière pour groupes islamistes radicaux. À l’ombre du surplace
dans leurs négociations avec différentes parties et de l’hésitation de
plusieurs pays à intervenir, les nouveaux maîtres du nord du Mali ont
cru le temps jouer en leur faveur. C’est pourquoi ils ont, le 14
janvier, avancé vers Bamako. Une grave erreur stratégique de leur part.
Au lieu d’attendre la constitution de la force internationale avant
d'agir, le président français Françoist Hollande a sauté sur l'occasion
fournie par le nouveau développement pour entrer en jeu et autoriser les
raids aériens contre les unités rebelles, avec comme double objectif,
d'abord, de freiner leur mouvement et, ensuite, les obliger à rebrousser
chemin. Surprenant l’adversaire. Tout comme nombre d’alliés, y compris
le Canada.
Le Mali fait partie des pays bénéficiaires de l’aide canadienne au
développement. Il a reçu, à titre d’exemple, en 2011 une enveloppe de
110 millions de dollars. Ceux qui voulaient qu’Ottawa intervienne dans
le conflit malien devaient être déçus d’entendre en septembre dernier le
ministre canadien des Affaires étrangères rejeter cette idée. Au lieu
d’envoyer des soldats ou apporter une aide logistique à Bamako, John
Baird a exprimé sa préférence pour les pressions diplomatiques sur les
autorités maliennes.
Mais il n’a pas fallu attendre longtemps avant de voir un premier signe
d’évolution de la position canadienne. Mais cette fois, c’était autour
du ministre de la Défense d’entrer en scène. Peter MacKey a, à la fin du
mois de décembre, évoqué l'idée que le type d’aide militaire canadienne
à apporter était à l'étude. Mais si Ottawa devait contribuer à
l’entrainement de soldats africains, cela ne serait pas une incongruité.
Rappelons-nous à ce propos d’un fait: les forces spéciales canadiennes
avaient formé des unités maliennes et sont également en train de former,
sur le sol nigérien des troupes attendues au nord du Mali pour en
reprendre le contrôle. C’est dire l’engagement militaire indirect du
Canada dans cette région.
Si la déclaration de M. MacKay pouvait réjouir les partisans d’une
participation militaire canadienne au conflit malien, cela était de
courte durée. Conformément à la déclaration faite, le 8 janvier, par le
Premier ministre, le Canada n’envisageait pas de «mission militaire au
Mali»! Et de préciser que le pays va en revanche apporter de l’aide
humanitaire à la région et encourager les négociations en collaboration
avec ses alliés africains et occidentaux.
Mais, cette déclaration n'a pas empêché la survenue, le 14 janvier,
d'un nouveau glissement! Dans un communiqué de presse, Stephen Harper
s’est dit inquiet de «l'établissement des terroristes dans cette région,
au cœur de l'Afrique» et a déclaré que le Canada était «disposé», non à
participer «directement à une mission militaire au Mali», mais à
«fournir un soutien logistique limité et clairement défini pour assister
les forces qui interviennent au Mali», conformément à la résolution
2085. C’est pourquoi il a déclaré mettre, durant une semaine, à la
disposition de ''Serval'', la mission française, «un avion (militaire)
de transport C-17». Cet avion-cargo devra appuyer les opérations de
l’armée française.
Cette contribution logistique est une réponse à la demande d’aide faite
par Paris relativement au transport d'équipement lourd par voie
aérienne vers Bamako.
Ce volet logistique s’ajoute, toujours selon le communiqué du Premier
ministre Harper, à d’autres volets, à savoir «l'aide humanitaire et
l'aide au développement» fournies à ce pays.
On est donc loin d’une participation militaire directe aux combats contre les rebelles.
Le jeudi 17 janvier, l’avion-cargo canadien a par conséquent atterri
dans la capitale malienne. Il transportait, en plus de véhicules
blindés, de l'équipement et 900 kg de batteries. Si l’ambassadeur
français Philippe Zeller a, dans un premier temps, remercié le
gouvernement conservateur pour cette assistance logistique (Cf.
l'entrevue accordée à Anne-Marie Dussault, Émission "24 heures en 60
minutes", RDI, 15 janvier), Paris lui a demandé, le jour même de
l'atterrisage du C-17 à Bamako, d’en prolonger la durée. Mais si
l’ambassadrice du Mali Traoré Ami Diallo en a parlé comme si c’était une
chose déjà acquise, le gouvernement canadien a quant à lui annoncé ne
pas en avoir pris encore de décision.
***
Même si Stephen Harper donne l’impression de freiner des quatre fers,
il n’est pas exclu qu’il cède advenant le cas où la crise malienne
s’emballe et force la redistribution des cartes et donc la dépêche des
troupes sur le terrain des opérations. Si ce glissement devait survenir,
l’opposition ne manquerait pas se faire entendre.