Par Julie Jaroszewksi :
« Cette après midi nous étions cent face aux ministères des affaires étrangères, pour tenter de faire entendre nos voix et relayer ainsi celle d’Ali Aarrass.
Il y a l’épuisement dans la lutte, celui qui fait face à tant de racisme institutionnalisé, l’épuisement après avoir gagné deux fois devant le tribunal et arraché une décision de justice imposant à l’état belge d’apporter à Ali Aarrass une assistance consulaire. Celui de voir Reynders parader sur les plateaux de RTL, jurant qu’il fait tout son possible alors qu’au même moment il pourvoit en cassation afin de faire invalider cette décision de justice. Celui de voir le journaliste laisser passer, et continuer son show sensationnaliste plutôt que de mener à bien sa mission d’information. Il lui demande de fermer les yeux et de se souvenir sincèrement de son enfance. Reynders parle de son père. Son visage est lisse et sincère.
Il y a l’abasourdissement face à tant de cynisme.
Et puis au milieu de cette petite foule, consciente des enjeux, il y a les cris spontanés de colère d’une sœur. Sa révolte est belle, et sa gorge ne s’est pas nouée, elle crie, elle crie dignement face à tant de honte à être ainsi dépossédé de droits les plus élémentaires. Elle crie pour cent, elle crie pour mille.
Il y a Houria, la femme d’Ali. Il y a Farida, sa soeur. Il y a Luk. Alors que nous sommes là pour les soutenir, au final ce sont eux qui nous soutiennent dans la lutte. Pour ne pas lâcher. Et au final, alors que nous soutenons Ali, c’est lui qui nous soutient pour continuer et tenir bon, non pas pour lui seulement, mais pour le droit. Pour qu’un citoyen vaille un citoyen, et ce même s’il est un belgo-machin.
Il pleut, il fait froid, et nous pleurons. Parce que nous menons cette lutte depuis 7 ans et demi. Parce qu’elle fût médiatisée, parce que les associations nous ont rejoint, parce que la justice nous a donné raison et que rien ne change. Ali est toujours en prison, innocent, tabassé, malmené. En danger de mort imminente aujourd’hui.
Je vous écris aussi pour vous dire ma honte, celle d’être dans cette petite foule si peu nombreux.
La honte de n’être dans ces 100 qu’une petite dizaine de belges aux yeux bleu.
Il y a aussi une formidable parlementaire, comme il en faudrait cent.
Malgré la peine, le découragement, je vous écris pour peindre cet instant. Parce qu’il y avait sous la pluie et le silence cette après midi en bas des fenêtres de notre ministère des affaires étrangères (confisqué par le pouvoir renégat de quelques hommes cyniques) tant d’humanité.
Demain Ali entame son 52ème jour de grève de la faim. Nous ne savons pas s’il est à l’hôpital ou en prison. Cet homme a décidé d’aller jusqu’au bout, dignement car il est innocent. Il a décidé d’endosser le combat dans toutes les dimensions de ses enjeux.
Je vous écris car j’aimerais vous y retrouver. Aussi parce que je crois, comme on dit au Burkina que « notre nombre est notre force ». Et que nos forces aujourd’hui manquent cruellement de nombre.
La semaine prochaine nous entamerons une grève de la faim en solidarité. Car nous n’avons plus d’autres moyens d’action. »
Par Farida Aarrass :
« Je remercie infiniment toutes celles et ceux qui étaient là avec nous à ce rendez vous devant le ministère des Affaires étrangères, malgré le temps pluvieux et froid d’aujourd’hui. Merci beaucoup de nous avoir témoigné votre solidarité et votre plus qu’appréciable soutien à la cause d’Ali qui se trouve à l’heure actuelle en grand danger.
Je remercie tous ceux et celles qui voulaient être là mais qui n’ont pas pu pour les raisons qui sont les leurs et que je ne me permettrai jamais de discuter.
Le combat pour sortir cet homme innocent de cet horrible cauchemar est loin d’être gagné.
Il nous incombe de nous unir, tous et autant que nous sommes à vouloir que justice soit faite à Ali Aarrass. Tous autant que nous sommes à avoir compris qu’il s’agit d’une terrible situation dont le dénouement dépendra surtout de notre intervention et implication à tous.
Nous ne baisserons pas les bras, et continuerons à réclamer, à exiger que justice soit rendue à Ali.
Nous sommes tous belges et égaux devant la loi, et devons donc pouvoir jouir des mêmes droits.
Les prétextes utilisés par les autorités belges pour justifier leur non intervention, nous prouvent une fois de plus qu’il s’agit d’une raison bien plus grave que celle qu’on croit.
Car les autorités belges en se ventant d’avoir d’excellentes relations avec le Maroc et qu’ils ne voudraient en aucun cas les froisser en allant rendre visite à Ali Aarrass, ont été (et ça on le savait déjà) jusqu’à introduire un pourvoi en cassation ici en Belgique, ce qu’il s’est empressé d’annoncer à son homologue marocain… Oui, il s’agit de ne pas entacher leur relation qui se veut si bonne.
D’une autre part, la Cassation devrait, si elle est gagnée par l’État belge, empêcher la création d’une jurisprudence, d’un précédent juridique. Ce qui pourrait aider à tous les détenus belgo-marocains qui ont été victimes de torture. C’est du moins ce qui peut découler comme idée dans un premier temps lorsqu’on apprend cette information.
Mais en examinant le tout et si je me fie à mon instinct, il me semble que ce qui embête le plus les autorités belges, et ici en l’occurrence monsieur le ministre des Affaires Etrangères, Didier Reynders, c’est de devoir répondre à l’ordonnance de la juge belge qui est exécutoire malgré le pourvoi en cassation. Ce qui exige qu’une visite hebdomadaire soit rendue à Ali Aarrass… au risque (je me répète) de fâcher ces excellentes relations avec le Maroc.
Et c’est là que je me pose la question suivante qui me turlupine depuis l’entrevue avec le Consul belge à Rabat, depuis l’entretien cet après midi avec le représentant du cabinet :
« Mais qu’aurait donc à perdre le ministre s’il en venait à heurter les autorités marocaines ? «
J’ai une petite idée, mais je me la garde pour l’instant….
Ce qui est sûr et certain par contre et malgré qu’on m’ait confirmé le contraire cet après midi au ministère, c’est qu’ils ne maîtrisent pas du tout le dossier d’Ali Aarrass, car ils ont été incapables de répondre à des questions clés concernant le dossier, et se sont fait piéger à plus d’une reprise.
Merci à vous de continuer à suivre cette affaire et revenons à ce qu’il y a de plus humain que tout le reste, la situation difficile que vit Ali à l’heure actuelle, dont j’ignore s’il a été amené ou pas à l’hôpital pour être pris en charge.
Je ne manquerai pas de vous tenir informés de la suite quant à son état de santé dès que j’aurai des nouvelles, et vous remercie encore et encore de tenir bon à nos côtés. »