Photo : Marie-Jo Fressard signe son livre |
Avant
le parrainage je ne vous connaissais pas les 2 Ahmed, c’est par
vous que j’ai appris les premières années de votre internement.
Toi,
tu étais fonctionnaire et Ahmed Chaïb était étudiant.
Tous
deux vous étiez militants de la jeunesse islamique, une composante
du « groupe des 71 », tous très critiques vis-à-vis du
régime de Hassan II et de sa politique concernant la question
palestinienne.
En
aout 1983 lors d’une distribution de tracts hostiles au régime,
une partie des militants de ces groupes a été arrêtée. Vous en
faites partie et vous allez connaître la torture au centre de
détention secret Derb Moulay Cherif, 6 mois les mains menottées
dans le dos et les yeux bandés.
Vous
êtes jugés lors d’un procès mascarade, sans avocats, sans
témoins. Les sentences basées sur des aveux obtenus par des séances
de tortures sont violentes: le 31 juillet 1984 c’est la peine
capitale pour 14 d’entre vous, et vous, les 2 Ahmed, vous en faites
partie.
Vous
connaitrez alors les pires prisons du royaume : la prison
centrale de Kenitra et son quartier de la mort, la « prison
cimetière » de Ghbila, et bien d’autres encore.
Comme
tous vos codétenus vous refusez cette situation inhumaine, et vous
cherchez à la faire connaître par des grèves de la faim
illimitées, seul moyen de protestation et de lutte de tous les
prisonniers au monde. Plusieurs d’entre vous iront jusqu’à la
mort, sans l’intervention d’une équipe médicale, ce qui est
contraire aux conventions internationales.
Quelques
mois plus tard vous serez désignés par vos codétenus pour tenter
une évasion pour dénoncer la violation des droits humains dans les
prisons marocaines. L’évasion échoue, un gardien est tué, ce qui
bien sûr, n’était pas dans vos intentions.
Vous
êtes condamnés à mort une deuxième fois.
Cette condamnation
sera commuée en condamnation à perpétuité le 4 mars 1994 lors de la fête du trône.
Petit
à petit, vos codétenus sont libérés par grâces royales.
Et
lorsque, en 2003 je deviens ta « marraine » vous n’êtes
plus que 6 prisonniers politiques condamnés à perpétuité à la
prison d’Oukacha.
Depuis
mon enfance j’ai été fascinée par le Maroc et le monde carcéral,
et voilà que par un enchainement de hasards, que je développe dans
le livre, je me trouve marraine d’un prisonnier politique marocain
qui s’appelle Ahmed Chahid,
ici présent, rejoint quelques mois plus tard par un prisonnier qui a presque le même nom : Ahmed Chaïb, ou Chayeb. Vous vous connaissez et tous deux vous avez déjà passé 20 ans derrière les barreaux.
ici présent, rejoint quelques mois plus tard par un prisonnier qui a presque le même nom : Ahmed Chaïb, ou Chayeb. Vous vous connaissez et tous deux vous avez déjà passé 20 ans derrière les barreaux.
Vos
5 dernières années de prison, durant mon parrainage, sont
ponctuées d’évènements très graves, mais aussi de beaux moments
où l’espoir prend le dessus.
L’attentat
de Casablanca du 16/5/2003 qui fait 41 victimes, anéantit votre
espoir d’être libérés à l’occasion de la naissance d’un
enfant dans la famille royale. Les libérations des autres codétenus,
par bon vouloir royal, se poursuivent et vous laissent
progressivement seuls derniers prisonniers politiques d’Oukacha, et
aussi les plus anciens prisonniers politiques du Maroc et parmi les
plus anciens du continent africain.
Nous
échangeons des lettres par l’intermédiaire d’Aïcha, ton
épouse. Ces lettres sont le reflet d’un courage admirable,
encouragé par l’Instance Equité et Réconciliation, l’IER,
créée par le palais, sensée tourner la page des années de plomb.
Comme vous avez été incarcérés durant les années de plomb, en
toute logique vous deviez être libérés. Mais la réalité nous
fait comprendre que la plupart des belles résolutions de l’IER ne
seront pas tenues. Ahmed Chaïb m’expliquera pourquoi vous, tous
les derniers prisonniers, avez été volontairement « oubliés »:
vous étiez une réserve d’otages que la monarchie utilisait petit
à petit pour vous libérer à des fins de propagande.
Ahmed Chahid
Comme
j’avais hâte de faire votre connaissance, je me suis renseignée
auprès d’amis militants pour savoir de quelle façon je dois m’y
prendre pour avoir des chances de vous rencontrer en prison. Une
seule tentative sur 3 me permettra, en 2005, de rentrer dans cette
sinistre prison d’Oukacha et de vous rencontrer enfin.
Pendant
qu’avec ton épouse Aïcha et tes deux filles, Souad et Oumaima (il
manque Yassine pour être au complet) vous bavardez d’un côté de
ce grand parloir, ton codétenu Ahmed Chaïb, à l’écart, me
raconte vos interminables années de prison, et les raisons de votre
tentative d’évasion.
Le
contact avec les gardiens est assez cordial. Belle journée de
rencontre qui a mis du baume au cœur !
Avec
l’arrivée d’un nouveau directeur au comportement tyrannique,
vous allez connaître des conditions de vie carcérale inhumaines,
contraires aux conventions internationales. Vous en êtes réduits à
entamer en décembre 2006 une grève illimitée de la faim.
Abderrahman,
votre ancien codétenu et ami fidèle nous informe jour après jour
de votre état de santé. Vous allez de plus en plus mal, surtout
Ahmed Chaïb qui est maintenu en vie par des perfusions.
Nous
envoyons des lettres ouvertes, des pétitions, des lettres aux
associations, aux notables (roi, conseillère du roi) à
plusieurs ministres marocains, à des parlementaires français, etc,
et à la presse marocaine et française pour dénoncer votre tragique
situation et les traitements dégradants dont vous êtes victimes.
Des manifestations sont organisées, des pétitions sont signées.
C’est une époque de belle mobilisation, surtout par l’AMDH au
Maroc et l’ACAT en France.
Le
15 janvier 2007, après plus de 40 jours de grève de la faim, votre
remarquable courage et les efforts de tous les militants débouchent
sur une première victoire : La perpétuité commuée en peine
de 25 ans !
Vous
vous séparez selon vos vœux. Pour terminer les 2 dernières
années de détention, tu restes à Oukacha, où tu continues à
subir la cruelle barbarie de ton directeur, Chaïb va à Bourkaïz
près de Fès, non loin de sa famille, où il sera intégré à un
groupe de prisonniers étudiants islamistes.
En
mai 2008, après un quart de siècle dans les geôles de HassaII,
puis de Mohammed VI, à une semaine d’intervalle comme lors de vos
arrestations, vous êtes enfin libérés.
Ambiance
de fête pour ta sortie de prison, ambiance plus réservée pour
Chaïb qui ne souhaitait pas être attendu par sa famille, ni par des
associations.
Suit
une période d’adaptation à un monde qui n’a plus rien à voir
avec celui que vous avez quitté un quart de siècle auparavant.
Voilà
7 ans que vous avez retrouvé la liberté. Nous nous sommes revus.
Nous avons fait quelques passages à Casablanca dans ta famille, et
en compagnie d’Aïcha, d’Abderrahman et de toi nous avons passé
quelques jours dans la belle région de Chia Ma près de Safi où tu
as fait construire un moulin et une petite maison à ta sortie de
prison. Beau projet qui n’a pas tenu ses promesses et que tu as dû
abandonner.
Ahmed
Chaïb a accompagné plusieurs fois notre groupe de Solidarité
Maroc lors de nos voyages dans le sud du Maroc pour montrer la
cuisson solaire aux nomades.
http://prisonnierseuropeensaumaroc.blogspot.be/2015/10/rabat-8-octobre-presentation-du-livre.html
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