Chers amis lecteurs de solidmar,

Solidmar est fatigué ! Trop nourri ! En 8 ans d’existence il s’est goinfré de près de 14 000 articles et n’arrive plus à publier correctement les actualités. RDV sur son jumeau solidmar !

Pages

mardi 13 octobre 2015

Rabat 8 octobre, présentation du livre « Marraine des deux plus anciens prisonniers politiques marocains » par Marie-Jo Fressard.





Photo : Marie-Jo Fressard signe son livre
Avant le parrainage je ne vous connaissais pas les 2 Ahmed, c’est par vous que j’ai appris les premières années de votre internement.



Toi, tu étais fonctionnaire et Ahmed Chaïb était étudiant.


Tous deux vous étiez militants de la jeunesse islamique, une composante du « groupe des 71 », tous très critiques vis-à-vis du régime de Hassan II et de sa politique concernant la question palestinienne.



En aout 1983 lors d’une distribution de tracts hostiles au régime, une partie des militants de ces groupes a été arrêtée. Vous en faites partie et vous allez connaître la torture au centre de détention secret Derb Moulay Cherif, 6 mois les mains menottées dans le dos et les yeux bandés.



Vous êtes jugés lors d’un procès mascarade, sans avocats, sans témoins. Les sentences basées sur des aveux obtenus par des séances de tortures sont violentes: le 31 juillet 1984 c’est la peine capitale pour 14 d’entre vous, et vous, les 2 Ahmed, vous en faites partie.



Vous connaitrez alors les pires prisons du royaume : la prison centrale de Kenitra et son quartier de la mort, la « prison cimetière » de Ghbila, et bien d’autres encore.



Comme tous vos codétenus vous refusez cette situation inhumaine, et vous cherchez à la faire connaître par des grèves de la faim illimitées, seul moyen de protestation et de lutte de tous les prisonniers au monde. Plusieurs d’entre vous iront jusqu’à la mort, sans l’intervention d’une équipe médicale, ce qui est contraire aux conventions internationales.



Quelques mois plus tard vous serez désignés par vos codétenus pour tenter une évasion pour dénoncer la violation des droits humains dans les prisons marocaines. L’évasion échoue, un gardien est tué, ce qui bien sûr, n’était pas dans vos intentions.


Vous êtes condamnés à mort une deuxième fois. Cette condamnation sera commuée en condamnation à perpétuité le 4 mars 1994 lors de la fête du trône.



Petit à petit, vos codétenus sont libérés par grâces royales.



Et lorsque, en 2003 je deviens ta « marraine » vous n’êtes plus que 6 prisonniers politiques condamnés à perpétuité à la prison d’Oukacha.



Depuis mon enfance j’ai été fascinée par le Maroc et le monde carcéral, et voilà que par un enchainement de hasards, que je développe dans le livre, je me trouve marraine d’un prisonnier politique marocain qui s’appelle Ahmed Chahid,
ici présent,  rejoint quelques mois plus tard par un prisonnier qui a presque le même nom : Ahmed Chaïb, ou Chayeb. Vous vous connaissez et tous deux vous avez déjà passé 20 ans derrière les barreaux.



Vos 5 dernières années de prison, durant mon parrainage, sont ponctuées d’évènements très graves, mais aussi de beaux moments où l’espoir prend le dessus.



L’attentat de Casablanca du 16/5/2003 qui fait 41 victimes, anéantit votre espoir d’être libérés à l’occasion de la naissance d’un enfant dans la famille royale. Les libérations des autres codétenus, par bon vouloir royal, se poursuivent et vous laissent progressivement seuls derniers prisonniers politiques d’Oukacha, et aussi les plus anciens prisonniers politiques du Maroc et parmi les plus anciens du continent africain.

Nous échangeons des lettres par l’intermédiaire d’Aïcha, ton épouse. Ces lettres sont le reflet d’un courage admirable, encouragé par l’Instance Equité et Réconciliation, l’IER, créée par le palais, sensée tourner la page des années de plomb. Comme vous avez été incarcérés durant les années de plomb, en toute logique vous deviez être libérés. Mais la réalité nous fait comprendre que la plupart des belles résolutions de l’IER ne seront pas tenues. Ahmed Chaïb m’expliquera pourquoi vous, tous les derniers prisonniers, avez été volontairement « oubliés »: vous étiez une réserve d’otages que la monarchie utilisait petit à petit pour vous libérer à des fins de propagande.

Ahmed Chahid
 

Comme j’avais hâte de faire votre connaissance, je me suis renseignée auprès d’amis militants pour savoir de quelle façon je dois m’y prendre pour avoir des chances de vous rencontrer en prison. Une seule tentative sur 3 me permettra, en 2005, de rentrer dans cette sinistre prison d’Oukacha et de vous rencontrer enfin.



Pendant qu’avec ton épouse Aïcha et tes deux filles, Souad et Oumaima (il manque Yassine pour être au complet) vous bavardez d’un côté de ce grand parloir, ton codétenu Ahmed Chaïb, à l’écart, me raconte vos interminables années de prison, et les raisons de votre tentative d’évasion.



Le contact avec les gardiens est assez cordial. Belle journée de rencontre qui a mis du baume au cœur !



Avec l’arrivée d’un nouveau directeur au comportement tyrannique, vous allez connaître des conditions de vie carcérale inhumaines, contraires aux conventions internationales. Vous en êtes réduits à entamer en décembre 2006 une grève illimitée de la faim.



Abderrahman, votre ancien codétenu et ami fidèle nous informe jour après jour de votre état de santé. Vous allez de plus en plus mal, surtout Ahmed Chaïb qui est maintenu en vie par des perfusions.



Nous envoyons des lettres ouvertes, des pétitions, des lettres aux associations, aux notables (roi, conseillère du roi) à plusieurs ministres marocains, à des parlementaires français, etc, et à la presse marocaine et française pour dénoncer votre tragique situation et les traitements dégradants dont vous êtes victimes. Des manifestations sont organisées, des pétitions sont signées. C’est une époque de belle mobilisation, surtout par l’AMDH au Maroc et l’ACAT en France.



Le 15 janvier 2007, après plus de 40 jours de grève de la faim, votre remarquable courage et les efforts de tous les militants débouchent sur une première victoire : La perpétuité commuée en peine de 25 ans !



Vous vous séparez selon vos vœux. Pour terminer les 2 dernières années de détention, tu restes à Oukacha, où tu continues à subir la cruelle barbarie de ton directeur, Chaïb va à Bourkaïz près de Fès, non loin de sa famille, où il sera intégré à un groupe de prisonniers étudiants islamistes.



En mai 2008, après un quart de siècle dans les geôles de HassaII, puis de Mohammed VI, à une semaine d’intervalle comme lors de vos arrestations, vous êtes enfin libérés.

Ambiance de fête pour ta sortie de prison, ambiance plus réservée pour Chaïb qui ne souhaitait pas être attendu par sa famille, ni par des associations.



Suit une période d’adaptation à un monde qui n’a plus rien à voir avec celui que vous avez quitté un quart de siècle auparavant.



Voilà 7 ans que vous avez retrouvé la liberté. Nous nous sommes revus. Nous avons fait quelques passages à Casablanca dans ta famille, et en compagnie d’Aïcha, d’Abderrahman et de toi nous avons passé quelques jours dans la belle région de Chia Ma près de Safi où tu as fait construire un moulin et une petite maison à ta sortie de prison. Beau projet qui n’a pas tenu ses promesses et que tu as dû abandonner.



Ahmed Chaïb a accompagné plusieurs fois notre groupe de Solidarité Maroc lors de nos voyages dans le sud du Maroc pour montrer la cuisson solaire aux nomades.



http://prisonnierseuropeensaumaroc.blogspot.be/2015/10/rabat-8-octobre-presentation-du-livre.html

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire