J’écris
ces lignes alors que les 1,8 millions d’habitants du territoire
palestinien de Gaza vivent dans les plus grandes difficultés, et les
plus grandes incertitudes. Le bilan provisoire est de 1800 morts et plus
de 6 000 blessés graves, dont 85% de civils. L’électricité est là
quelques heures par jour, l’eau manque, et le pays est en ruine. Les
familles pleurent leurs morts. Venus s’occuper de tunnels, les soldats
israéliens ont rayé de la carte des quartiers entiers et détruit des
infrastructures essentielles à la population civile (hôpitaux, écoles,
centrale électrique…). Rien de significatif ne se dégage sur le blocus
de Gaza, qui est en lui-même un crime de guerre.
Alors,
est-ce le moment de parler de la procédure quand l’idée d’un procès
semble à des années lumières des besoins urgents d’un peuple qui demande
seulement à vivre ?
Oui,
c’est le moment. D’abord, car nos amis Palestiniens nous le demandent.
Ensuite, parce que nous n’avons jamais été aussi près du but : combattre
l’impunité d’Israël devant une juridiction internationale.Le ministre de la justice Saleem Al-Saqqa est clair : la procédure doit se poursuivre.
I
Où en est-on ?
L’action
juridique est un relais de la Résistance palestinienne, et elle ne
s’arrêtera pas. Pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons, la
plainte engagée au nom du Ministre de la Justice de l’Etat de Palestine
et du Procureur général de Gaza a été rejetée par la Procureure de la
Cour pénale internationale. Mais ce n’est qu’une toute petite étape au
regard de ce qui été fait et de ce qui sera fait. Notre détermination
est intacte.
En synthèse ?
Voici en synthèse le bilan :
1/
La plainte déposée le 25 juillet 2014 a été classée par la Procureure.
C’est une mesure, illégale sur la forme comme sur le fond, et qui,
quoiqu’il en soit, n’a pas d’autorité de chose jugée;
2/ La motivation retenue par la Procureure est une aberration juridique, qui n’est partagée par aucun Professeur de droit ;
3/
L’unanimité des Professeurs de droit a dit que la Palestine peut donner
compétence à la Cour pénale internationale par une déclaration de
compétence (art ; 12.3) ;
4/
Du fait de cette plainte, s’est créé un consensus dans la classe
politique palestinienne pour se décider à ratifier le Statut de la CPI,
et c’est là une immense avancée, qui change tout ;
5/
La procédure engagée était parfaitement valable car elle comprenait une
dénonciation de faits (Art. 15.1) et une déclaration confirmative de
compétence (Art. 12.3) par le ministre de la justice ;
6/
La visite du Ministre palestinien des affaires étrangères, M. Al-Malki,
au siège de la CPI le 5 aout 2014, reste un épisode regrettable car la
plainte qui était en cours auparavant ne l’était plus après ;
7/Cette
étape laissera inévitablement des traces, car il était très facile de
contourner l’obstacle levé par la Procureure, mais les forces lancées
sont telles que tôt ou tard, la CPI sera saisie du dossier des crimes
commis en Palestine.
8/
Si la Procureure trouve un nouvel échappatoire pour rejeter la demande
du peuple palestinien, elle aura porté un nouveau coup, cette fois
fatal, à la CPI, qui est déjà au cœur de bien des critiques.
9/
Le mouvement Hamas, décrété terroriste en Europe, s’en remet à la
justice, alors qu’Israël la refuse, et que les pays occidentaux tente de
barrer la route à la Palestine. C’est tout un pan de propagande qui
s’écroule sous nos yeux, et qui change toute la donne au Proche-Orient.
2
Quelle procédure a été engagée ?
Monsieur
Saleem Al-Saqqa, Ministre de la Justice de Palestine et Monsieur Ismail
Jabr, Procureur Général de la Cour de Gaza ont, le 25 juillet 2014,
déposé une plainte fondée sur l’article 15.1 du statut auprès de Madame
Fatou Bensouda, Procureure près la Cour pénale internationale,
concernant les crimes de guerre commis par l’armée israélienne en juin
et juillet 2014 en Palestine, dans le contexte de l’opération militaire
appelé « Bordure protectrice ».
La plainte visait les infractions suivantes, qui sont toutes des crimes de guerre définis par le statut de la CPI :
- Homicide intentionnel
- Attaques portées contre des civils
- Attaques causant incidemment des pertes en vies humaines, des blessures et des dommages excessifs
- Destruction et appropriation de biens
- Crime de colonisation
- Crime d’apartheid
- Violation des règles du procès équitable
Dans
leur plainte, Monsieur Saleem Al-Saqqa, Ministre de la Justice de
Palestine et Monsieur Ismail Jabr, Procureur Général de la Cour de Gaza
ont demandé à Mme la Procureur de saisir la chambre préliminaire de la
Cour pénale internationale pour qu’elle autorise l’ouverture d’une
enquête sur les crimes commis à Gaza.
Quatre
jours plus tard, a été adressée au bureau du procureur la déclaration
confirmative de compétence. C’est le schéma qui avait été suivi pour
l’affaire Gbagbo. Nous avons donc respecté ce précédent.
La procédure était-elle régulière ?
Elle l’était parfaitement, et elle le reste.
Pour
accepter un Traité, un Etat doit le signer et le faire ratifier par son
parlement. La Palestine ne l’a hélas pas fait. La procédure que nous
avons engagée a montré que c’était une posture intenable, et il y a
désormais un consensus pour le faire, ce qui est un acquis considérable.
Donc, c’est juste une question de temps, et bien sûr, le plus tôt sera
le mieux.
Mais
le statut prévoit un mode dérogatoire : un gouvernement peut donner
compétence à la Cour par une simple déclaration. C’est ce qu’avait le
ministre de la justice de Palestine en janvier 2009, et c’est ce que
nous avons fait ce mois de juillet 2014, par une déclaration
confirmative.
On dit que c’était voué à l’échec car c’était une démarche personnelle ?
Ceux
qui disent cela parlent sans savoir. Ils n’ont pas lu les actes de la
procédure, et n’ont pas cherché à me contacter. Je me contenterai de
dire que la plainte et les mandats ont bien été signés au nom de l’Etat
de Palestine, par les autorités compétentes en droit interne. Ces pièces
sont désormais publiques.
On dit que le ministre de la justice n’avait pas compétence...
En
janvier 2009, c’est le Ministre de la Justice qui avait saisi la CPI,
et personne n’avait critiqué cela. En 2014, le Ministre palestinien de
la justice en exercice a saisi la CPI en sa qualité d’autorité
gouvernementale. En 2014 comme en 2009, le ministre a agi en engageant
le gouvernement. Je n’ai lu aucune déclaration officielle disant le
contraire.
En novembre 2009, l’assemblée générale de l’ONU a demandé à chaque partie – Israël et la Palestine – de juger les crimes de Plomb Durci. C’est
dire que l’AG ONU avait reconnu l’existence du pouvoir juridictionnel
de la Palestine. Aussi, le Procureur général de Gaza, qui ne pouvait
envisager un procès à Gaza, était parfaitement en droit de dénoncer les
faits auprès de la CPI, ce qui est conforme au principe de
complémentarité prévu par le Statut de Rome.
J’ai
pu lire également que le Procureur général ne pouvait donner compétence
à la Cour. Cette critique est à nouveau sans objet car deux actes ont
été faits, conformément à la règle :
- une dénonciation des faits, signée par le ministre et le procureur ;
- une déclaration confirmative de compétence, signée par le ministre.
Tout est donc très clair.
La Palestine n’a pas ratifié le traité de la CPI. Et Israël non plus…
Le
fait qu’Israël n’ait pas ratifié le statut n’est pas un problème car la
compétence de la Cour est liée au lieu de commission des crimes. Depuis
la déclaration de compétence de 2009, la compétence de la CPI est donc
acquise pour les crimes commis sur le territoire de l’Etat de Palestine.
3
Le communiqué de rejet de la Procureure
La
Procureure affirme dans un communiqué du 5 août que cette déclaration
de 2009 ne serait plus valable car la Palestine a été reconnue comme
Etat observateur non membre de l’ONU en novembre 2012. Elle est la seule
à tenir ce type de raisonnement et ne l’explique pas.
C’est
de plus un excès de pouvoir. Seule une décision de la Cour pourrait
dire cette procédure nulle… mais la cour n’a jamais été saisie par la
Procureure…
C’est
tout le problème de l’action de la Palestine devant la Cour pénale
internationale. Depuis le début de la procédure en 2009, le bureau du
Procureur fait de la rétention en s’accaparant le pouvoir des juges. Or,
c’est à eux – et à eux seuls – qu’il appartient de dire si la Cour est
compétente, et donc de trancher la question de la validité de la
déclaration de compétence du 22 janvier 2009.
L’analyse
est certaine car elle se fonde sur un principe cardinal du droit du
contentieux international. C’est le principe « kompetenz-kompetenz ».
Seuls les juges – et non le Bureau du Procureur qui n’est que l’organe
de poursuite de la Cour – ont le pouvoir de décider si la Cour est
compétente pour juger les crimes commis à Gaza. Bien entendu, la plainte
s’appuie sur ce principe fondamental et le Bureau du Procureur devra
tôt ou tard se justifier devant la Cour et expliquer pourquoi il a
délibérément décidé de l’ignorer.
Le Ministre palestinien des affaires étrangères, M. Al-Malki, venait de rencontrer la Procureure. Que s’est-il passé ?
Chacun
espère que le Ministre palestinien des affaires étrangères expliquera
ce qui s’est passé dans le bureau de la Procureure, car les questions
sont lourdes… On ne peut pas rester dans le non-dit.
Pour
dire que la Cour ne serait pas compétente, la Procureure explique que
la déclaration de compétence de 2009, confirmée par le ministre de la
justice en 2014, n’est plus valable car la Palestine est reconnue Etat
observateur à l’ONU en 2012. Si c’est vraiment ça l’argumentaire, il
suffisait de refaire une nouvelle déclaration de compétence au greffe de
la Cour, qui aurai aurait rétroagi à 2002, et donc validait la
procédure. Attendons des déclarations explicites, car à ce stade, c’est
incompréhensible, et ce qui s’est passé est très choquant.
La décision de la procureure est-elle un obstacle définitif ?
Non.
La Procureure a clairement excédé les pouvoirs que lui confère le
Statut. Le bureau du Procureur est un organe de poursuite de la Cour, et
ce n’est pas à lui de déterminer si la Cour est compétente. Comme je
l’ai déjà expliqué plus haut, c’est une compétence de la Cour. Je pense
qu’il y a eu de la précipitation. Il faut maintenant revenir au respect
des textes.
Y a-t-il eu dialogue avec la Procureure ?
Non.
Nous lui avons écrit à deux reprises pour obtenir un rendez-vous, et
organiser le travail pour la bonne suite de cette plainte. Elle ne nous a
pas répondu, ce qui finit d’enlever toute valeur à sa décision. Toute
personne a droit à un procès équitable, c’est-dire à voir sa cause
examinée dans la contraction des arguments. Ici, la procureure a refusé
d’ouvrir le moindre débat alors que deux hautes autorités
institutionnelles s’adressaient à elle. Ces autorités l’ont fait dans
les plus grandes difficultés, c’est-à-dire pendant des bombardements qui
les obligeaient à la clandestinité. Cet appel à la justice incarnait
l’esprit de résistance à la violence. Leurs bureaux avaient été
bombardés et les victimes tombaient chaque jour : pour la procureure,
c’était un problème mineur. Cela montre, aux yeux du grand public, des
dysfonctionnements majeurs dans ce que doit être la justice
internationale.
Si elle continue comme ça, la CPI va devenir la Cour pénale de l’injustice, et elle périra. Elle est déjà très malade.
On dit que le Hamas s’opposerait à la procédure de crainte de faire l’objet de poursuites ?
C’est
entièrement faux. De longue date, ces responsables politiques demandent
que la CPI soit saisie. Ils assument pleinement la manière dont ils
conduisent la Résistance armée pour la protection du peuple palestinien,
un peuple qui fait face à l’occupation militaire et à un blocus
illégal. Ils ne redoutent aucune enquête, et au contraire la demandent,
car elle sera conduite dans le respect de la procédure internationale,
et visera les deux parties au conflit. Le vrai chiffre du bilan, c’est
85% de victimes civiles… C’est ça la marque du crime.
Les
puissances occidentales ne peuvent supporter cette démarche du Hamas –
appeler à la justice internationale et au procès équitable – car elle
fait s’écrouler toute l’analyse du « Hamas terroriste islamiste ». Sur
le plan technique, le Hamas invoque l’article 31.d du statut sur la
légitime défense et l’état de nécessité. Mais sur le plan fondamental,
le constat est simple : le Hamas en appelle à la CPI, alors qu’Israël la
rejette. C’est là la base pour une vraie analyse… Qui redoute
l’intervention du juge ? Pourquoi ?
4
Que faire pour régulariser ?
La
procédure peut être régularisée par la remise au greffe de la Cour
d'une déclaration de compétence fondée sur l’article 12.3 du statut.
C’est un texte de trois lignes et une démarche simple, qui peut être
faite par un simple fax. Cela donnerait immédiatement compétence à la
Cour. Or, c’est urgent, car il faut constater maintenant les preuves des
crimes, et donner un signal fort à Israël.
L’autre
solution est la signature du traité, puis la ratification. Le consensus
politique existe désormais, c’est un processus plus long. Aussi, il
faut signer le traité et rependre cette déclaration de compétence, pour
assurer la compétence rétroactive de la Cour à compter de 2002. Face à
un argumentaire au niveau, la Procureure devra revenir sur son analyse,
qui ne tient pas en droit. Si elle bloque, il suffira d’une nouvelle
déclaration, pour lever cet obstacle, et aller à l’essentiel :
l’ouverture de l’enquête et la recherche des preuves.
On lit parfois que le combat est perdu d’avance car le droit international est l’outil des grandes puissances…
De
fait, le bilan de la CPI n’est pas franchement glorieux…. Ceci dit,
notre devoir n’est pas de nous lamenter, mais d’utiliser au mieux la
connaissance juridique, d’être à l’avant-garde des procédures pour
détruire patiemment, pièce après pièce, les remparts de l’injustice.
Pourtant le combat du peuple palestinien pour vivre sa souveraineté n’a jamais pu compter sur le droit international et l’ONU.
C’est
exact. Depuis 1947, le Conseil de sécurité est le calvaire de la
Palestine. Pendant des années, le droit international n’a été qu’un
instrument de domination. C’était l’achèvement raffiné du rapport de
force : d’abord, les tanks et l’aviation ; ensuite, la loi, qui était
celle du plus fort. Le Conseil de sécurité est la représentation de ce
droit des plus forts. Totalement non-représentatif du monde de 2014,
phraseur et velléitaire, toxicomane au double standard. Il est en état
de faillite, et la preuve de sa faillite a un nom : la Palestine.
Pourquoi cela changerait-il ?
On
s’était aussi habitué à invoquer le droit international pour dénoncer
l’injustice. Désormais, les temps changent. C’est difficile, pas
toujours visible, mais le fait est incontestable : le droit
international devient un outil que l’on peut retourner contre les
puissants.
Cela
se construit par étape, avec constance, initiative et lucidité. Et les
petits coups tordus qui marquent les procédures, même s’ils font mal sur
le moment, sont dérisoires au regard de la force qu’est l’appel à la
justice.
5
Que peuvent faire les citoyens ?
Les
pétitions sont très utiles. A ce jour, nous savons combattre les
obstacles juridiques. Les freins qui restent sont politiques, et les
politiques sont sensibles à la pression de l’opinion.
Il
va falloir aussi engager des actions contre les dirigeants occidentaux,
qui font pression sur la Palestine pour ne pas donner compétence à la
Cour pénale internationale. Les dirigeants palestiniens évoquent ces
pressions, et chacun peut constater qu’il n’y a aucune déclaration de
responsables politiques occidentaux pour soutenir l’action de la
Palestine vers la justice internationale. Pour eux, le droit est un
discours, mais leur politique est celle de l’oppression. C’est
inacceptable de la part des Etats européens, qui sont tous membres de la
CPI. Il faut donc lancer un mouvement pour interroger l’ensemble des
responsables politiques et des parlementaires sur cette attitude, qui
est scandaleuse.