Qu’en est-il du climat social dans l’entreprise marocaine? Selon
des chiffres du ministère de l’Emploi et des Affaires sociales, l’année
2015 a enregistré le déclenchement de 265 grèves et la solution de
1.310 autres, le traitement de 54.593 conflits individuels du travail,
la satisfaction de 75.000 réclamations, la réintégration de 4.129
salariés licenciés et la signature de 467 protocole d’accord et de 9
conventions collectives.
Le nombre de grèves évitées est passé de
972 en 2012 à 1.232 en 2013 avant d’atteindre 1.462 en 2014 et 1.310 en
2015, soit une diminution de 10,4% par rapport à l’année précédente. Le
nombre d’établissements concernés par ces grèves est passé de 776
unités de production en 2012 à 1.285 en 2014 avant d’atteindre 1.107.
Concernant les conflits individuels du travail, ils ont été de l’ordre
de 36.265 en 2012 avant de passer à 46.687 en 2013 et à 50.062 en 2014.
Le nombre de salariés réintégrés est resté, quant lui, stable puisqu’il
n’a pas dépassé les 4.000 entre 2012 et 2015.
Pour Khalil
Bensami, membre du Conseil national de la CDT, l’augmentation du nombre
de conflits individuels du travail est souvent liée à trois facteurs qui
sont récurrents, à savoir le non-respect des libertés syndicales, la
non-application du Code du travail et l’absence de couverture sociale.
« La majorité de ces conflits sont souvent déclenchés par la
non-délivrance de la carte de travail attestant que le salarié
travaille effectivement dans l’entreprise en question ou par sa non
déclaration aux services de la CNSS. Le démantèlement des bureaux
syndicaux figurent également parmi les causes », nous a-t-il expliqué.
Pourtant, notre source demeure pessimiste concernant ces conflits.
D’après elle, ils sont appelés à s’intensifier notamment avec
l’augmentation du niveau de conscience de leurs droits chez les salariés
et l’entêtement du patronat à ne pas respecter ces mêmes droits. «Le
patron exerce les pleins pouvoirs sur ses employés ; lesquels peuvent
être licenciés n’importe quand et sans justification valable. Et cela
sans que les syndicats n’osent bouger le petit doigt puisque ces
derniers n’ont plus de pouvoirs réels et qu’ils sont devenus le maillon
faible de l’équation», nous a-t-elle précisé. Et d’ajouter : «Prenez
l’exemple des salariés réintégrés. Leur retour au sein de l’entreprise
est souvent difficile. D’autant qu’il n’y a pas de comité de suivi et
de contrôle qui peut attester que tel salarié a repris effectivement
ses fonctions ou non. Lesdits salariés sont réintégrés mais pour combien
de temps puisque les patrons acceptent leur retour à contrecœur et au
vu des montants qu’ils doivent débourser en cas de licenciement
abusif. Les patrons n’attendent donc que l’occasion pour les licencier
de nouveau ».
Évoquant la question du nombre de grèves évitées,
Khalil Bensami attribue sa baisse au rôle joué par les inspecteurs du
travail qui assument, selon lui, un rôle important malgré leur nombre
insuffisant et les limites légales imposées à leurs missions. En effet,
l’année 2015 a enregistré la réalisation dans le secteur du commerce,
industriel et des services, de plus de 22.200 visites d’inspection, de
plus de 516.000 observations adressées aux employeurs contrevenants et
de 180 procès-verbaux d’infraction et délits dressés contre les
employeurs contrevenants. Quant au contrôle dans le secteur agricole, ce
dernier a enregistré plus de 1.300 visites d’inspection et plus de
21.500 observations adressées aux employeurs contrevenants. Les
interventions des centrales syndicales, notamment au sommet de
l’hiérarchie, ont également figuré comme facteur essentiel dans
l’évitement de plusieurs conflits sociaux.
En réponse à
l’augmentation du nombre de protocoles d’accord et de conventions
collectives qui est passé respectivement de 162 et 2 en 2012 à 467 et 9
en 2015, notre source nous a expliqué que ces protocoles d’accord sont
une pratique annuelle récurrente notamment dans le secteur de la
Fonction publique, ce qui explique leur nombre important. « Ces
protocoles encadrent souvent des questions relatives, entre autres, aux
salaires ou aux libertés syndicales et, du coup, leur impact sur le
maintien de la paix sociale n’est pas démontré puisqu’ils n’y
contribuent en rien contrairement aux conventions collectives », nous
a-t-elle indiqué avant de préciser qu’il n’est, néanmoins, pas souvent
fait recours à ces conventions collectives du fait qu’elles ne
garantissent pas beaucoup de droits et acquis aux salariés. « Les
syndicats et les patrons hésitent souvent avant de recourir à ces
conventions. En effet, ces formes d’engagement réussissent dans les
pays où il y a une justice d’urgence qui permet aux travailleurs de
rentrer avec diligence dans leurs droits en cas de violation de la
convention collective », a-t-elle déclaré. Et de poursuivre : « Les
conventions collectives ont été signées au Maroc par des établissements
publics qui ont été privatisés depuis et qui ont voulu, par ce biais,
contourner la rigidité des textes de loi concernant l’avancement, les
procédures disciplinaires, etc. S’il y a application de ces
conventions, c’est uniquement dans les entreprises où il existe
beaucoup de syndicats mais qui sont dépourvus d’une force réelle et
d’une représentativité suffisante».
Pour notre syndicaliste, le
véritable problème au Maroc réside dans la spécificité du tissu
économique national. « Il n’y aura pas d’amélioration du climat social
tant que les entreprises marocaines sont gérées par des patrons qui
veulent amasser des fortunes sans contrepartie réelle, tant qu’on a des
entrepreneurs qui ne sont pas prêts à partager les richesses générées et
tant qu’on a une justice défaillante, tatillonne et peu efficace. Une
situation des plus compliquées puisque peu de nos entreprises
s’acquittent de leurs impôts et qu’un grand nombre d’entre elles sont
familiales et fort peu structurées», a-t-il conclu.