Par Tayeb Belghiche,El Watan, 5/11/2015
Lorsqu’il a décidé d’envahir le Sahara Occidental, le roi Hassan II avait à l’idée d’occuper son armée. Il en avait peur.
L’ONU envoie, en juin 1975, une mission d’enquête dans la région,
dirigée par l’ambassadeur ivoirien Simeon Aka. Son rapport conclut à la
nécessité absolue d’organiser un référendum d’autodétermination.
Le 25 avril 1974, l’armée portugaise renverse le régime salazariste de
Gaetano. La révolution des œillets va ouvrir la voie à la
décolonisation des territoires africains sous domination portugaise,
c’est-à-dire l’Angola, le Mozambique, la Guinée Bissau, le Cap-Vert, Sao
Tomé-et-Principe. L’OUA vient de concrétiser une partie des objectifs
qu’elle s’était assignés à sa création, en mai 1963. Il restait
l’Afrique du Sud, dirigée d’une main de fer par le système d’apartheid ;
la Namibie, administrée par la même Afrique du Sud ; et le Sahara
occidental, sous occupation espagnole.
Pour ce dernier pays, une question de décolonisations avortée va
devenir une source de tension qui bloque l’avenir du Maghreb jusqu’à ce
jour. Pourtant, on s’attendait à ce que l’évolution soit toute autre. En
1964, le Pérou et la Mauritanie (!) déposent aux Nations unies le
premier projet de résolution sur le Sahara occidental qui, depuis, est
considéré comme territoire non autonome auquel doit être appliquée la
résolution 1514 reconnaissant aux peuples colonisés le droit à
l’autodétermination et à l’indépendance.
Malheureusement, moins d’une dizaine d’années plus tard, les deux pays
opèrent une volte-face en reniant leur combat pour la décolonisation du
Sahara occidental. Entre-temps, le roi Hassan II échappe à une tentative
de coup d’Etat en 1971, lorsque des militaires ont pénétré au palais de
Skhirat près de Rabat au moment où il donnait une réception. Il n’a eu
la vie sauve qu’en se cachant dans les toilettes. En 1973, lorsqu’il
revient d’un séjour en France, son Boeing est intercepté par des
chasseurs des Forces armées royales qui tentent de l’abattre. Son
sang-froid lui permet d’échapper à une mort certaine.
L’auteur de cette tentative de coup d’Etat n’était autre que son bras
droit et homme des basses besognes, comme l’assassinat de Bachir Ben
Barka, le général Mohamed Oufkir, également agent du Sdece, le service
du renseignement français. Il sera abattu par le roi en personne dans
le palais royal. A partir de ce moment, Hassan II a commencé à avoir
peur de son armée et à chercher les moyens de l’envoyer le plus loin
possible de Rabat. Or, à la même période, il apprend que du pétrole a
été découvert au Sahara occidental par la société Esso.
Cela aiguise son appétit et provoque son revirement à l’égard de la
cause sahraouie. De son côté, l’Espagne, elle aussi, a décidé de se
retirer de sa colonie. Le général Franco contacte Houari Boumediène et
lui propose de prendre le contrôle du Sahara occidental, selon les
révélations faites par Mohamed Benahmed Abdelghani en 1984 à l’auteur de
ces lignes. Boumediène réunit le Conseil de la révolution pour lui
faire part de la proposition espagnole ; un débat s’ensuit. Il y avait
des pour et des contre.
Finalement, Boumediène tranche. Il faut respecter la décision des
Nations unies, c’est-à-dire soutenir le droit à l’autodétermination et à
l’indépendance. A la même période, le souverain marocain avait pris
attache avec le président algérien pour lui proposer le partage du
territoire entre les deux pays. Refus net de Boumediène, qui ne voulait
pas violer la règle sacro-sainte de l’Organisation de l’unité africaine
sur le respect des frontières héritées à l’indépendance. Un climat de
tension s’installe dans la région. Tout le monde avait oublié une donne.
Le peuple sahraoui avait décidé de prendre en charge son destin et,
pour cela, il crée, en mai 1973, le Front Polisario, qui s’avérera plus
être une redoutable machine de guerre qui emportera plus tard le régime
mauritanien de Mokhtar Ould Daddah et a failli faire tomber le trône
alaouite s’il n’y avait pas eu le soutien militaire direct de la France
et de certains pays arabes du Golfe. A partir de là, les événements vont
se précipiter.
L’ONU envoie, en juin 1975, une mission d’enquête dans la région,
dirigée par l’ambassadeur ivoirien Simeon Aka. Son rapport conclut à la
nécessité absolue d’organiser un référendum d’autodétermination. Hassan
II panique. Il se met à préparer son opinion pour la mobiliser sur la
«marocanité» du Sahara occidental, reprenant pour cela une thèse
inventée en 1936 par le parti l’Istiqlal sur le «Grand Maroc» qui irait
jusqu’au fleuve Sénégal et engloberait une grande partie de l’ouest
algérien.
Un événement inattendu survient en septembre 1975 : le général Franco tombe dans le coma.
Toute l’Espagne s’angoisse et a peur pour son avenir. Hassan II profite
du désarroi qui s’est emparé des Espagnols et organise le 6 novembre
1975 ce qu’il appelle une «Marche verte», en fait une opération pour
tenter d’envahir le Sahara occidental par, dit-il, des «moyens
pacifiques». En réalité, les «marcheurs», de pauvres malheureux ramenés
de force par camions et abandonnés à leur sort à la frontière
marocco-sahraouie, mais qui étaient accompagnés par des chars portés par
des porte-chars. L’armée espagnole, refusant d’être humiliée de cette
façon par le palais royal, a un sursaut d’orgueil. Elle menace de tirer
sur les marcheurs et sur les militaires qui les accompagnent.
Mais le coup de bluff de Hassan II a marché. Son opinion croit au
succès — qui n’en a jamais été un — de son coup de poker. Il arrête à
temps les marcheurs pour échapper à une humiliation face au Tercio, la
fameuse légion étrangère espagnole.Il n’en transforme pas moins cet
échec en victoire et elle est célébrée comme telle chaque année par le
Maroc. Mais Rabat, par son expansionnisme d’un autre âge, venait de
détruire la fragile unité maghrébine naissante.
Tayeb Belghiche