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vendredi 6 novembre 2015
Suite au « Jeudi en Prime » de la RTBf du 6 novembre 2015. Réponse aux contrevérités de Didier Reynders dans le dossier Ali Aarrass !
par Luk Vervaet
Interrogé dans Jeudi
en Prime sur sa non-assistance au
Belgo-Marocain Ali Aarrass, le ministre Reynders commence par s’en
prendre aux associations et à la députée Zoé Genot qui, ne
connaissant pas le dossier, feraient mieux de se taire. Après cette
introduction hautaine, Reynders, bien préparé sur l'affaire Ali
Aarrass qui le poursuit désormais partout, continue à ressasser
trois contrevérités.
Première contrevérité
Ali Aarrass étant
belgo-marocain, il est normal que la Belgique abandonne son citoyen
au Maroc.
La thèse de Reynders est
qu'Ali Aarrass est jugé et condamné au Maroc, il est en prison au
Maroc, après avoir été extradé par l'Espagne. Il est donc
« évidemment »
considéré par le Maroc comme marocain, sous-entendant qu'à partir
de ce moment la Belgique n'a plus rien à voir avec ce Belge. Ce
serait différent, dit encore monsieur Reynders, s'il était
incarcéré dans un pays tiers.
Reynders ment quand il dit
qu'Ali Aarrass aurait été protégé par la Belgique s'il se
trouvait dans un pays tiers. La vérité est que la Belgique a refusé
de venir à l'aide à Ali Aarrass quand il était en Espagne, « pays
tiers », où il a été incarcéré à la demande du Maroc.
Ainsi, pendant 2 ans et
demi, la famille, les avocats, Zoé Genot ont demandé à Monsieur
Vanackere, le prédécesseur de Reynders, d’assurer à Ali une
protection consulaire. Ce qui lui a été refusé. Le 29 novembre
2010 à la Chambre, à une interpellation de la députée Zoé Genot,
le ministre Vanackere répondait : « Pour ce
qui concerne votre question relative à une visite du consul,
l’assistance aux Belges détenus à l’étranger ne prévoit pas
l’organisation de visites consulaires dans les pays de l’Union
européenne.. » La Belgique a fait
savoir à maintes reprises qu’elle «
n’évoquerait ce dossier ni avec l’Espagne, ni avec le Maroc ».
Dans sa réponse à Zoé Genot, le 29
novembre, le ministre se défend de ne pas avoir pris contact avec
l’Espagne pour s’opposer à une éventuelle extradition d’un
Belge : « Je n’ai pas évoqué le dossier
d’extradition avec mon collègue espagnol car il n’est pas
d’usage que la Belgique intervienne dans une procédure
d’extradition entre pays tiers même lorsque cette dernière
concerne un ressortissant national. De plus, j’ai entière
confiance dans les garanties que le système judiciaire espagnol
offre au niveau des procédures d’extradition et du respect des
droits de l’homme. Il prévoit, en effet, des possibilités d’appel
et ce, jusqu’au niveau de la Cour européenne des droits de l’homme
en cas de non-respect de la Convention européenne des droits de
l’homme. Vu ce qui précède, je n’entreprendrai pas de démarche
qui pourrait être interprétée par mon collègue espagnol comme une
ingérence dans des affaires internes et surtout comme un manque de
confiance dans le système judiciaire espagnol ».
Le résultat de l'attitude
belge de non-défense, de non-assistance, de désintérêt total par
rapport à son citoyen « dans un pays tiers » a été
que l'Espagne a extradé le Belge Ali Aarrass le 14 décembre 2010
sans aucun état d'âme. Et ce contre l'avis du Haut-Commissariat aux
Droits de l’homme des Nations Unies à Genève qui avait pris une
mesure provisoire le 26 novembre 2010, demandant à l’Espagne de ne
pas extrader Ali Aarrass avant que le Haut-Commissariat ait entendu
et donné son avis sur les arguments des deux parties. Et après son
extradition, la position devient officielle : Ali Aarrass n’est
plus considéré comme étant belge. En réponse à la demande de
s'informer auprès des autorités marocaines sur la disparition de
son frère pendant ses 10 jours en garde à vue au Maroc : « Comme
votre frère est considéré comme de nationalité marocaine par les
autorités marocaines, nos services ne les contacteront donc pas pour
votre frère » (Message du 20 décembre 2010
du ministère des Affaires étrangères à Farida Aarrass) .
La thèse de Reynders que
le Belgo-Marocain Ali Aarrass, jugé et incarcéré au Maroc, est
« évidemment »
considéré comme marocain par le Maroc, sous-entendant qu'à partir
de ce moment la Belgique n'a plus rien à voir avec ce Belge, est
contredite tant par la pratique d'autres pays européens, que par les
jugements contre la Belgique par diverses Cours de justice.
Différents pays européens
accordent en effet une assistance consulaire à leurs citoyens
détenus binationaux au Maroc et les assistent même en leur
attribuant une petite somme mensuelle pour survivre. Ainsi les
détenus néerlandais ayant la double nationalité marocaine
reçoivent la visite de leur consulat et reçoivent 60€ par
mois; même chose pour les Franco-Marocains qui reçoivent des livres
et des vivres de leur consulat ; même chose pour les détenus
germano-marocains qui reçoivent 1200 dirham (120 euros) et des
livres de leur consulat. Ces détenus binationaux reçoivent une
vraie assistance. Rien de tout cela de la part de la Belgique.
De même, suite à
l’arrestation de Faouzi Yuba Zalen (un Néerlando-Marocain) lors
d'une manifestation à Beni Bouayach dans le Rif en mars 2012 , le
parlement néerlandais, suivi par le gouvernement, a exercé une
pression et a obtenu sa libération.
En outre, l’État belge
et son ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders, ont été
condamnés à assurer une assistance consulaire à Ali Aarass le 3
février 2014, par décision du tribunal de première instance à
Bruxelles. Reynders aurait pu se soumettre à cette décision. Mais
il s'y est opposé et a fait appel. Huit mois plus tard, le 11
septembre 2014, la 3e Chambre de la cour d’Appel de Bruxelles a
rejeté son appel. Le premier jugement a été confirmé, cette fois,
sous peine d’une astreinte de cent euros par jour de retard dans le
mois suivant le prononcé de l’arrêt. Mais rien n'arrête
Reynders dans son refus d'assurer une assistance consulaire aux
binationaux : il s'est pourvu en cassation contre ces
jugements !
Deuxième contrevérité
Reynders affirme qu'il est
malgré tout intervenu pour Ali Aarrass. Il dit ceci : Bien
sûr que nous agissons ! En 2013, j'ai déjà demandé à plusieurs
reprises des visites consulaires, nous avons obtenu que le Conseil
National des droits de l'homme marocain (CNDH) aille le voir...
François De Brigode : (l'interrompt) ...Et ils ont pu le voir ?
Didier Reynders : "Oui et ça a mis fin... Il a d'ailleurs
accepté à cette époque-là de mettre fin à une première grève
de la faim. En 2014, nous avons recommencé : au moins 4 demandes de
visites consulaires, et j'avais écrit à mon collègue marocain, je
lui ai encore réécrit cette année ; je l'ai contacté, il y a
maintenant... fin du mois d'octobre, le contact a été pris par
téléphone, on a fait la même demande : que le CNDH le rencontre.
Ce qui a été fait : trois personnes dont un médecin. Nous avons
d'ailleurs demandé aussi que sa sœur puisse lui rendre visite :
c'est l'ambassadeur qui a fait ça sur place auprès des Marocains.
Et donc tout cela se passe pour des raisons humanitaires et, je tiens
à le dire, pour des
raisons consulaires puisque la Justice nous demande de jouer un rôle
consulaire... ».
S'il y a eu réaction de
la part de Monsieur Reynders, elle a eu lieu uniquement sous la
pression des grèves de la faim d'Ali et d'une mobilisation
militante, médiatique et parlementaire. Il dit qu'il est intervenu
pour assurer « une assistance consulaire en 2013 », ce
qui est faux. Puisqu'il a seulement été condamné à assurer cette assistance en
septembre 2014. Il dit que le mérite de la visite de la CNDH à Ali
lui revient. C'est faux. Il est possible que la Belgique ait faite
cette demande, mais le CNDH visite régulièrement les prisons et les
prisonniers, qui y sont en détresse ou en grève de la faim, sans
avoir besoin d'une demande belge ou autre.
Reynders affirme également
que c’est grâce à ses interventions que Farida a pu rendre visite
à son frère. Depuis quand un ministre devrait-il intervenir pour
cela ?
Reynders dit qu'il a écrit
quatre notes : c'est faux. Dans sa lettre à son homologue
marocain, il parle de deux notes : une note verbale et une note
écrite, auxquelles il n'a jamais reçu de réponse. Ce qui n'a pas provoqué une protestation de la part de la Belgique.
Enfin, dans sa dernière lettre (6 octobre 2015) à son homologue marocain, il écrit :
« La famille a obtenu une décision de
la Cour d’appel de Bruxelles qui ordonne au gouvernement belge de
requérir de votre Etat de permettre aux autorités consulaires
belges au Maroc de rendre hebdomadairement visite
à Monsieur Aarrass et de s’entretenir avec
lui à la prison où il purge sa peine. »
Mais suit la phrase qui montre clairement que la Belgique n'a aucune
volonté, ni l'intention, ni l'envie de se rendre chez Monsieur
Aarrass : « Cette décision est
exécutoire, même si un pourvoi en cassation a été introduit par
le gouvernement belge. » Le message de
la Belgique peut être compris par les autorités marocaines comme
suit : tenez bon dans votre refus de nous accorder l'accès,
nous, de notre côté, sommes en train d'essayer de casser ce
jugement !
Troisième contrevérité
La troisième contrevérité
concerne l'accusation de terrorisme et le refus de demander la
libération d'Ali Aarrass. Il est particulièrement honteux que
Monsieur Reynders ne mentionne même pas la vidéo-choc présentant
Ali Aarrass torturé, visionnée plus de 100.000 fois sur les réseaux
sociaux. Ni un de ces nombreux rapports internationaux sur l'affaire
Ali Aarrass. Ni la campagne d'Amnesty international pour la
libération d'Ali Aarrass. Mais qu'il reprenne tout simplement les
arguments des autorités marocaines. En agitant la peur du
terrorisme, Reynders espère regagner du terrain face à la sympathie
grandissante pour la cause d’Ali Aarrass et calmer l'indignation à
son propre égard : « Mais la
troisième chose que je veux dire : dans le climat actuel, c'est un
dossier lié au terrorisme....Dans le climat que nous vivons, je
viens de réunir à Bruxelles la coalition de lutte en Irak et en
Syrie contre le terrorisme, contre le djihadisme, il faut être
prudent... Et donc demander des conditions de traitement correct ; la
lutte contre la torture : la Belgique est en première ligne !
Demander qu'on mette fin à une grève de la faim pour qu'on puisse
réintégrer la prison dans de bonnes conditions, oui ! Dire : "il
faut le libérer" : je n'irai pas jusque-là".
Si Reynders veut traiter
du terrorisme, voici les seuls éléments réels dans ce dossier.
Concernant les accusations
de terrorisme contre Ali Aarrass, il existe un jugement, rapporté
par l'article du Soir du 21 avril 2011, qui ne provient pas moins que
du juge espagnol Baltasar Garzon, spécialiste de l’antiterrorisme.
« Selon les avocats d'Ali Aarrass, la
seule enquête sérieuse menée sur Ali Aarrass a été faite en
Espagne. Au bout de trois ans d’écoutes téléphoniques, de
perquisitions, d’analyses ADN, le célèbre juge Baltasar Garzón,
l’homme qui s’était attaqué à l’ex-dictateur chilien
Pinochet, a été contraint de prononcer un non-lieu en mars 2009. Ce
qui n’a pas empêché le Conseil des ministres espagnol d’accéder
finalement à la demande du Maroc, en extradant le prisonnier le 14
décembre dernier. »
Le deuxième élément
découle de ce qui précède. En décembre 2013, le Groupe de travail
des Nations unies sur la détention arbitraire a publié un
communiqué de presse déclarant : « C'est
sur la base d'aveux obtenus sous la torture que M. Ali Aarrass [...]
a été condamné en novembre 2011 à 15 ans de prison ferme ».
Cette déclaration sera
confirmée par un avis officiel des experts de ce même Groupe de
travail onusien, qui demande sa libération immédiate !
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