DÉCLARATION PUBLIQUE
20/12/2010
Dans un nouveau rapport rendu public lundi 20 décembre 2010, Amnesty International appelle les autorités marocaines à mener une enquête approfondie, indépendante et impartiale sur l'ensemble des atteintes aux droits humains qui se seraient produites en lien avec les évènements du 8 novembre 2010 à Laayoune, dans le Sahara occidental sous administration marocaine et à poursuivre en justice les auteurs des abus perpétrés.
Des affrontements violents ont éclaté en début de journée lundi 8 novembre, lorsque les forces de sécurité marocaines sont intervenues pour faire évacuer le campement de Gdim Izik, qui avait été dressé dans le désert, à quelques kilomètres de Laayoune, début octobre par des Sahraouis pour protester contre la marginalisation dont ils se disent victimes et contre l'absence d'emplois et de logements appropriés.
Le rapport d'Amnesty International Rights Trampled : Protests, Violence and Repression in Western Sahara fait état d'une série d'atteintes aux droits humains perpétrées lundi 8 novembre, à la fois dans le campement et à Laayoune. De violents heurts se sont produits lorsque les forces de sécurité sont intervenues pour faire évacuer le campement ; les troubles se sont ensuite étendus à Laayoune où manifestants Sahraouis et résidents marocains se sont livrés à des attaques – incendiant des maisons, des boutiques et des commerces ainsi que des bâtiments publics. De nombreux Sahraouis ont été arrêtés et frappés ou soumis à des actes de torture ou autres mauvais traitements.
Treize personnes, 11 membres des forces de sécurité et deux Sahraouis, sont décédées à la suite des violences dans le campement et à Laayoune.Le bilan le plus lourd a été enregistré lors de l'opération de démantèlement du campement par les forces de sécurité marocaines qui ont perdu neuf de leurs hommes, tués lors des affrontements ou dans des attaques délibérées par des Sahraouis résistant à la destruction de leur campement. Les circonstances exactes ne sont pas encore établies mais les chercheurs d'Amnesty International qui se sont rendus sur place fin novembre ont interrogé de nombreux témoins qui leur ont affirmé que des membres des forces de sécurité n'avaient pas hésité à frapper des femmes âgées à coups de matraque pour les obliger à partir avant de déchirer leurs tentes. Certaines portaient encore des blessures visibles plus de deux semaines plus tard.
En se basant sur ses propres recherches, Amnesty International est parvenue à la conclusion que les forces de sécurité marocaines n'avaient peut-être pas eu l'intention de recourir à une force excessive pour démanteler le campement et disperser les manifestants, mais que dans plusieurs cas la force employée avait été clairement excessive, contre des manifestants ne représentant pas une menace et n'offrant pas ,de résistance.
La nouvelle de l'évacuation du campement par les forces de sécurité a vite atteint Laayoune où, alimentée par des rumeurs exagérément alarmistes faisant état de morts parmi les Sahraouis et d'actes de brutalité de la part des forces de sécurité, elle a provoqué de violentes manifestations des Sahraouis qui s'en sont pris à des bâtiments publics, des banques, des voitures et autres biens appartenant à des citoyens marocains ou à des Sahraouis considérés comme favorables à l'administration du Sahara occidental par le
Maroc. Après une période d'accalmie, de nouvelles violences ont éclaté, les résidents marocains cette fois s'en prenant à des maisons, des boutiques et des commerces appartenant à des Sahraouis ; plusieurs résidents sahraouis ont été frappés. Les forces de sécurité présentes ne sont pas intervenues lors des attaques de maisons et de commerces sahraouis et ont même parfois prêté main forte aux agresseurs.
Les forces de sécurité marocaines ont arrêté environ 200 Sahraouis lundi 8 novembre et dans les jours et les semaines qui ont suivi. Toutefois, à notre connaissance, on n'a enregistré à ce jour ni interpellation ni poursuites en justice en lien avec les attaques menées par des résidents marocains contre des Sahraouis, leurs maisons ou leurs biens.
Tous les Sahraouis interviewés par Amnesty international ont décrit la façon dont ils ont été battus, torturés ou les mauvais traitements qui leur ont été infligés au moment de leur arrestation ou lors de leur garde à vue par les autorités marocaines ; la plupart d'entre eux avaient des cicatrices et des blessures visibles à l'appui de leur témoignage. Malgré cela, les autorités marocaines n'ont pris aucune mesure pour enquêter sur les allégations de torture et autres mauvais traitements comme le prévoient la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auxquels le Maroc est État partie.
Les autorités marocaines ont la responsabilité de protéger la sécurité publique et de punir les actes de criminalité mais elles doivent le faire sans discrimination et en tenant pleinement compte des droits humains. Lorsqu'elles assurent le maintien de l'ordre lors des manifestations, les forces de sécurité ne doivent pas recourir à une force excessive mais limiter l'utilisation de la force au strict minimum nécessaire et l'employer de façon proportionnelle. Les actes de violence sur des personnes en garde à vue qui ne présentent pas de danger sont toujours illégaux et ne doivent pas être tolérés.
Le rapport d'Amnesty International met également en lumière l'absence d'informations communiquées aux familles des détenus par les autorités, parfois pendant deux semaines, en violation de la loi marocaine.
Cette absence s'accompagne de restrictions imposées par les autorités marocaines à l'accès à l'information, notamment pour les journalistes qui souhaitaient couvrir les évènements et auxquels l'accès à Laayoune a été refusé, générant des inquiétudes inutiles pour les familles dont certaines craignaient que leurs proches n'aient été tués.
Plus de 130 Sahraouis sont actuellement passibles de poursuites en justice après les évènements du lundi 8 novembre. Dix-neuf d'entre eux vont comparaître devant un tribunal militaire, bien qu'il s'agisse de civils ; certains sont des militants politiques sahraouis déjà connus qui prônent l'autodétermination du Sahara occidental. Leur arrestation a fait renaître la crainte que les autorités ne cherchent à impliquer dans les évènements du 8 novembre des personnes critiques du gouvernement et des opposants pacifiques, du fait de leurs opinions politiques.
Certains des accusés ont comparu devant un juge d'instruction sans assistance juridique et plusieurs d'entre eux auraient présenté des signes visibles de torture et autres mauvais traitements et se seraient plaints des violences subies. Aucun n'a cependant été vu par un médecin et aucune enquête n'a, semble-til, été diligentée concernant l'objet de leurs plaintes. Des détenus ont déclaré qu'à l'issue de leur interrogatoire, ils avaient dû signer ou apposer l'empreinte du pouce au bas de déclarations qu'ils n'avaient pas été autorisés à lire, ce qui fait craindre que ces déclarations faites sous la torture ou la contrainte ne soient utilisées comme preuve à charge contre eux lors de leur procès, en violation du droit international.
Le rapport d'Amnesty international comprend les recommandations suivantes aux autorités marocaines :
- les autorités marocaines doivent veiller à ce que des enquêtes judiciaires soient menées sur toutes les atteintes aux droits humains qui auraient été perpétrées en lien avec les évènements du lundi 8 novembre – soit en ouvrant une enquête judiciaire pour chaque affaire, soit en mettant en place une commission d'enquête indépendante et impartiale ayant autorité pour assigner des témoins, disposant d'un accès libre à toutes les informations pertinentes, notamment la documentation officielle et tous les rushs des films et bandes vidéo enregistrés le lundi 8 novembre, ainsi que d'un accès à tous les lieux de détention. Elles doivent également s'assurer que les responsables d'actes de violence, de torture et autres mauvais traitements ainsi que les auteurs d'agressions contre des personnes et d'attaques contre des biens soient poursuivis, conformément aux normes internationales d'équité des procès ;
- les autorités doivent veiller à ce que les personnes détenues puissent se faire représenter par un avocat de leur choix lors de leur comparution devant le procureur du roi ou le juge d'instruction et lors des audiences et veiller à ce que leur procès respecte les normes internationales d'équité des procès ; aucune information arrachée sous la torture ou la contrainte ne devra utilisée comme preuve à charge contre elles lors de leur procès. Les autorités doivent s'assurer qu'aucun civil ne sera jugé par un tribunal militaire.
Complément d'information
Les conclusions de ce rapport se fondent sur une visite d'établissement des faits réalisée par Amnesty International au Maroc et au Sahara occidental entre le 22 novembre et le 4 décembre 2010. Dans le cadre de cette visite, Amnesty International a rencontré des responsables gouvernementaux à Rabat et Laayoune et s'est entretenue avec des familles de Sahraouis et de membres des forces de sécurité tués ou blessés, des proches de détenus, d'anciens détenus, des défenseurs des droits humains, des avocats et d'autres personnes encore.
Le statut du Sahara occidental, dont l'annexion en 1975 par le Maroc est controversée, reste un sujet sensible aux yeux des autorités marocaines qui continuent de faire preuve de peu de tolérance pour quiconque exprime publiquement son opinion en faveur de l'indépendance du Sahara occidental. Les autorités marocaines continuent de prendre pour cibles non seulement les militants sahraouis qui défendent le droit à l'autodétermination du Sahara occidental, mais aussi les défenseurs des droits humains sahraouis qui mènent des actions de surveillance de la situation des droits humains sur le terrain, dénoncent les violations constatées dans la région et font toujours l'objet d'actes d'intimidation, de harcèlement et même de poursuites.