Ecrit par Zouhair Mazouz
Interprété par Salah Elayoubi, 29/1/2014
« Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de Cour vous rendront blanc ou noir » Jean de La Fontaine.
Avoir
grandi dans la peau du privilégié à qui tout est dû, vous procure
fatalement le sentiment d'être au-dessus des lois. Il en va ainsi de la
progéniture de certaines élites marocaines, depuis des décennies. Et que
celles-ci appartiennent au monde de la politique ou à celui de la
finance, le fait de « posséder » le pays les incite plutôt à engendrer
d’ignobles voyous, que d’honnêtes citoyens.
Alcool au volant, vies volées et impunité
Pour preuve, l’impunité dont a bénéficié nombre de jeunes chauffards
conduisant sous l’emprise de l’alcool ayant entraîné de graves accidents
de la circulation. Un fléau parfaitement illustré dans une scène du
film « Marock », paru en 2005 et qui pointe ce dont certaines familles
se rendent coupables, pour couvrir les crimes de leurs enfants :
Pour la seule année 2013, deux scandales ont provoqué l’indignation
générale et attiré l’attention de la communauté internationale sur les
dysfonctionnements de la justice marocaine et la corruption qui gangrène
notre pays :
31 Août 2013, premières heures de la matinée. Amina Balafrej,
Professeure en médecine, est au volant de son véhicule. Elle est
violemment heurtée de plein fouet par une voiture circulant à grande
vitesse et à contresens. Sa famille qui tente désespérément de la
joindre sur son portable, finit par la découvrir, comateuse, en salle de
déchoquage, à l'unité de traumatologie de l’hôpital Avicenne à 11
heures. Détail accablant, la célèbre fondatrice et Cheffe du service de
diabétologie pédiatrique, de l’Hôpital des enfants de Rabat, est
inscrite sous « X ».
Autant d'indices qui portent, dès lors, à croire que le SAC (Service des Accidents) a couvert le responsable de l’accident, dans le constat qu’il en a dressé.
Amina Balafrej, diabétologue à l’hôpital pédiatrique de Rabat
Dans un entretien accordé à « Free Arabs », Sarah,
la fille du Pr Balafrej explique que le constat en question, a occulté
des détails cruciaux de l’accident. Elle affirme que son auteur, fils
d'un haut responsable au Ministère de l'Intérieur, était engagé dans une
course-poursuite, contre une autre véhicule, au moment de l’accident et
qu’il a été soustrait des lieux de l’accident, pour être transporté à
l’hôpital militaire, immédiatement après la collision.
Indignée, la jeune femme explique que « ni les services de police, ni
ceux de la protection civile n’ont avisé notre famille le jour de
l’accident, en dépit du fait que la carte d’identité et le téléphone de
ma mère, se trouvaient dans son sac. »
La famille Balafrej a porté l’affaire en justice et la pétition qu’elle a
initiée a connu un tel succès que les autorités marocaines ont ouvert
une enquête sur les circonstances du drame.
Quatre mois après la collision, Amina Balafrej est toujours plongée dans un profond coma.
Les interventions, cette monnaie courante au « SAC »
Le même mépris souverain pour la loi a présidé au traitement judiciaire de l'accident de Mohammed Bennani,
survenu le 28 novembre 2012 et qui a coûté la vie à sa mère et sa sœur.
En route pour l’aéroport, l’entrepreneur de trente-et-un ans est
percuté à 5 heures du matin par une « Jaguar », roulant à très vive
allure. A son réveil à l’hôpital, il est informé que ses deux
accompagnatrices sont décédées et que l'auteur de l’accident est libre.
Des témoins que la peur empêchera de témoigner plus tard, l’informent
que le conducteur était ivre au moment de l’accident. Usant de son
réseau familial, l’homme réussit à obtenir l’incarcération du chauffard
de 19 ans, pendant deux mois. Il refuse, en outre, l’offre qui lui est
faite d’une compensation d’un million de dollars, en échange du retrait
de sa plainte. Le procès-verbal de police mentionne comme information,
la filiation du chauffard, Ismail El Menjra. Il n’est autre, que le fils d’Abdelilah El Menjra,
homme d’affaires et ex-Président du Wydad Athletic Club, (WAC), l’une
des meilleures équipes de football du pays. Au final, le jeune homme est
condamné à deux mois d’emprisonnement. La peine couvrant la période
préventive, il est libéré à l’énoncé du verdict.
Mohamed Bennani raconte :
-« Nous
avons dû exercer maintes pressions, pour dessaisir le juge chargé de
l’affaire, en raison de ses liens avérés avec la famille El Menjra. Mais
la réaffectation du dossier n’a rien changé, comme en témoigne la
légèreté du verdict. »
Une affaire corsée par les déclarations de l’avocat de Mohamed, Abderrahman Filali Hassoun
qui a fait état d’une tentative de corruption par la partie adverse,
lors des funérailles des deux victimes. Joint par « Free Arabs », le
défenseur s’est refusé à tout commentaire, arguant qu'il ne représentait
plus le fils El Menjra.
Décrivant le parcours administratif auxquels il est confronté en appel, Mohamed Bennani soupire :
-« Nous
attendons toujours l'appel. Le temps est un obstacle de taille et le
dossier pourrait tout simplement se perdre dans quelque bureau du
tribunal ! »
Les restes de la Volkswagen de Mohamed Bennani percutée par la Jaguar de Ismaïl Elmenjra
Autant d’injustices et de dysfonctionnements qui sont le lot quotidien
des marocains, les nantis refusant tout simplement que la loi leur soit
appliquée. A ce propos, un fonctionnaire de police qui a requis
l’anonymat, témoigne :
-« Le
seul endroit où les policiers refusent d’être affectés est le Service
des Accidents (SAC). Les interventions y sont monnaie courante et
l’application de la loi très difficile. »
Coups et blessures et « incidents mineurs »
Mais l'impunité des élites ne s’arrête pas aux seuls accidents de la
route. L’incident du 21 mai 2010, est encore dans tous les esprits. Ce
soir-là, deux conducteurs stoppent leur voiture face au parlement pour
en venir aux mains. Au cours de l’altercation, l'un d’entre eux attaque
l’autre et le blesse au moyen d'un objet tranchant. Témoins de la scène,
les policiers mettent fin à la rixe, menottant l’auteur de l’agression.
Une demi-heure plus tard, Khalid Naciri,
alors porte-parole du gouvernement et père de l’agresseur, accourt sur
les lieux, intime aux policiers, l’ordre de libérer ce dernier avant de
quitter précipitamment les lieux, en sa compagnie, en voiture et sous
les huées d’une foule indignée. Une scène immortalisée et postée
aussitôt sur la toile, par plusieurs citoyens dont on entend certains
hurler « Est-ce cela, votre démocratie ? ». Avocat de formation, le ministre montera au créneau pour minimiser l’agression, la qualifiant « d’incident mineur coutumier du Maroc ».
Dans
un pays de droit, s’il prenait à quelqu’un l’envie de s’enivrer et
passer à tabac un fonctionnaire de police, dans l’exercice de ses
fonctions, il serait jugé en comparution immédiate avec les sanctions
que l’on peut imaginer. Un traitement aux antipodes des pratiques en
cours au Maroc.
18 mai 2012. En charge de la sécurité de la tribune d'honneur, au festival de musique « Mawazine », Mustapha Moufid, Préfet de police de Rabat, remarque un jeune homme qui se débarrasse d’un mégot de cigarette en le jetant sur le tapis sur lequel se tient le Prince Hassan.
A l’interpellation du fumeur, le fonctionnaire est violemment pris à
partie, insulté et battu par ce dernier et son ami. Les deux individus
sont sévèrement alcoolisés. Le fonctionnaire ne doit son salut qu’à
l’intervention des gardes du corps du prince héritier. Plus tard un haut
responsable lui ordonnera d’abandonner purement et simplement toute
idée de suite judiciaire.
Interrogé par « Lakome » une source au sein
du ministère de l'Intérieur confirme la remise en liberté des deux
agresseurs qui appartiennent aux familles Kettani et Naciri.
La même source précise que le Préfet a fondu en larmes devant ses
hommes, après avoir été sommé de classer l'affaire. Face au tollé
général, la Préfecture de police est contrainte de publier un communiqué
dans lequel elle décrit un tout autre scénario qui dément toute
agression et évoque une simple arrestation pour « trouble à l'ordre
public» de deux individus en état d'ébriété. Un incident qui révèle que
même les hauts responsables ne sont pas à l’abri des errements des
familles liées au palais royal.
Quand népotisme rime avec médiocrité
Et que penser du népotisme, dans le domaine de l’emploi ? Selon que vous
soyez puissant, vous n’aurez pas à vous embarrasser de recherches
d’emplois. Des postes prestigieux vous attendent même si vous manquez du
minimum d’expérience professionnelle.
Brahim Fassi-Fihri est l’émanation vivante de ce qui précède.
A
25 ans, fraîchement diplômé en Sciences politiques, de l'Université de
Montréal, il préside aux destinées de ce qui est probablement le « Think
tank » le plus prestigieux d’Afrique du Nord. Depuis cinq ans,
l'Institut Amadeus aligne les conférences annuelles qui réunissent une
liste impressionnante de Chefs d'Etats, de ministres, de lauréats du
prix Nobel, de Présidents d’ONG... Le but, « discuter des questions
d’actualité dans la région ». Mais si les conférences réunissent tant de
sommités, elles évitent soigneusement de répercuter ou aborder les
griefs légitimes des peuples, envers les régimes dictatoriaux, qui les
gouvernent, en particulier les monarchies. Rien d’étonnant lorsqu’on
sait que Brahim est le fils d’un autre Fassi-Fihri, Taieb, ancien ministre marocain des Affaires étrangères et actuel Conseiller de Mohammed VI.
Une proximité qui permet à l’homme d’être l’artisan principal de la
politique étrangère du pays, en dépit de l’existence au gouvernement
marocain d’un ministre des Affaires étrangères. Organisées sous le
patronage du roi du Maroc, les Conférences d' « Amadeus » sont toujours
l’’occasion pour le Conseiller royal de venir y disserter sur les vertus
démocratiques de l'exception marocaine.
La
bonne fortune de Brahim Fassi-Fihri aurait pu se comprendre si ce
dernier avait justifié d’une quelconque précocité en matière de
diplomatie ou de talents d’orateur exceptionnel. Il n’en est rien comme
le prouvent ses apparitions à la télévision.
Au fil des ans, il est devenu un sujet de railleries sur Internet, pour
la maladresse de ses interviews et son inculture abyssale. Sur ce
document édifiant, entre la minute 3:50 et 5:15 on découvre un orateur
hagard, tétanisé par la perte de ses diapositives PowerPoint, au point
qu’il choisit de mettre fin à son exposé, devant une assemblée de
personnalités médusées. Rien qui justifie son rôle de conférencier
vedette.
A
gauche, Mamoun (fils de Mohammed) Bouhadhoud, ministre sans expérience
politique. A droite, Majid (fils de Abbas) Fassi-Fihri, haut
fonctionnaire sans expérience tout court (photos MAP, DR)
Quand un Fassi-Fihri en chasse un autre
Autre Fassi-Fihri, autre parfum de scandale. Abdelmajid, cousin du précédent et fils de l’ancien premier ministre marocain, Abbas Fassi-Fihri. A peine diplômé, il est parachuté en 2009, auprès de la Direction de la Radio et de la Télévision Nationale (SNRT)
à Rabat. Curieusement, l’homme qui perçoit un salaire mensuel de trois
mille (3000) dollars dans un pays où le salaire moyen est à quatre cent
vingt-huit (428) dollars indique bien qu’il occupe le poste en question,
mais qu’il réside à Sydney, en Australie, comme le montre la capture
d’écran de son profil Facebook, datée du 12 décembre 2013. Une ubiquité
qui fait aussitôt fleurir le soupçon de poste fictif, parmi la société
civile, dans les journaux et sur la toile, contraignant le
Président-Directeur Général de la SNRT, Faïçal Laâraïchi,
à démentir l’information et souligner que l’intéressé n’a jamais quitté
son poste où il est chargé, depuis son recrutement, d’une « étude de
marché ». A se demander quel genre d’étude de marché, prend quatre
années de rédaction.
Lorsqu’il
s’en explique auprès de « Free Arabs », Abdelmajid Fassi Fihri affirme
qu’il a été recruté comme « Chef de service », (un des postes les plus
élevés dans la hiérarchie et les mieux rémunérés à la SNRT), avant de
préciser qu’il ne doit son poste à aucun traitement de faveur, ni
complaisance, mais qu’il était chargé de « la création d'un nouveau
concept de télévision », une tâche dont il prétend s’être acquitté avec
succès, en mettant en place une « équipe de jeunes journalistes
talentueux ». Un succès qui n’empêche toutefois pas les bulletins
d’information de la SNRT de demeurer plus staliniens que jamais.
Sois ministre et tais-toi, mon fils
Les postes ministériels n’échappent pas au favoritisme. Prévus pour être
répartis entre les partis politiques, sur la base des résultats des
élections, les maroquins échoient le plus souvent aux enfants de magnats
marocains. De parfaits inconnus en politique. Dernier exemple en date,
celui de Mamoun Bouhadhoud, 30 ans, intégré à la dernière minute, dans les rangs du Rassemblement national des Indépendants (RNI) alors que ce parti négociait encore une coalition gouvernementale.
Neveu de Mohamed Bouhadhoud, un des principaux
bailleurs de fonds du RNI, Mamoun est aujourd’hui ministre des Petites
et Moyennes Entreprises. Depuis sa nomination en Octobre 2013, l’homme
se tait, « pour éviter d’embarrasser », selon un récent article de
presse. Le décret instituant le cahier des charges de son ministère n'a
pas été rendu public, et tout laisse à penser qu’il ne le sera jamais.
Ingénieur de formation, le jeune ministre parachuté en politique, n'a
jamais occupé de fonctions publiques, ce qui ne l’empêche pas de coûter
4882 dollars au contribuable.
Tant
de passe-droits et de privilèges indignent fatalement dans ce pays,
dont une récente étude de la Banque mondiale révèle que 49% de ses plus
jeunes citoyens sont déscolarisés et sans emploi, alors que 44 % de la
population est en âge de travailler.
Autre constat, l'éducation ne semble pas être une condition préalable à
l’obtention d’un emploi décent et ceux qui ont la chance d’accéder au
monde du travail, ont à faire face à des salaires misérables et une
absence totale de sécurité de l'emploi.
La
marginalisation des jeunes entraîne désocialisation et désintérêt pour
la chose politique, quand elle n’induit pas des comportements asociaux,
voire nuisibles. Des sondages d'opinion dénoncent les liens directs
entre les relations personnelles ou familiales et l’obtention d’un
emploi. Des comportements qui sont la règle dans la conduite des
affaires du pays et qui sont la conséquence de facteurs culturels et
institutionnels, avec une structure sociale qui puise ses fondements
dans les liens de parenté, au détriment des principes et du droit les
plus élémentaires. Un environnement où la loyauté s’applique, dès lors,
en priorité, à la famille perpétuant les pires archaïsmes.
Un expatrié américain à Casablanca témoigne à ce sujet :
- « Un
de mes camarades de collège aux États-Unis, était le fils d'un ancien
gouverneur marocain. Lors d’une discussion à propos de politique, il a
prétendu que les Marocains n’étaient pas prêts pour la démocratie et que
l'aristocratie leur convenait mieux, comme forme de gouvernance. Au
collège, il excellait pourtant en Histoire des Etats-Unis d’Amérique, un
pays qui privilégie plutôt l’égalité des chances. »
Un
autre témoignage vient d’une enseignante dans une école privée de
Casablanca, fréquentée par les enfants de l’élite. Celle-ci se plaint
que « beaucoup de jeunes ont le sentiment d’avoir tous les
droits. Un jour que je réprimandais un élève pour avoir utilisé son
portable en cour, celui-ci m’a répondu : » :
- « Mais Madame, j’envoie un texto à mon chauffeur ! "
Archaïsme et népotisme les deux mamelles du régime marocain
Les structures sociales marocaines demeurent encore très pyramidales.
Jusqu'aux années 1990, les comportements népotiques étaient tus et
passaient inaperçus. Mais Internet a révolutionné l'information en
offrant au consommateur l’accès gratuit au journalisme citoyen, synonyme
d’indépendance, de réactivité et d’éveil citoyen.
En outre, l’émergence progressive d’une classe moyenne éduquée et
moderne a orienté la presse vers des sujets abordant les questions de
transparence et de justice sociale.
Ce sont ces mêmes bouleversements technologiques et démographiques qui
ont conduit à la chute de régimes népotiques en Tunisie, en Libye et en
Egypte. Cependant, contrairement à leurs voisins, les Marocains n'ont
pas appelé à la chute du régime quand ils sont descendus dans les rues
le 20 Février 2011, exigeant plutôt des réformes politiques. Tout ce que
la monarchie a eu à offrir est une façade démocratique, faisant la
démonstration de sa volonté de ne pas se départir du népotisme qui
demeure sa principale marque de fabrique.
Pour
s’en convaincre, rien de tel que regarder cette vidéo filmée quelques
mois seulement après le déclenchement du « Printemps arabe ». Le
spectacle d’un enfant de huit ans, le Prince héritier Hassan, qui offre
sa main à baiser à des officiers supérieurs, et des hauts
fonctionnaires. Des vieillards, pour certains d’entre eux.
Images surréalistes et navrantes qui nous rappellent qu’archaïsme rime
avec népotisme. Deux réalités qui constituent les mamelles
institutionnelles du régime marocain. Aussi simple que ça !