18 janvier 2014
Grèce, Espagne, Portugal… les jeunes ont occupé les places lors du mouvement des Indignés en 2011 ; ils sont en tête des cortèges contestant l’austérité ; leurs votes se reportent vers les partis qui contestent les politiques menées. Selon Samaras, le premier ministre grec (Nouvelle Démocratie, droite), le chômage des jeunes est la cause de « problèmes incroyables pour la cohésion sociale ». Aurait-on enfin atteint l’état d’alerte au sommet de l’Union européenne ? Les taux de chômage grimpent en flèche depuis des années et sont à des niveaux jamais égalés en Europe. Une urgence économique et sociale… Mais l’intérêt des dirigeants européens est d’abord politique.
Les jeunes, premières victimes des politiques européennes
Quel est le sort réservé aux jeunes dans l’Union européenne ?
Alors qu’ils étaient censés être au cœur des priorités, ils sont
toujours plus mis sur la touche et plus encore dans les pays où les
politiques d’austérité sont les plus féroces. C’est un échec retentissant. En 2000, les dirigeants européens décidaient, à Lisbonne, de faire de l’UE « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici à 2010 ».
L’emploi devait être amélioré, tant quantitativement que
qualitativement. Et parmi les moyens à appliquer, l’accélération des
réformes structurelles pour renforcer la compétitivité et l’innovation
et l’achèvement du marché intérieur. Si l’UE a mis en œuvre les moyens,
elle a échoué, en revanche, sur la réalisation des objectifs. 13 ans
après, le taux de chômage des jeunes en est l’illustration. Il atteint
des sommets (23,5 %) à l’échelle européenne, et masque d’importantes disparités : 7,7 % en Allemagne, 56,5 % en Espagne ou 57,3 % en Grèce. Bref, il révèle l’échec de la « stratégie de Lisbonne »
et des politiques menées depuis les années 2000. En outre, précise
Sabina Issehnane, maître de conférences en économie à l’université
Rennes-II, « avec
la crise économique et la contraction de la demande, les jeunes ont été
les plus touchés car ils sont surreprésentés dans les flux d’embauche.
Sortant du système éducatif, ils sont pris dans une forme de goulot
d’étranglement ».
Les conséquences dépassent la question du chômage : elles touchent, en son cœur, la jeunesse et son avenir. Si le taux de pauvreté moyen dans l’UE s’élève à 25,1 % en 2012, selon les statistiques officielles, il grimpe à 31,3 % chez les 16-24 ans… et plus encore dans les pays où le chômage des jeunes est le plus élevé : 51 % en Bulgarie, 45,8 % en Grèce, 37 % en Espagne.
Cette
hausse de la pauvreté est concomitante à la précarisation et la baisse
des revenus qui frappent la société européenne. En Grèce, en Espagne, au
Portugal, par exemple, les salaires minimums pour les jeunes avoisinent
les 500 euros… à temps plein. Ils sont insuffisants pour vivre. En
outre, leur précarité s’accentue avec la multiplication des contrats à
durée déterminée, des temps partiels et des stages. Un autre élément préoccupe : les 8 millions
de 15-24 ans sans travail, sans formation, en dehors des études et de
l’apprentissage, les NEET, selon l’acronyme anglais.
Cette situation jette un voile noir sur leur futur. D’une part, « les jeunes les plus touchés par le chômage sont les non-diplômés ou très peu diplômés », souligne la chercheuse. Un phénomène qui a des impacts sur la poursuite du parcours dans l’emploi. « Il
y a un effet diplôme qui croît actuellement dans la rapidité de l’accès
à l’emploi. Et l’ancrage dans l’emploi dépend, lui aussi, énormément de
la qualification », précise Bernard Gomel, chercheur au Centre d’étude de l’emploi. D’autre part, poursuit le spécialiste, « 900 000 jeunes sont en déshérence en France ». Bref, ces chiffres qui donnent le tournis interrogent aussi sur la formation initiale. Mais comment faire pour l’améliorer ? « En
période d’austérité, tous les services publics, notamment la formation
initiale, et l’emploi sont mis en difficulté, analyse le chercheur. Il y
a un effet perdant-perdant. » Les dirigeants européens sauront-ils prendre le virage nécessaire ? Les réponses apportées jusqu’alors invitent à la prudence.
Le chômage des jeunes devient un « danger politique » car « leur rejet et leur défiance se portent sur le système national, mais plus encore européen ».
C’est ce qu’explique l’entourage du président de la République à la
veille de la 2e conférence sur l’emploi des jeunes en Europe, le 12 novembre,
àl’Élysée. La quasi-totalité des dirigeants européens y participeront
avec, à l’esprit, les élections européennes de mai 2014.
Les 15-24 ans, qui ont été les premières victimes de la crise,
pourraient aller voter plus massivement qu’aux européennes précédentes.
Leur taux de participation, de 33 % en 2004, avait chuté à 29 % en 2009. Or, selon les enquêtes menées dans les 28 États membres, 65 % des moins de 30 ans envisageraient de se rendre aux urnes. Quel sera leur vote à l’heure où leur taux de chômage atteint 23,5 % ?
Alors
que les conservateurs et sociaux-démocrates constituent les composantes
essentielles du Parlement européen, seule institution de l’UE élue au
suffrage universel direct, les gouvernements en place, dirigés par leurs
partis, sont contesté par les jeunes. Ce qui fait dire
à l’eurodéputé socialiste allemand Jo Leinen : « Le
chômage et ses conséquences créent des attentes très fortes. J’espère
que les extrémistes ne seront pas trop nombreux au Parlement. » Selon Enrico Letta, président du Conseil italien, pour « prévenir une victoire des populismes », « il faut lancer immédiatement la bataille contre le chômage des jeunes ».
Grèce, Espagne, Portugal… les jeunes ont occupé les places lors du mouvement des Indignés en 2011 ; ils sont en tête des cortèges contestant l’austérité ;
leurs votes se reportent vers les partis qui contestent les politiques
menées. Selon Samaras, le premier ministre grec (Nouvelle Démocratie,
droite), le chômage des jeunes est la cause de « problèmes incroyables pour la cohésion sociale ».
Du côté de l’Élysée, les équipes qui s’activent à la préparation du ragoût martèlent que « le président souhaite que cette question soit au cœur des priorités européennes » et qu’il ne s’agit ni d’une opération de communication, ni d’un « coup électoral ».
Une façon de se distinguer, aussi, d’Angela Merkel qui avait été taxée
de chercher un tel coup en organisant le premier round des discussions
sur ce sujet, à Berlin, en juillet 2013. Les participants avaient alors échangé, à 9 semaines des législatives allemandes, sur les « bonnes pratiques »
pour évaluer les mesures à mettre en œuvre au sein de l’Union
européenne. Mais les réponses qui étaient sorties des discussions
paraissaient bien pauvres : un budget maigrelet – 6 milliards d’euros alors que même la Commission estime qu’il faudrait au moins 21 milliards
pour faire face à l’ampleur du mal – déjà acté au Conseil européen
précédent et l’annonce de la mise en place d’une garantie jeunes (lire
p. 70). En outre, leur application tarde en raison des lenteurs dues au processus administratif européen notamment.
« Il faut faire vite, se rassembler pour mettre en œuvre ce qui a été décidé », poursuit-on dans les rangs élyséens. Hasard de calendrier ? Les 6 milliardsd’euros pour l’initiative emploi des jeunes doivent être opérationnels pour le 1er janvier 2014. Et le temps presse aussi par rapport aux objectifs de taux d’emploi – 75 %
pour les 20-64 ans – que les dirigeants européens se sont fixés avec
l’agenda 2020. De belles intentions qui risquent une nouvelle fois de
passer à la moulinette des politiques de réduction des dépenses
publiques.
Source : L'Humanité Dimanche
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