Bahar Kimyongür,18 février 2016
On la surnomme "la guerre oubliée". Elle oppose
depuis le 25 mars 2015 une coalition sunnite dominée par l'Arabie
saoudite à un mouvement insurrectionnel yéménite qui était parvenu à
chasser du pouvoir Abdel Rabo Mansour al Hadi, le président contesté de
la République du Yémen. Après onze mois d'opération saoudienne de
"pacification", plusieurs ONG internationales s'indignent du degré de
violence de nos alliés saoudiens. Celles-ci dénombrent plus de 7.000
morts, pour la plupart victimes des bombardements du régime wahhabite.
Le 24 janvier dernier, le porte-parole du ministère yéménite de la santé
Tamim Chami a avancé, quant à lui, le bilan de 23.900 morts. Plusieurs
Etats européens s'enrichissent de la guerre au Yémen et alimentent ainsi
le terrorisme international qui frappe l'Europe. Le 25 février
prochain, le Parlement européen devra se prononcer sur une motion
cruciale qui aura une double mission : celle de protéger le peuple
yéménite et les citoyens européens. Jamais dans l'histoire, le destin du
Yémen n'a été aussi lié au nôtre.
L’Arabie saoudite est le pays le plus riche du monde arabe avec un Produit intérieur brut de 750 milliards de dollars en 2013.
Le Yémen est le pays le plus pauvre du monde arabe avec un Produit intérieur brut de 35 milliards de dollars en 2013
Le fossé économique qui sépare ces deux pays se double d’un autre
contraste qui aide à mieux comprendre la violence du premier pays contre
le second.
L’Arabie saoudite est en effet le pays le plus pauvre de la Péninsule
arabique sur le plan culturel. Le peu de civilisation que l’Arabie
saoudite a connu ces derniers siècles a tout simplement été détruit par
la dynastie au pouvoir. Le wahhabisme, idéologie officielle de la
famille saoudienne, rejette toute forme d’expression artistique qui
consacre le génie humain.
Seul compte le gigantisme insipide et le luxe outrancier. Même la foi y est érigée en bien de consommation.
A l’inverse, le Yémen est le pays le plus riche de la Péninsule arabique sur le plan culturel.
On ne compte plus le nombre de palais et de maisons antiques, de
mosquées et de châteaux, de jardins et de musées à découvrir dans ce
pays.
Malgré l’extrême pauvreté du pays, le raffinement y est érigé en art de vivre.
Qui n’a pas été émerveillé devant l’architecture des maisons ocre et
blanc de la ville antique de Sanaa, face à leurs tours en pisé de terre
et en brique cuite ?
Des villes entières du Yémen sont classées au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Il y a près d’un an, l’Arabie saoudite a déclaré la guerre à ce pays secoué par de graves troubles politiques.
Le prétexte invoqué par le régime de Riyad à son intervention militaire
était la menace que ferait peser des rebelles d’inspiration chiite et
les troupes fidèles à l’ancien président du pays Ali Abdallah Saleh au
gouvernement d’Abdel Rabbo Mansour al Hadi, leur homme de paille.
En réalité, Riyad craint avant tout de perdre le contrôle du Yémen et
cultive donc le mythe de l’invasion iranienne pour s’assurer la fidélité
des micro-Etats de la péninsule arabique.
Le "président du Yémen" al Hadi est à ce point soumis à la coalition
pro-saoudienne qu’il se propose aujourd’hui d’offrir l’archipel de
Socotra, véritable joyau géologique, zoologique, botanique et
archéologique du Yémen aux Emirats arabes unis (EAU) et ce, pour une
durée de 99 ans (Al Mayadeen TV, 11 février 2016).
Pour garder sa tutelle sur le Yémen, le Roi Salmane d’Arabie saoudite et
les monarchies qui lui font allégeance dans le cadre du Conseil de
coopération du Golfe (CCG) font preuve d’une violence inouïe à
l’encontre de la population yéménite qu’elle soit pro ou anti-rébellion.
Ponts et chaussées, mosquées et musées, hôpitaux et cimetières, usines
et vergers, l’occupant saoudien n’épargne aucune infrastructure, aucune
ressource, ni aucune vie au Yémen.
Depuis onze mois, l’opération saoudienne se poursuit en violation de
toutes les lois de la guerre. Même les fêtes de mariage y sont la cible
des bombardiers saoudiens.
Le Royaume wahhabite poursuit une politique de terre brûlée sur une
terre déjà brûlée par la sécheresse, la famine et la misère. Tous ces
crimes sont menés au quotidien loin de nos caméras.
Les États européens ont longtemps laissé faire leur allié saoudien.
Il y a donc peu d’espoir de voir la guerre prendre fin dans un avenir proche.
Toutefois, le 25 février prochain, devant l’ampleur des destructions, le
Parlement européen devra se prononcer sur une résolution condamnant les
pays qui vendent des armes à l’Arabie saoudite.
L’an dernier, la Grande Bretagne a vendu des armes au régime wahhabite
pour un montant de 3 milliards de livres sterling (Daniel Boffey,
Guardian, 13 février 2016).
Le régime saoudien est aussi le premier client en armement de la
Wallonie. En 2014, des licences d’armes wallonnes ont été octroyées à
l’Arabie saoudite à hauteur de 4,3 milliards d’euros. Pour brouiller les
pistes, une partie des pièces détachées wallonnes servant à la
fabrication de blindés légers sont envoyées en Arabie saoudite via le
Canada (Le Soir, 7 janvier 2016).
La France n’est pas en reste puisqu’en 2015, le pays a engrangé 16
milliards d’euros en commandes de matériel militaire dont 75% à
destination de l’Arabie saoudite.
A l’heure où la communauté internationale a fait de la lutte contre le
terrorisme une priorité planétaire, l’Europe ne peut continuer à
soutenir un régime dont l’action militaire alimente le terrorisme
djihadiste.
Les principaux bénéficiaires des bombardements saoudiens au Yémen sont
en effet l’Etat islamique alias Daech et Al Qaeda dans la Péninsule
arabique (AQPA).
Ce constat est confirmé par de nombreux organes de presse.
D’après l’agence Reuters, "Al Qaeda et le goupe jihadiste Etat islamique
(EI) ont tiré parti de dix mois de guerre civile au Yémen pour étendre
leur présence à Aden" (Reuters, 16 février 2016).
En effet, depuis 330 jours, les avions du roi Salmane déversent
quotidiennement des tapis de bombes sur les territoires houthis de
l’ouest du pays tout en veillant à épargner les forces de Daech et
d’AQPA.
Les deux groupes terroristes peuvent entre-temps prospérer à condition
de parvenir à éviter quelques rares tirs ciblés de drones US.
En d’autres termes, l’action militaire de l’Arabie saoudite au Yémen
profite pleinement aux groupes terroristes avec lesquels le royaume
partage une même haine anti-chiite.
Et comme nous l’avons amèrement constaté, les groupes terroristes actifs
au Yémen ne se contentent pas d’exterminer les « hérétiques » de
l’islam.
Plusieurs massacres de civils commis en Europe, notamment les attentats
de Paris du 13 novembre 2015, portent en effet la signature de Daech.
Quant au massacre de Charlie Hebdo, il a été précisément revendiqué par Al Qaeda... au Yémen (AQPA).
Les frères Kouachi, auteurs du massacre, se sont tous les deux entraînés
au maniement des armes dans les rangs d’Al Qaeda au Yémen.
Si l’on veut nous protéger du terrorisme, il nous faut isoler le régime
saoudien dont le ministre de la défense Mohammed Ben Salmane est, selon
le journal The Independent, l’homme le plus dangereux du monde.
Hier encore, le journaliste saoudien Dahham Al ’Annazi annonçait sur
Russia Today que le régime wahhabite disposait de l’arme atomique et
qu’un test était en préparation.
La condamnation de nos gouvernements et de nos vendeurs d’armes,
complices d’un régime qui nourrit le terrorisme international est par
conséquent une nécessité.
Il en va de notre liberté et de notre sécurité.
Source : Investig’Action