Ahmed Benani 22/2/2016, sur Déclaration Citoyenne
Tiré du journal Le Monde :
"Le 1er décembre 2015, le chef du
gouvernement, Abdelilah Benkirane, apprend que le ministre de
l’éducation nationale, Rachid Belmokhtar, un proche du palais, avait
présenté au cabinet royal un important programme visant à « franciser »
l’enseignement des mathématiques, des sciences naturelles et des
sciences physiques. Ce projet, qui prévoit aussi l’enseignement du
français dès la première année du primaire au lieu de la troisième
actuellement, a été préparé en catimini et présenté par le ministre au
roi sans que Benkirane en soit informé.
Celui-ci est hors de lui et
devant les députés médusés, il ne mâche pas ses mots en s’adressant à
son ministre de l’éducation : « Tu t’es attelé à l’introduction du
français, mais alors le feu va prendre ! Cela, c’est le chef du
gouvernement qui l’estime et l’évalue... C’est pour cela que quand sa
majesté le roi a décidé un jour de choisir un chef du gouvernement, il
n’a pas désigné Belmokhtar, il a choisi Benkirane… S’il voulait
Belmokhtar, il l’aurait pris, il le connaît avant moi. Il m’a désigné
moi pour que ce soit moi qui décide… et c’est pour cela que je [t’ai]
adressé une lettre pour [te] dire que cette décision de franciser ces
matières, il faut que [tu] l’ajournes afin que nous y réfléchissions
parce que moi je n’étais pas au courant et que [tu] n’y as pas accordé
d’importance. »
Mais rien n’y fait. Le 10 février, l’enterrement de l’arabisation de
l’enseignement est validé lors du dernier conseil des ministres présidé
par le roi à Lâayoune, chef-lieu du Sahara occidental. La bataille pour
la mise à l’écart de ce projet paraît définitivement perdue pour les
islamistes qui dirigent l’actuel gouvernement, se réjouissent les
partisans du retour à la langue de Molière dans les écoles et les
lycées.
« Arabisation et islamisation vont de pair »
« Pour
eux [les islamistes], arabisation et islamisation vont de pair car la
langue est liée à la pensée », se félicite Ahmed Assid, un professeur de
philosophie aux positions laïques. « Ce retour aurait dû se faire
depuis longtemps. Nous avons perdu trente ans à cause de petits calculs
idéologiques. Avant d’arabiser, l’État marocain aurait dû d’abord
réformer la langue arabe dont le lexique et les structures n’ont pas
varié depuis la période préislamique », ajoute-t-il.
C’est dans le
début des années 1980, avec l’arrivée au gouvernement du parti
conservateur de l’Istiqlal, que l’arabisation de l’enseignement public a
été mise en place avec la bénédiction implicite du roi Hassan II
(1961-1999). Renforcer les conservateurs et les islamistes au détriment
de la gauche marocaine (moins enthousiaste à l’égard de l’arabisation)
était un objectif majeur du palais.
« A partir des années 1960, le Maroc a commencé à “importer” des
enseignants d’Egypte et de Syrie afin de conduire le processus
d’arabisation. C’est à cette époque que le wahhabisme et la pensée des
Frères musulmans se sont progressivement introduits dans le royaume »,
souligne l’historien Pierre Vermeren. Plus de seize ans après la mort
d’Hassan II, la réforme de l’éducation n’a toujours pas eu lieu alors
que l’enseignement privé ne cesse de s’amplifier au détriment de l’école
publique : de 9 % en 2009, la part des élèves scolarisés dans le privé
est passée à 15 % en 2015, selon Global Initiative for Economic, Social
and Cultural Rights, un centre de recherches sur les inégalités dans
l’accès à l’éducation.
« Inutile et contreproductif »
Ouvertement hostiles au projet, les islamistes du PJD adoptent pour
l’instant un profil bas. « Franciser notre enseignement n’est pas la
meilleure solution, mais nous n’allons pas entrer en conflit avec la
monarchie. C’est inutile et contreproductif. Ce projet montre à quel
point le lobby francophone est encore puissant et à quel point notre
pays dépend de la France », commente, désabusé, un député du PJD qui a
préféré garder l’anonymat.
Selon les derniers chiffres officiels, le
réseau des établissements scolaires d’enseignement français au Maroc
est tout simplement le plus dense au monde avec, à la rentrée de 2015,
plus de 32 000 élèves dont plus de 60 % de Marocains. Ces établissements
(près de vingt-cinq aujourd’hui) couvrent les principales villes du
royaume. Seuls les Marocains les plus aisés ont les moyens d’y inscrire
leurs rejetons.
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/…/maroc-le-roi-mohamed-vi-enterre-tre…
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