par Salah Elayoubi, 18/7/2012
Il y a comme cela, des images qui vous font remonter le temps, pour vous téléporter brutalement au Moyen-âge, vous font sérieusement douter du moment que vous êtes en train de vivre et vous donnent la nausée.
Celles de l’allégeance, communément appelée « Bei3a » font résolument partie de cette catégorie.
Le temps d’une cérémonie, le roi a tombé le costume à plusieurs milliers d’Euros pour se travestir en « Amir al Mouminine ». Il a également troqué le roadster allemand et le rock ou le blues endiablé de sa puissante sono, pour un arabe barbe et la musique de la garde royale.
Autour de lui, s’activent une garde rapprochée pléthorique et des intimes triés sur le volet. Le tout fait penser à un essaim d'abeilles autour de la reine. Le tintamarre alentour, est digne d’une fête foraine.
Le roi reçoit, ce jour, l’allégeance de tout ce que compte le pays comme élites civiles ou politiques et hauts fonctionnaires. Ainsi, le peuple, à travers ses représentants, est supposé témoigner « son indéfectible attachement au trône alaouite », selon l’expression consacrée.
La cérémonie a quelque chose d’ubuesque pour le roi, en même temps qu’elle est empreinte d’une cruauté sans nom pour ceux qui, pourtant, lui témoignent leur allégeance. L’Islam recommande au chef d’épargner l’amour-propre et la dignité de ses administrés. Le roi marque ostensiblement son indifférence pour cette recommandation, en même temps qu’il affiche un mépris souverain pour ceux venus lui prêter obédience et s’incliner devant lui.
Vêtus de la lourde tenue traditionnelle marocaine avec séroual, tunique à manches longues et gilet, le tout enveloppé dans un burnous, capuchon rabattu sur la tête, les participants gouttent d’abord sous un soleil de plomb, au plaisir de l’attente interminable, que leur a concoctée le protocole du palais.
La cérémonie entamée, par trois fois, ils doivent s’incliner par groupe d’une cinquantaine, en prononçant la formule consacrée « Allah ibarek fi 3oumr sidi ». Puis ils sont poussés, sans aucun ménagement, à dégager l’esplanade, au pas de gymnastique, par une cohorte d’esclaves du Palais, pendant que le roi avance de quelques pas sur sa monture, en direction du prochain groupe.
Au cours de ce sprint au goût de ridicule, qui fait ressembler nos compatriotes à quelques bipèdes d’une espèce inconnue ou encore à des pingouins malhabiles, désappointés de se retrouver là, par des températures infernales, il n’est pas rare de voir ceux qui ont commis l’erreur de chausser les fameuses babouches traditionnelles en perdre une, voire les deux, dans la confusion générale et se retrouver en chaussettes. Plus tard, la cérémonie terminée, les nettoyeurs les récupéreront comme autant de trophées risibles, après la bataille et que personne, par décence, ne s’abaissera à venir réclamer.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, bon nombre de participants à cette cérémonie infâmante et dégradante, ont déployé des trésors de ruse et de persuasion, pour que leur nom soit couché sur la liste de ses récipiendaires. Tout ce petit monde qui compte jusqu’à plusieurs milliers d’individus, obéit à une convocation, à laquelle nul ne peut plus se soustraire, une fois qu’elle est émise, sous peine de crime de lèse-majesté.
Détail sordide, mais qui a son importance, aucune commodité n’ayant été prévue sur l’esplanade du Palais, ceux qui craignent une incontinence ont, pour les plus prudents d’entre eux, choisi de sauter un, voire plusieurs repas. Les autres portent des couches-culottes où ils sont déterminés à se soulager en toute quiétude, si le besoin s’en faisait sentir.
Sur une tribune dressée face à l’esplanade, quelques « privilégiés », ponctuent chaque sprint par un tonnerre d’applaudissements et apprécient d’autant ce spectacle d’un autre âge, qu’il leur aura été épargné, pour un temps, de figurer dans cette arène de l’infamie, où les élites de la nation viennent singer la reddition d’un peuple vaincu, avant même qu’il n’ait livré bataille.
Quelle obscure jouissance procure au despote le sadisme de cette avanie et son anachronisme ? Pense-t-il se grandir, le temps de cette humiliation suprême infligée à ses contemporains ?
Quant à ces hommes investis de la mission de représenter le peuple marocain, quelle image espèrent-ils dispenser d’eux-mêmes ? Quel signal pensent-ils envoyer à leur famille, leur épouse et leur progéniture, dans ces moments où ils ont ravalé toute fierté et bu toute honte, à se soumettre au caprice d’un seul homme ?
Et nous, aurions-nous combattu le colonialisme pour remettre en selle cette monarchie schyzophrénique, capituler face à son despotisme et lui rendre armes et couleurs sans conditions ? Est-ce dans cet « à-plat-ventriste » qu’il nous sied de voir nos représentants ? Avons-nous à ce point perdu tout honneur et toute dignité, pour supporter, sans sourciller, que nos élus donnent ainsi le spectacle de leur veulerie ?
Tel un flibustier méprisant et hautain pour ceux qu’il vient de vaincre, le roi, dans cette production grandeur nature, exclusivement dédiée à son égo disproportionné, se retrouve un peu plus absolutiste que quelques heures auparavant. Satisfait, il regagne ses quartiers, pour y retrouver son clan et fêter dignement l’évènement.
Mais à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire, et il se pourrait bien qu’un jour, par un juste retournement dont l’histoire a le secret, « notre ami » se retrouve, à son tour, en posture de perdre un peu plus qu’une simple paire de babouches.