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jeudi 2 août 2012

Maroc: Benkirane n'amuse plus le roi

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Après des débuts prometteurs, la cohabitation se tend entre Mohammed VI et son Premier ministre, l'islamiste Abdelilah Benkirane. Le gouvernement est contesté dans la rue aussi, sur fond de crise économique. 
Maroc: Benkirane n'amuse plus le roi
Midelt, Maroc- Le 29 novembre 2011, le roi Mohammed VI reçoit Abdelilah Benkirane, dont le parti vient de remporter les élections législatives, afin de le nommer Premier ministre. AFP/Azzouz Boukallouch
Un peu plus de six mois après sa nomination, le gouvernement de coalition dirigé par l'islamiste Abdelilah Benkirane connaît ses premiers déboires. C'était prévisible : un contexte économique marqué par la crise, des révolutions arabes qui s'éternisent et font planer le risque d'une reprise de la contestation dans la rue, une monarchie soucieuse de préserver son capital sympathie et de ne pas être associée à l'échec éventuel du gouvernement sont autant de facteurs qui expliquent ces difficultés. 
Tout avait plutôt bien commencé. Déjouant les pronostics de ceux qui prédisaient une cohabitation tendue entre le roi et le Parti de la justice et du développement (PJD), vainqueur dans les urnes, le chef du gouvernement s'était rapidement forgé une image de boute-en-train, fort en thème, blaguant devant un Mohammed VI apparemment complice. Cerné par un protocole pesant et des courtisans aussi empressés qu'intéressés, le roi paraissait assez séduit par ce parler-vrai rafraîchissant. Les plus optimistes espéraient même que le rééquilibrage des pouvoirs au sein de l'exécutif, inscrit dans la nouvelle Constitution, serait bel et bien appliqué et que le roi se délesterait d'une partie de ses prérogatives au profit de son Premier ministre.  

Volonté de rompre avec les anciennes pratiques

D'entrée de jeu, Abdelilah Benkirane et son équipe ont affiché leur volonté de rompre avec certaines pratiques. Première mission: partir en croisade contre la corruption et l'économie de rente, qui gangrènent la société marocaine. Le ministre de l'Equipement et des transports, Abdelaziz Rabbah, a été l'un des premiers à faire parler de lui en dévoilant la liste, jusque-là non publique, des bénéficiaires des autorisations de transport de voyageurs, les "grimates". L'opacité qui entoure l'attribution de très nombreux agréments (pas seulement dans le domaine des transports) a souvent été dénoncée au Maroc. Ce système des grimates est même considéré comme un maillon essentiel du contrôle des populations par le Makhzen, l'administration royale. Ainsi, dans le sillage des manifestations qui ont agité le royaume pendant les premiers mois de l'année 2011, moqadem et caïds - les agents de l'administration locale - ont parcouru bourgs et villages pour y distribuer de précieux avantages, en échange d'une allégeance renouvelée. Ce discours anticorruption s'est cependant assez vite essoufflé, la lutte contre l'économie de rente se limitant à des effets d'annonce et à la publication de quelques noms. Le PJD est revenu aux fondamentaux de l'idéologie islamo-conservatrice, au risque de déplaire à la fraction moderniste de la société... et au souverain. 
Le premier faux pas est venu de la seule femme du gouvernement, Bassima Hakkaoui, après le suicide, au mois de mars, d'une adolescente mariée de force à son violeur présumé. Le drame avait suscité une forte émotion dans le royaume et à l'étranger. De nombreuses associations de femmes avaient alors demandé que soit abrogé l'article 475 du Code pénal marocain, qui permet à un homme coupable de viol sur mineure d'échapper à sa peine en épousant sa victime. Affirmant que "parfois le mariage de la violée à son violeur ne lui porte pas un réel préjudice", Bassima Hakkaoui leur avait opposé une fin de non-recevoir en se déclarant opposée à l'abrogation de l'article incriminé "sous la pression de l'opinion publique internationale".  

Des propos malvenus du ministre de la Justice

Autre ministre, autre bévue: le tonitruant détenteur du portefeuille de la Justice, Mustapha Ramid, ancien avocat de détenus salafistes, pointait, lors d'une visite à Marrakech, l'attitude selon lui "dépravée" des étrangers, accusés de "passer beaucoup de temps à commettre des péchés et s'éloigner de Dieu" lors de leurs séjours dans la capitale du sud du royaume. Des propos malvenus, alors même que, un an après l'attentat qui a secoué le café Argana, la ville ocre mise plus que jamais sur le retour des touristes. Au cours de cette même visite, Ramid a également eu un entretien très médiatisé avec une figure controversée de la scène religieuse marocaine, le cheikh Maghraoui, connu pour avoir, en 2008, émis une fatwa autorisant le mariage d'une fillette de 9 ans... 
Dans un premier temps, la monarchie est restée sur la réserve, tout en engageant discrètement une véritable course aux nominations. Avant même l'arrivée d'Abdelilah Benkirane à la primature, après avoir musclé son cabinet en y introduisant de nouveaux conseillers, dont son ami Fouad Ali el-Himma et l'ancien ministre des Affaires étrangères Taïeb Fassi Fihri, Mohammed VI avait nommé une série d'ambassadeurs. Le mouvement préfectoral du mois de mai dernier a de nouveau été piloté presque entièrement par le Palais. C'est le roi qui a choisi la plupart des nouveaux walis (préfets) et gouverneurs, le chef du gouvernement jouant les figurants. Dans la même veine, quelques jours avant, Mohammed VI avait créé une nouvelle commission - chargée de la réforme de la justice, celle-là -, dont les membres ont tous été nommés par décret royal.  
Il aura fallu que le ministre de la Communication, Mustapha el-Khalfi, annonce la mise en application des nouveaux cahiers des charges de l'audiovisuel public, pour que le Palais sorte de sa réserve et entame la deuxième phase de son bras de fer avec le PJD. Mustapha el-Khalfi proposait en substance que les chaînes de télévision marocaines (Al Aoula et 2M) retransmettent tous les appels à la prière de la journée, accordent une plus grande place à l'arabe et à l'amazigh (au détriment des langues étrangères que sont le français et l'espagnol), s'interdisent de diffuser de la publicité pour les jeux de hasard... Ces mesures n'ont pas manqué de susciter l'ire des patrons de chaînes. Réputés proches du Palais, ces derniers se sont épanchés dans les médias sur leur désaccord avec leur ministre de tutelle. Le différend a pris un tour nouveau quand le roi en personne a convoqué Abdelilah Benkirane et Mustapha el-Khalfi. Avant de rendre un verdict sans appel: les dispositions de ce texte ne correspondent pas à l'esprit de la nouvelle Constitution, qui se veut pluraliste. En l'état, il ne sera pas adopté. 

Fin de la lune de miel

C'est le premier vrai revers enregistré par le gouvernement. Les dirigeants du PJD n'en continuent pas moins de mettre en avant le soutien que leur accorde toujours le roi, mais ces contre-feux ne trompent personne: la lune de miel entre Abdelilah Benkirane et Mohammed VI semble terminée. Un malheur n'arrivant jamais seul, l'opposition parlementaire, comme enhardie par ce désaveu, n'a pas tardé pas à prendre le relais. Cette fois, ce sont les augmentations de prix décidées par le gouvernement qui ont mis le feu aux poudres.  
L'avenir de la Caisse de compensation, un fonds mis en place par l'Etat sous Hassan II pour subventionner les produits de première nécessité, fait l'objet d'un débat récurrent au Maroc. Dans un contexte budgétaire difficile pour le royaume, confronté à l'envolée des prix du pétrole et à la facture des subventions accordées pour maintenir la paix sociale l'an dernier, le gouvernement a pris une décision impopulaire, il y a quelques semaines, en annonçant une augmentation du prix de l'essence et en laissant entendre que d'autres hausses pourraient suivre. 

Le roi plane au-dessus de la mêlée, dans un rôle d'arbitre

Les syndicats proches de l'Union socialiste des forces populaires (USFP), aujourd'hui dans l'opposition, se sont saisis de cette décision pour faire descendre leurs partisans dans la rue. Le dimanche 27 mai, plusieurs milliers de personnes ont donc manifesté à Casablanca, la capitale économique du pays, et scandé des slogans hostiles au gouvernement. Après les derniers échecs des appels à manifester lancés par le Mouvement du 20 février, fer de lance du mouvement protestataire de l'an dernier, ce rassemblement a surpris par son ampleur. L'état de grâce est bel et bien terminé pour le gouvernement emmené par le PJD, désormais sous le feu des critiques. 
Paradoxalement, la manifestation de Casablanca couronne de succès la gestion royale du "printemps arabe" marocain. Si la rue a pu sembler, un temps, être tentée par des slogans antimonarchiques, c'est aujourd'hui le gouvernement d'Abdelilah Benkirane qui est en première ligne. Alors même qu'il n'a rien perdu de son pouvoir réel, le roi plane désormais au-dessus de la mêlée, dans un rôle d'arbitre, à la fois recours des modernistes et alibi des islamistes. Reste les problèmes de fond de l'économie marocaine. Sortie indemne du "printemps arabe" et de la "marée verte" qui a suivi, la monarchie est aujourd'hui, comme l'ensemble du royaume, confrontée au vent de la crise qui souffle d'Europe. 

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