Il y a des mots qui sont utilisés comme gâchettes émotionnelles et œillères mentales. Ils ont pour but d'orienter l'esprit dans une direction particulière où ses facultés critiques sont temporairement congelées, de sorte que la terminologie elle-même reste vivace et déclenche de fait une réaction émotionnelle de l'auditeur, mais que ses connotations soient modifiées en totalité ou en partie, par quiconque propage le message. Il existe de nombreux termes et phrases courtes qui font partie de notre lexique et qui ont été utilisée dans le but d'influencer nos opinions et, par conséquent, d’obtenir notre soutien «moral» à certains objectifs politiques ou idéologiques, avec une intention évidente : capter notre consensus, implicite ou explicite, car le consensus est un des commandements de la «démocratie». Les instruments linguistiques de persuasion sont utilisés en particulier dans les domaines les plus sophistiqués des Psyops (opérations psychologiques déclenchées par des gouvernements, en particulier en temps de guerre ou de crise), mais ils sont aussi utilisés dans la communication journalistique de base et deviennent partie intégrante du « discours public ». Puisque le langage est l'instrument que nous utilisons tous, sa codification est indispensable pour qu'il n'y ait pas lieu de définir tous les termes, en facilitant la communication des idées, mais il y a ceux dont la tâche est de tordre ces termes pour en faire des armes et des dispositifs fonctionnels de propagande. L'expérience nous apprend que la hasbara israélienne (la «propagande plus», un terme inventé par un ami psychologue), est organisée à plusieurs niveaux pour créer un consensus qui réitère un postulat exclusif, qui peut être défini comme « Israel über alles», et cela est réalisé par l'utilisation de la rhétorique et du langage.
Ce langage imprègne tellement la pensée occidentale contemporaine que le ministère de la Vérité d'Orwell semble être rien de moins que la prédiction de ce que le ministère de la Hasbara (et l'ensemble de ses filiales et annexes plus ou moins formelles ou officielles de par le monde) fait jour après jour. Quand on regarde le JT du soir, on hausse à peine un sourcil plus lorsqu'on enregistre des actes commis contre des populations civiles vivant sous occupation militaire – des crimes de guerre en tout cas, qui sont présentés comme des actes légitimes et nécessaires, ou même carrément comme des actes humanitaires. Ces mêmes atrocités sont colportées comme des étapes vers la paix et la coexistence et l'élément de la souffrance humaine est effacé ou nié. Mais quand la victime de la souffrance est un Occidental ou un ressortissant "du même camp démocratique ", c’est le mécanisme inverse qui est déclenché et nous sommes induits à ressentir une indignation morale. Nous, qui sommes les clients des médias occidentaux, sommes nourris à la cuillère de certaines informations qui seraient moralement répugnantes si les rôles étaient inversés et si, plutôt que d'être les auteurs, nous étions les victimes. Ceux qui composent et compilent leurs reportages accordent une plus grande valeur intrinsèque à la vie de ceux qu'ils estiment faire partie de leur public et ils rassemblent les informations qui renforcent ce préjugé pour produire une pensée normative. Quand un soldat occidental tombe, il est traité en héros, peu importe où il était ni ce qu'il faisait à ce moment-là, la même chose est vraie vaut pour les Israéliens qui occupent des terres «nettoyée» de leur population non-juive. Chaque fois que la cible d’une action violente est montrée, sa stature morale est directement proportionnelle à la façon dont elle correspond à notre propre image de nous-mêmes. Lorsque les victimes signalées font partie des «méchants» officiels, nous sommes presque exhortés à ressentir un soulagement et une poussée de patriotisme qui nous envoie un message indiquant que «ce sont bien les bons qui ont gagné». De même, nous sommes appelés à soutenir et défendre quelqu'un qui vit à Sderot, traité comme si ses difficultés, ses crises de nerf et sa crânerie étaient naturellement notre première préoccupation. Pendant la guerre menée contre Gaza, un groupe d'adolescents se plaignant de se sentir confinés entre leurs écoles, leurs domiciles et leurs abris ont reçu le même espace et la même importance dans les médias dominants que des parents palestiniens accablés de douleur face à la destruction de leurs maisons et l’assassinat de leurs enfants par des soldats et des armes israéliens. Il serait absurde dans quelque contexte que ce soit de faire une quelconque équivalence entre ces deux niveaux de souffrance, mais on attend de nous que nous ne bronchions pas face à ce genre de reportages.
Il en va exactement de même avec les justifications israéliennes de leur statut d’ «armée la plus morale du monde», que nous étions censés accepter sans tenir compte de ce que nous montraient les photos qui ont filtré de l'enfer de Gaza. Pour reprendre les mots du Premier Ministre d'Israël immédiatement après quelques protestations publiques : «En tant qu’ armée morale sans égal, les FDI ont pris soin d'agir en conformité avec le droit international et fait tout leur possible pour éviter de porter atteinte aux civils qui n'étaient pas impliqués dans les combats, y compris à leurs biens et, à cette fin, entre autres, ont distribué beaucoup de tracts et aussi utilisé les médias locaux et le réseau téléphonique local afin de délivrer à temps des avertissements généraux et détaillés à la population civile. Les FDI ont également pris des mesures pour répondre aux besoins humanitaires de la population civile dans la bande de Gaza au cours des combats. "
Big Brother, par Abbé Nozal, Tlaxcala
Ce qui est caché dans ce communiqué de presse, outre le jugement de valeur sur le fait d’être une armée morale sans égal, est le caractère abject du contenu de ces tracts "humanitaires" et de "l'utilisation" des médias et du réseau téléphonique locaux. Les flyers avertissaient les habitants de l'intention de destruction qui allait bientôt suivre si les gens (pris au piège comme ils l’étaient) ne « partaient » » » » pas tout simplement. Cela démontre une intention préméditée de causer des dégâts et c’était un avertissement de mort et de destruction de biens appartenant à des civils. En ce qui concerne l'utilisation des téléphones, dans un article paru dans USA Today, il a été signalé que les Palestiniens ont reçu des appels à la fois sur leurs téléphones portables et fixes, les avertissant que leur maison allait être bombardée. Les appels n'ont pas pu être retracés ou bloqués car ils venaient de fournisseurs internationaux. Les responsables israéliens ont prétendu que c'était un service rendu aux Palestiniens, (avant évidemment le vrai service rendu), et pourtant, le Commandant Jacob Dallal, le porte-parole militaire interrogé, a refusé de répondre à la question de savoir comment l'armée israélienne obtient les numéros de téléphones mobiles à Gaza.
Quant à "l'utilisation" des médias locaux, elle a consisté en un piratage d’Al Aqsa TV par les FDI ainsi que l’irruption par la force dans les stations de radio locales, dont celles du Hamas, du FPLP et du Jihad islamique. Selon un récit de Kamal Abu Nasser, lors d'émissions sur La Voix de Jérusalem, les FDI interrompaient les émissions toutes les heures pour diffuser des messages rejetant la faute sur le Hamas pour tous les problèmes à Gaza. Cette affirmation a été confirmée par de nombreux habitants de Gaza qui était devenus dépendants de la radio pour rester connectés avec le monde, et au lieu de cela ont été bombardés de propagande par ceux-là mêmes qui larguaient des bombes sur leurs têtes.
Les proclamations israéliennes sur les avertissements détaillés et l'aide humanitaire peuvent également être facilement déconstruites. L'armée israélienne n'a pas même expliqué aux médecins quel type d'armes avaient été utilisées et la façon de traiter les plaies très étrange qui étaient typiques de l’usage de DIME et de phosphore blanc. Comme tout le monde le sait maintenant, la bande de Gaza était sous blocus total par terre, mer et air, les seules marchandises y entrant le faisaient par les tunnels, que les Israéliens et les Américains se sont empressés de définir comme étant utilisés pour la "contrebande d'armes», et pas simplement le seul moyen de faire passer des marchandises de toutes sortes quand tous les accès en surface étaient coupés à la fois par Israël et l'Égypte, où des forces de sécurité dépendant du Fatah étaient également stationnées. La lecture de toute déclaration faite par Israël demande toujours beaucoup d'efforts. La vérité est là, mais c'est le contraire de ce qui est déclaré. Pourtant, ces déclarations sont prises au pied de la lettre et même élevées au rang de déclarations humanitaires.
Est-ce que ceux qui les rédigent et les diffusent croient que nous sommes aveugles, sourds et muets? Ou sommes-nous tout cela et plus encore? Est ce que notre positionnement sur le globe comme des êtres privilégiés "en dehors de l'axe du mal" a éliminé la possibilité de nous voir comme d'autres pourraient nous voir et nous exempte d'être dégoûtés de l'importance que nous nous donnons à nous-mêmes et du mépris pour les autres? Sommes-nous devenus les monstres insensibles dont nous avons l’air, ou sommes-nous simplement assez endoctrinés et soumis au lavage de cerveau pour nous interdire de penser de manière critique?
Puisque les médias de masse ne peuvent pas censurer et empêcher tout de venir à la surface, ceux qui les contrôlent se mettent à couvert en fournissant l'interprétation canonique des événements que nous sommes appelés à accepter comme des «faits» ou même «la vérité». Si nous sommes encore en mesure de voir, l'objectif des experts en hasbara est de nous empêcher de réfléchir. C'est pourquoi ces déclencheurs de peur et ces phrases-choc sont si pratiques. Ils font le travail pour notre cerveau. Il nous est nécessaire de nous sentir «informés» mais pas nécessaire de conceptualiser et de penser (ce qui serait à leur désavantage). Une fois que nous avons cessé de réfléchir, nous garderons le silence face à la violence utilisée pour opprimer les faibles.
Les régimes totalitaires ont toujours dépendu de l'ignorance ou de la peur pour les aider à effectuer leur travail d'établissement, de consolidation et de maintien de leur domination sur ceux qui autrement se révolteraient contre eux. La même chose semble être vraie dans les "démocraties" d'aujourd'hui. Des pressions s'exercent sur les organisations caritatives islamiques, les groupes qui combattent l'occupation sont classés comme mouvements terroristes et les relations diplomatiques sont également tributaires de la bénédiction de ceux qui tiennent les cordons de la bourse. Des conditions sont fixées, qui interdisent de soutenir ouvertement les mouvements politiques et même les gouvernements qui sont critiques envers l'État sioniste, comme si cela était le baromètre de la validité de toute une nation à l’échelle mondiale. Bref, même les démocraties (là encore, pour citer mon ami psychologue, les «démonocraties ») mettent en œuvre un endoctrinement fort pour instiller leur avantage hégémonique politiquement, économiquement et même moralement. Ils utilisent les médias, tant pour l'information que pour le divertissement, pour endoctriner et de former leur modèle d'un bon citoyen afin que la société soutienne pleinement les plans politiques du gouvernement, quels qu’ils soient. L’effet de ce lavage de cerveau se fait sentir à travers tout le spectre social, jusqu’à nos enfants, qui sont invités à saluer de manière acritique les « héros de la paix » armés jusqu'aux dents en Afghanistan et en Irak. Il semble bien qu’Orwell avait raison, en fin de compte.
Lutter contre la rhétorique vide, déconstruire les mensonges un à un et reprendre le pouvoir de notre pensée critique est une chose qui n'est plus un luxe mais une nécessité absolue. Pour contribuer à cet idéal de conscientisation, Palestine Think Tank et Tlaxcala lancent une série d'essais qui examinent beaucoup de ces termes et phrases, un et une à la fois, afin de construire un lexique de substitution et de présenter une lecture plus précise des mots qui nous entourent pour le moment principalement comme déclencheurs propagandiste d’émotions. Nous demandons à nos contributeurs, membres et associés de réfléchir et d’écrire sur ces questions, et nous invitons également nos lecteurs à contribuer par des textes pour publication, traduction et diffusion.
Quel termes nous intéressent-ils ? Il y en a en fait beaucoup parmi lesquels choisir, le choix est donc laissé aux auteurs. En aucun cas nous ne voulons limiter les essais à un seul sur chaque thème, car chaque auteur peut souhaiter contribuer avec son propre point de vue ou ses arguments pour affronter un thème déjà abordé. Nous espérons que cet effort de coopération internationale peut contribuer à une meilleure compréhension des problèmes mondiaux, et une plus grande conscience de la façon dont nous jouons un rôle actif, ne nous contentant pas seulement de rejeter les définitions erronées qui nous sont données, mais nous mettant en capacité de donner un contenu à ces termes et de les comprendre dans leur véritable dimension.
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La Première guerre mondiale des mots est une initiative de Palestine Think Tank et Tlaxcala. Les auteurs souhaitant y participer peuvent envoyer leurs contributions à contact@palestinethinktank.com et à tlaxcala@tlaxcala.es.