Suite
à ces plaintes, déposées par ces (ex-) détenus et l’ACAT (Action des
Chrétiens contre la torture), et en particulier suite à celle déposée
contre le tortionnaire Abdellatif El Hammouchi, le Maroc a annoncé le 26
février dernier « la suspension de l’exécution de tous les accords de coopération judiciaire avec la France ".
Le magistrat de liaison marocain en France a été rappelé. Depuis, plus
moyen d’exécuter un acte de mariage ou de filiation en France ou au
Maroc. Plus de demandes d’extradition, d’auditions de témoins, ou de
transferts de détenus. Hélène Legeay, de l’ACAT, déclarait à ce propos :
« En empêchant le transfèrement de détenus français condamnés au
Maroc, les autorités marocaines cherchent à les empêcher de porter
plainte pour torture à leur arrivée en France ».
Monsieur El
Hammouchi n’est pas n’importe qui. Au sein de la Direction Générale de
la Sûreté Nationale (DGSN), il est le directeur général de la Direction
de la Surveillance du Territoire (DST). Il est ainsi un des hommes les
plus puissants au Maroc. En visite en France pour participer à un sommet
des G4 (Portugal, Maroc, France et Espagne), sept policiers français se
sont rendus à la résidence de l’ambassadeur du Maroc pour lui notifier
une convocation émanant d’un juge d’instruction. El Hammouchi aurait pu
recevoir la plainte, se rendre au bureau du juge et se défendre contre
toute accusation injuste. Mais non. Il a été pris de panique comme tous
ceux qui réalisent que leur impunité pourrait prendre fin un jour : «
Certains hauts gradés marocains, eux-mêmes susceptibles d’être ciblés
par la justice française, ont vécu d’une manière dramatique le fait
qu’on puisse aller délivrer une convocation à la résidence de
l’ambassadeur. Cela signifie qu’il n’y a plus de protection. » (1).
En suspendant les accords, ces hauts gradés marocains lancent aussi un
avertissement à la France et à l’Europe : après tous les services
rendus, vous avez le devoir de nous laisser tranquilles et de nous
protéger. La France essaie de limiter les dégâts et a présenté ses
excuses au Maroc, en foulant aux pieds le principe sacré de la
séparation des pouvoirs.
Et la position de la Belgique dans tout
ça ? On se souvient de la fierté déplacée de notre ministre de la
Justice, Annemie Turtelboom (VLD), dans le gouvernement Di Ruppo (PS),
quand elle déclarait devant la commission de la Justice de la Chambre,
le 2 mai 2012 : « Après la France, la Belgique est le premier partenaire du Maroc en matière de collaboration judiciaire... ».
La France tombée en disgrâce, c’est la Belgique qui est aujourd’hui le
premier partenaire judiciaire du Maroc, pays mis mondialement en
accusation pour ses pratiques généralisées de torture.
Tout
indique que la Belgique va profiter du vide créé par l’incident entre
Paris et Rabat pour s’enfoncer davantage dans la collaboration avec le
Maroc. Quand il s’agit du Maroc, il ne faut attendre aucune moralité de
la part de la Belgique.
Madame Turtelboom s’était déjà vantée que
la Belgique a de meilleures relations avec le Maroc que d’autres pays
européens. Dans un communiqué du ministère de la Justice, on peut lire :
« La Belgique est le seul pays de l’Union Européenne qui a été en
mesure de conclure un accord avec le Maroc pour le transfèrement, sans
leur permission, de prisonniers condamnés. Plusieurs États membres de
l’Union Européenne, dont principalement les Pays-Bas et la France, sont
demandeurs d’un tel accord avec le Maroc, mais n’ont pas encore réussi à
le négocier. » (2)
Depuis le 1er mai 2011, la Belgique
organise donc le transfert forcé des détenus marocains incarcérés en
Belgique vers l’enfer carcéral marocain. Le 16 décembre 2013, la
ministre de la justice belge sortait un communiqué annonçant le
transfert « ce matin de six marocains, qui purgeaient leurs peines
en Belgique, au Maroc...C’est la troisième fois que des détenus
marocains sont transférés. Jusqu’à présent, au total 15 détenus ayant
été condamnés ensemble à une peine de 125 ans ont été transférés. Ces
transfèrements représentent un avantage financier pour notre pays de
près de six millions d’euros ».
Six millions d’euros contre six détenus, voilà à quoi se résument les principes humanitaires de la Belgique.
Les détenus au Maroc : entassés comme du bétail
Quand
la Belgique expulse de force des détenus vers le Maroc, elle sait
pertinemment que c’est humainement inacceptable. Si la surpopulation en
Belgique atteint
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Prison Noire El Aaiun |
quelque 12.000 détenus pour une capacité d’un peu plus
de 9.000 places, et qu’on dit à juste titre que la situation est
dramatique, au Maroc il s’agit de 65.000 détenus en 2012 pour une
capacité de 30.000 et de 70.675 détenus pour la même capacité en 2013 !
C’est-à-dire que la population carcérale au Maroc dépasse de 100% la
capacité d’accueil des prisons. Changez le mot détenus par « moutons »
ou « poulets » ou « chiens », annoncez fièrement que vous allez encore
ajouter de force quinze bêtes dans leurs cages surpeuplées et vous
auriez sur le dos Gaïa et autres défenseurs des animaux, qui en feraient
un incident majeur. Retransmission garantie sur toutes les chaînes de
télévision. Mais pas pour des détenus ! Là, la Belgique fait simplement
le calcul de ses bénéfices. Avec l’approbation générale des politiciens
et de l’opinion publique, les détenus marocains peuvent crever dans leur
trou. Mais la fête continue : en grandes pompes, on célèbre les
cinquante ans de l’immigration marocaine.
10 ans de collaboration belgo-marocaine dans la torture des inculpés de terrorisme
Quant
à la situation des détenus politiques (tortures et procès iniques) dans
les prisons marocaines, la Belgique fait preuve de la même
collaboration et de la même insensibilité. Cela fait dix ans que les
mêmes rapports des organisations des droits de l’homme dénoncent la
torture des détenus politiques et que les autorités marocaines les
dénient à chaque fois.
Il y a mois pour mois dix ans que la Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme (FIDH) écrivait : «
Les autorités marocaines ont procédé durant les mois qui ont suivi les
attentats de Casablanca à des milliers d’arrestations ; ces campagnes
ont concerné l’ensemble du territoire et consisté parfois en de
véritables rafles visant certains quartiers déshérités des périphéries
des grandes villes, à Fès ou à Casablanca par exemple. Il sort des
constatations des missions de la FIDH que les violences, y compris la
torture et les traitements cruels, inhumains ou dégradants, commises
contre les personnes poursuivies, comme les atteintes au droit à un
procès équitable, y compris les droits de la défense, qu’elles ont
constatées sont flagrantes. »(3)
Depuis la sortie de ce
rapport, rien n’a changé. La Belgique en a non seulement pris
connaissance mais, comme tout pays de l’Union européenne, elle a
également pris connaissance du rapport du Parlement européen démontrant
que le Maroc a été utilisé comme base de torture dans la guerre
antiterroriste américaine. Selon ce même rapport parlementaire européen,
quelque quarante escales d’avions de la CIA ont été effectuées au Maroc
de 2001 à 2005. (4)
Pour démontrer son utilité à l’Occident et à
quel danger celui-ci s’expose sans le soutien du Maroc, le Maroc frappe
aussi sur son front intérieur avec le démantèlement d’au moins une
cellule terroriste par an : « En 10 ans, des dizaines de communiqués
officiels ont fait état de démantèlements de "cellules terroristes
dormantes qui préparaient des attentats contre des intérêts du pays". A
l’occasion du dixième anniversaire des attentats de Casablanca, le
ministère de l’Intérieur marocain a déclaré que les services de sécurité
marocains ont réussi à démanteler pas moins de 113 cellules terroristes
et à arrêter 1256 présumés terroristes "soupçonnés de préparer une
trentaine d’actes". Pourtant, après Casablanca 2003, le seul attentat
enregistré est celui du café Argana, à Marrakech en 2011 en plein cœur
du Printemps Arabe. Une opération qui a soulevé beaucoup
d’interrogations sur son véritable auteur. » (5)
En parfaite
coordination avec le Maroc, la Belgique a démantelé elle aussi ses
cellules dormantes en Belgique : des dizaines de Belgo-marocains et de
Marocains vivant en Belgique sont passés devant les tribunaux
antiterroristes belges pendant cette dernière décennie. Pensons aux
dix-huit du GICM, aux volontaires belgo-marocains pour l’Irak, aux
belgo-marocains dans les procès Trabelsi ou de Malika El Aroud.
Parmi
les soi-disant cellules dormantes au Maroc, il y a aussi celles
composées de différents Belgo-marocains arrêtés à la demande du Maroc en
dehors de la Belgique (au Maroc, en Syrie, en Espagne). Ces
Belgo-marocains ont subi le même sort que les autres : torture, preuves
basés sur des aveux, procès iniques, peines d’emprisonnement à
l’américaine, conditions carcérales impitoyables.
La Belgique a
nié l’existence même de la torture au Maroc, en s’opposant ainsi à tous
les rapports internationaux sur le sujet. Le 7 juin 2011, en réponse à
une interpellation du sénateur Bert Anciaux à la commission des
Relations extérieures et de la Défense, Olivier Chastel (MR), ministre
du Développement, chargé des Affaires européennes, répond au nom du
ministre des Affaires étrangères, Van Ackere (CD&V) : « À partir
des dossiers sur lesquels mes collaborateurs travaillent, il n’est pas
apparu jusqu’à présent que des prisonniers belges au Maroc ou dans
d’autres prisons à l’étranger auraient été torturés. »
Même
quand des preuves noir sur blanc sont présentées par des instances
reconnues mondialement, Monsieur Reynders (MR), ministre des Affaires
étrangères, ne plie pas. Il est actuellement en appel contre la décision
de la justice belge du 3 février 2014 qui oblige l’État belge à
accorder une protection consulaire à Ali Aarrass, un Belgo-marocain,
innocenté en Espagne, extradé et incarcéré au Maroc. Ali Aarrass est sur
la liste des détenus torturés d’Amnesty International et de Human
Rights Watch. Juan Mendez lui a rendu visite en prison, une délégation
onusienne a fait de même. Tous ont confirmé qu’Ali Aarrass a été torturé
et demandent sa libération immédiate. De la part du gouvernement de son
propre pays, en la personne du ministre Reynders, Ali Aarrass a droit
au refus total de se voir accordée ne serait-ce que cette toute petite
protection qu’est la protection consulaire. Comprenne qui pourra.
On
peut penser que les intérêts économiques et le calcul stratégique
constituent le fond de la collaboration belge avec ce qu’on appelle
l’exception marocaine. Mais le plus inquiétant à mes yeux, c’est le
degré d’insensibilité atteint en Belgique tant au niveau politique que
dans l’opinion publique. Qu’il s’agisse de la surpopulation carcérale
et de la torture au Maroc ou d’un enfant afghan renvoyé de force dans
son pays en guerre.
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Prison Noire El Aaiun |
Au niveau carcéral, le Maroc est le Guantanamo de la Belgique.
Aucun parti politique belge ne devrait pouvoir se présenter aux élections prochaines sans devoir s’expliquer sur cette question.
Luk Vervaet