Suite à la convocation par
la justice française du directeur des renseignements marocain
Abdellatif Hammouchi, dans le cadre des enquêtes sur des cas de torture
présumée, l’Etat marocain a suspendu unilatéralement l’exécution des
accords judiciaires avec la France. Cette décision soudaine a soulevé
chez les diplomates à Rabat et chez l’opinion publique marocaine une
question fondamentale : Pourquoi Rabat n’a pas réagi avec le même zèle
dans des dossiers similaires, notamment suite au mandat d’arrêt contre
le commandant de la gendarmerie royale, le général Housni Benslimane ?
La presse marocaine a fait
état de la décision des autorités marocaines de mandater des avocats
pour défendre Hammouchi, directeur de la DST, et engager un dialogue
avec le gouvernement français pour dépasser cette crise. Cette décision
montre que le Pouvoir marocain prend très au sérieux cette affaire qui
l’inquiète au plus haut point. A ce jour, il y a trois plaintes déposées
contre Hammouchi sur fond de torture présumée. La première est celle de
Naâma Asfari, condamné pour participation aux événements violents de
Gdim Izik en 2010 ayant conduit à la mort d’éléments de police. La
seconde émane du boxeur international Zakaria Moumni et la troisième
d’Adil Mtalsi. Zakaria Moumni a récemment adressé une lettre au
président français François Hollande, sollicitant son intervention pour
obtenir justice, et que la presse française a largement médiatisée, ce
qui a poussé des milieux proches du Pouvoir marocain à évoquer la
sempiternelle théorie du complot. Ainsi le Maroc serait visé en raison
du succès de la tournée du roi en Afrique. Les tenants de cette théorie
oublient que certaines plaintes remontent à l’été dernier, bien avant la
tournée royale.
La colère du Maroc l’a poussé à
vouloir protéger Hammouchi à tout prix, ce qui contraste avec sa
réaction plutôt timide face à des situations similaires citant d’autres
personnages.
En effet, ce n’est pas la
première fois qu’une juridiction étrangère tente d’auditionner un
responsable marocain, ayant un grade plus élevé que Hammouchi. La
justice espagnole voulait en 1998 auditionner le roi Hassan II lui-même
suite à des accusations de violations des droits de l’homme au Sahara.
Ensuite, c’était autour de l’ancien ministre de l’Intérieur Driss Basri
et d’autres responsables militaires, comme le général Abdelhaq Kadiri
et le général Housni Benslimane, de se trouver dans le collimateur des
juges d’instruction.
Benslimane a fait l’objet d’un mandat d’arrêt
international lancé par la justice française dans le cadre de l’affaire
Benbarka. Il est également cité dans un dossier ouvert par la Cour
nationale de Madrid, en compagnie du général Abdelaziz Bennani,
inspecteur général des forces armées.
Par ailleurs, suite aux
attentats terroristes du 11 mars 2004 à Madrid, des accusations
directes ont été proférées par des médias et des milieux politiques
espagnols qui ont évoqué la participation des renseignements marocains
dans ces attaques. A l’époque, le Maroc n’avait protesté contre ces
graves accusations alors qu’aujourd’hui il remue ciel et terre pour
Hammouchi. Pourquoi ?
Alipfost a interrogé des
personnalités en relation avec l’Etat profond marocain. L’explication
obtenue est que le cas Hammouchi est à part. D’abord, l’Etat veut
clore ce dossier afin d’éviter l’émission d’un mandat d’arrêt contre
lui, ce qui en ferait le deuxième haut responsable sécuritaire, après
Benslimane, à avoir maille à partir avec la justice internationale, à un
moment où le Maroc aime apparaitre comme un acteur de paix et de
sécurité dans le monde. Cela ferait désordre.
Ensuite, il y a la différence
entre deux règnes. Benslimane est réputé faire partie de l’ancienne
équipe, et se trouve poursuivi dans des dossiers de violations qui
remontent aux années soixante-dix et quatre-vingt, ce qui n’engage que
la responsabilité politique du règne du roi Hassan II. A l’inverse, un
éventuel interrogatoire de Hammouchi pourrait mener à des responsables
politiques des organes sécuritaires, dont le ministre de l’Intérieur et
le ministre délégué à l’Intérieur. En d’autres termes, des individus
comme Fouad Ali Himma, Tayeb Cherkaoui et Mohand Laenser, pourraient
être convoqués à leur tour. Dans le cas de Zakaria Moumni, c’est le
secrétaire particulier du roi Mohammed VI, Mounir Majidi, qui pourrait
être inquiété puisqu’il est cité dans la plainte comme étant à
l’origine de la torture. Une telle perspective signifie que tout
l’édifice sur lequel repose le concept de « l’Instance d’Equité et de
Réconciliation » va s’écrouler.
Cela fait encore plus désordre.
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