Portrait du roi Mohammed VI dans la ville de Dakhla, au sud du Sahara occidental. Photo: YoTuT / flickr-cc
Fin octobre-début novembre, quelques jours après la
visite de Christopher Ross – l’envoyé spécial de l’ONU dans la région –
la tension au sujet du Sahara occidental est montée d’un cran entre
Alger et Rabat.
JOL Press : Pouvez-vous nous rappeler les intérêts de l’Algérie au Sahara occidental ?
Régine Villemont : La lecture du conflit dans
le Sahara occidental ne passe pas forcément par les intérêts de
l’Algérie dans la région. L’Algérie a un territoire très vaste, elle a
énormément de ressources en gaz et en pétrole, elle n’a pas tellement
« besoin » du Sahara occidental.
Le problème entre le Maroc et l’Algérie, c’est que la question non
résolue du Sahara bloque le développement de l’Union du Maghreb arabe
(UMA), qui serait peut-être plus susceptible d’améliorer les relations
économiques entre les différents pays du Maghreb. Cette absence
d’évolution de l’UMA freine certaines potentialités de développement des
intérêts algériens.
Au niveau politique, c’est vrai que l’Algérie, dans les années 70,
s’est toujours positionnée en faveur des luttes pour
l’autodétermination, que ce soit en Afrique ou en Amérique latine. Elle a
continué en soutenant le peuple du Sahara occidental qui demandait
aussi son autodétermination et luttait contre l’occupation marocaine. La
position algérienne sur cette question-là est restée constante.
Le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, a par
ailleurs déclaré en novembre qu’il était nécessaire de mettre en place
« un mécanisme de suivi et de surveillance des droits de l’Homme au
Sahara », accusant le Maroc de « violations massives et systématiques »
des droits de l’Homme dans ces « territoires occupés ».
JOL Press : Dans quelle mesure les droits des Sahraouis sont-ils en effet bafoués ?
Régine Villemont : Il faut rappeler que les
Sahraouis ont été chassés de chez eux. En occupant le territoire [à
partir de 1975, ndlr], le Maroc a brisé leur unité : certains sont
restés, d’autres sont partis et ceux qui sont partis n’ont pratiquement
jamais pu revenir. S’ils revenaient, ils devaient faire allégeance au
roi, ce qui était pour eux inenvisageable. Ceux qui sont restés ne
pouvaient même pas dire qu’ils étaient Sahraouis pendant le règne
d’Hassan II [le père de Mohammed VI, ndlr], et le territoire était
entièrement sous contrôle.
Après la mort du roi Hassan II, les choses se sont un peu apaisées en
direction des Sahraouis. Le business s’est développé dans la région,
les Marocains viennent en plus grand nombre mais ils continuent de
contrôler l’essentiel du fonctionnement économique et administratif du
Sahara occidental.
Aujourd’hui, les Sahraouis sont devenus pratiquement minoritaires
chez eux, ils ne contrôlent pas grand-chose, ils sont complètement
dépendants de la tutelle marocaine. Et tous ceux qui proclament
publiquement qu’ils sont pour l’autodétermination voire l’indépendance
du Sahara occidental, ou qui disent qu’ils sont Sahraouis et non
Marocains, risquent de perdre leur emploi ou de ne pas pouvoir faire
d’études. Et quand ils se rassemblent et manifestent dans la rue, ils
risquent de se faire tabasser et d’aller en prison. Nous avons souvent
des échos de Sahraouis qui se retrouvent à l’hôpital après avoir été
tabassés, y compris des femmes.
Beaucoup de quartiers de Laâyoune [ville la plus importante du Sahara
occidental, ndlr] sont encombrés de casernes et d’installations de
police. C’est une ville sous contrôle. Par ailleurs, à Dakhla [au sud de
la région, ndlr], zone très riche pour la pêche, les Sahraouis sont
vraiment minoritaires. Il y a beaucoup d’industriels ou de pêcheurs
marocains qui viennent exploiter les ressources de pêche.
[Un accord de pêche entre le Maroc et l’UE, adopté à une large
majorité par le parlement européen le 10 décembre, a notamment été
contesté par le Polisario et par certains manifestants Sahraouis qui
accusent le Maroc d'exploiter à son profit les ressources du Sahara
occidental, ndlr.]
Une rue de Laâyoune, la ville la plus importante du Sahara occidental. Photo: David Stanley / flickr-cc
Le 7 novembre, Mohammed VI a prononcé un discours pour
célébrer le 38ème anniversaire de la « Marche verte » [qui marquait la
fin de l’occupation espagnole au Sahara occidental, ndlr]. Il a
notamment donné une vision d’un Sahara occidental qui serait le
« prolongement africain » du royaume marocain.
JOL Press : La position du roi sur cette question s’inscrit-elle dans la droite lignée de celle de son père, Hassan II ?
Régine Villemont : Le père de Mohammed VI a
conduit son pays de manière autoritaire voire tyrannique, avec des
moyens à la fois archaïques et modernes, pour mettre au pas les
syndicats, les militaires et les Sahraouis, et créer une unité nationale
un peu factice pour sauver son trône en occupant le Sahara occidental.
La vision de son fils n’a pas vraiment bougé : il reste toujours
campé sur sa position de garder le Sahara occidental et de considérer
que cette région fait partie intégrante du Maroc, en dépit des
résolutions de l’ONU et des batailles menées par les Sahraouis. Son
discours renouvelle toujours cette volonté, même s’ils ont commencé à
parler d’autonomie ou mis en place une Instance Éthique et
Réconciliation (IER) pour essayer d’en finir avec ce qui s’est passé
dans les « années de plomb » [période allant des années 60 à 80, sous le
règne d’Hassan II, marquées par la violence et la répression contre les
opposants, ndlr].
Dans le même temps, le roi a rappelé dans son discours sa
volonté de développer le Sahara occidental. Le Conseil économique,
social et environnemental marocain (CESE) a notamment publié en novembre
son « Nouveau modèle de développement pour les provinces du Sud », un projet commandé par le roi il y a un an.
JOL Press : Que faut-il retenir de ce projet ?
Régine Villemont : J’ai pu en discuter avec
une des responsables d’une association de Sahraouis qui habite Laâyoune.
Ce qu’elle observe, c’est que ce projet-là suit strictement la thèse de
la marocanité du Sahara. L’administration marocaine ne prend pas la
peine d’interroger les opposants à ce projet : c’est un développement
qui est pensé de manière tout à fait unilatérale. Pour eux, c’est encore
une manière de se maintenir et de prolonger le statu quo. La
plupart des Sahraouis considèrent ce projet-là comme une manœuvre,
plutôt qu’un projet qui pourrait développer le Sahara occidental. Et le
Maroc a-t-il réellement les moyens de soutenir ce projet ? La question
reste posée.
Le roi Mohammed VI a rencontré le président Barack Obama à Washington, le 22 novembre 2013. Photo: capture d'écran / YouTube-RTM
Fin novembre, Mohammed VI a rencontré Barack Obama lors
d’une visite à Washington. Le président américain a profité de cette
entrevue pour aborder la question du Sahara occidental. Beaucoup de
médias ont déclaré à cette occasion que le président américain
« soufflait le chaud et le froid » à ce sujet, soutenant d’un côté le plan d’autonomie marocain pour le Sahara occidental, et rappelant de l’autre côté les devoirs du Maroc en matière de droits humains.
JOL Press : Quels ont été les principaux points abordés lors de cette rencontre, et comment a-t-elle été perçue par les Sahraouis ?
Régine Villemont : Les réactions des
Sahraouis ont été plutôt positives suite à cette rencontre, notamment
parce qu’ils estiment que Barack Obama, dans ses discussions avec
Mohammed VI, a consacré une place significative à la question du Sahara
occidental. C’est un point positif dans le cadre des échanges bilatéraux
avec le Maroc, car cette question a en effet été « mise sous le tapis »
pendant des années. Je me souviens des relations bilatérales entre la
France et Hassan II par exemple, et jamais la question du Sahara
occidental n’était abordée.
Les déclarations relatives aux droits de l’Homme sont aussi
positives. Barack Obama a notamment conseillé aux Marocains de ne plus
utiliser de tribunaux militaires contre les civils. Le président
américain est par ailleurs resté fidèle à la position américaine
développée en avril dernier, concernant l’élargissement de la Minurso
[la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au
Sahara occidental, ndlr], les préoccupations de la Fondation Kennedy,
celles du secrétaire général de l’ONU, du Conseil des droits de l’Homme
de Genève etc. Cela fait partie d’un processus qui va aboutir à la
prochaine réunion du Conseil de sécurité de l’ONU, en avril 2014.
JOL Press : Que faut-il penser du soutien américain au plan d’autonomie prévu par le Maroc ?
Régine Villemont : Concernant le plan
d’autonomie marocain prévu pour le Sahara occidental, je ne suis pas
sûre que Barack Obama ait exprimé un vrai soutien à ce plan, qui a
plutôt été relevé comme une des solutions possibles. Je pense que c’est
comme cela qu’il faut interpréter la position de Barack Obama, qui doit
être assez proche de la position exprimée par la France.
JOL Press : La solution de l’autodétermination est-elle alors vouée à l’échec ?
Régine Villemont : Tant que le sujet du
Sahara occidental est dans les mains de l’ONU, l’ONU ne peut pas
contredire 50 ans de résolutions qui demandent l’autodétermination.
Depuis 2004 et le lancement par Mohammed VI du projet d’autonomie, le
Maroc essaie que l’ONU se dégage du sujet et que la question soit réglée
de manière interne, mais cela n’a pas marché.
Ce que j’observe aussi, c’est que les Sahraouis s’appuient davantage
sur l’Union africaine (UA). Cela fait quand même très longtemps que la
République arabe sahraouie démocratique (RASD) est le 51ème État
appartenant à l’Union africaine [l’UA reconnaît la RASD depuis 1982,
alors que ni l’ONU ni la Ligue arabe ne l’ont reconnue], et l’on peut
espérer après tout que l’Afrique ait un peu plus de poids au niveau
diplomatique et que les Sahraouis, davantage présents au sein de l’Union
africaine, bénéficient de l’appui d’États importants comme l’Afrique du
Sud et le Nigeria, et d’une partie de l’Afrique lusophone et anglophone
[la question devrait être abordée lors du sommet de l’Union africaine
fin janvier 2014].
Des femmes sahraouies manifestent contre l'occupation marocaine, mai 2005. Photo: Saharauiak / flickr-cc
JOL Press : Les Sahraouis continuent-ils toutefois leur combat ?
Régine Villemont : Oui, et la présence d’une
expression publique d’opposition au Maroc au Sahara occidental change
d’ailleurs la donne. Les autorités marocaines ont été surprises de
l’importance qu’ont pris certains rassemblements de Sahraouis, comme en
mai dernier lorsque des milliers de Sahraouis sont descendus dans la
rue.
Régulièrement, les gens s’organisent et font des sit-in. Une
maturité associative et politique se construit au Sahara occidental.
Ils se dotent d’outils associatifs, de revendications. Il faudra bien un
jour que le Maroc en tienne compte. Après, que cela passe par une
solution politique ou par une solution d’autodétermination comme l’ONU
l’avait prévue en 1991, le règlement sera celui que les parties et leurs
alliés choisiront à ce moment-là.
À moins qu’il y ait une reprise de la guerre, ce que personne ne
souhaite dans la région, il faudra qu’ils arrivent à un règlement
politique, que le dossier ne soit plus seulement tenu par le roi et ses
affidés, mais que la société civile et les parlementaires s’en emparent,
et que la question du Sahara occidental fasse partie de la progression
du débat démocratique marocain. Cela prend beaucoup de temps, parce que
le rapport de force est inégal, mais les Sahraouis n’ont pas lâché
pendant quarante ans, et je crois qu’ils ne sont pas prêts à lâcher.
JOL Press : Quelles sont les prochaines étapes concernant le Sahara occidental en 2014 ?
Régine Villemont : L’étape importante, c’est
le Conseil de sécurité, en avril prochain, que l’on suivra de près, même
si Christopher Ross a annoncé qu’il envisageait plutôt des négociations
discrètes.
Ils ont reconstitué la scène : c’étaient des bergers qui avaient là
un puits et qui ont été tués par un régiment marocain en février 1976,
dans une région du Nord du Sahara occidental, à la limite de la zone
contrôlée par le Maroc et de la zone contrôlée par le Polisario. Les
dépouilles ont récemment été inhumées dans de vraies tombes, en présence
des descendants de ces huit personnes et en présence de la Minurso.
Cette affaire a été transmise au secrétaire général de l’ONU et à
Christopher Ross en charge du dossier.
Ce sont des informations qui vont prendre de l’importance dans le
suivi du dossier concernant le Sahara occidental et qui pourraient
pousser le Conseil de sécurité à donner plus de poids à la Minurso. Son
mandat, qui était au départ simplement consacré au référendum, devrait
être élargi et la Minurso pourrait, entre autres, être chargée d’aller
chercher dans les zones aussi bien contrôlées par le Maroc que par le
Polisario, d’autres traces de charniers et de combats.