- Par Fahd Iraqi,19/12/2013
Crédit photo : AFP
Sacré. Les finances du Palais font
l’objet d’une présentation laconique devant les parlementaires, qui
n’ont aucun interlocuteur du sérail pour en discuter.
Opaque.
Le peu de détails fournis aux élus crée une confusion entre listes
civiles, dotations de souveraineté et budget de la cour royale.
Excessif. Le Marocain paie pour la monarchie plus de onze fois ce que débourse un Anglais, pourtant treize fois plus riche.
Cela
s’est passé il y a un peu plus d’un an. Le 18 novembre 2012,
précisément. Devant l’esplanade du parlement, une cause inédite réunit
quelques dizaines de militants du 20-Février et de l’Association
marocaine des droits de l’homme (AMDH) : ils revendiquent une réduction
du budget royal. « L’État est en crise, les finances publiques sont
au rouge et les Marocains se serrent la ceinture. Pendant ce temps-là,
le budget alloué à la monarchie est en hausse, ce qui n’est pas normal », scandent les manifestants. « Protester ouvertement sur la voie publique contre l’excessivité du budget royal, c’était du jamais vu »,
se souvient ce militant du M20, abonné au premier rang des sit-in. Une
grande première donc, mais aussi une dernière. La manif tourne mal, les
forces de l’ordre interviennent rapidement et brutalement pour disperser
le rassemblement. La voix des manifestants fait néanmoins écho dans la
presse nationale et internationale, les réseaux sociaux s’enflamment, et
même dans l’hémicycle les langues commencent à se délier. Deux jours
plus tard, Abdelaziz Aftati, député d’Oujda, soulève le débat sous la
coupole. Alors que le budget de la cour royale est présenté en
commission des finances, le nouveau trublion des Pjdistes critique le
process : « C’est aux personnes qui élaborent ce budget de venir le défendre, lance-t-il. Il faut un représentant du Palais et non pas un ministre attaché à la primature. » Ses mots resteront suspendus en l’air. Un an plus tard, rien n’a changé ou presque…
Omerta sous la coupole
En
novembre 2013, bis repetita. Le budget de la cour royale est à nouveau
soumis au vote des élus. Cette fois-ci, la rue ne s’est pas mobilisée.
« L’année dernière, on voulait sensibiliser les parlementaires qui, eux, ont toute la légitimité pour évoquer le sujet, argumente notre militant du 20-Février. Mais comme ils ont choisi d’avaler leur langue, on ne va pas continuer à prendre des coups à leur place
». Effectivement, le jour de la discussion des finances de la monarchie,
aucun représentant du sérail à l’horizon. Pourtant, il s’agit d’une
rubrique de la Loi de Finances qui vaut 2,5 milliards de dirhams.
Mohamed El Ouafa, qui a remplacé Najib Boulif au ministère des Affaires
générales, est venu accomplir cette délicate mission. Le député
Abdelaziz Aftati est encore le seul à monter au créneau pour demander la
présence des trésoriers du sérail. « El Ouafa nous a assuré en
commission que les responsables de ce budget étaient présents. Mais,
personnellement, je n’ai vu aucune tête connue du sérail », nous
confie l’élu islamiste. Évidemment, aucun autre parlementaire n’a posé
de question nécessitant l’intervention de ces hommes du Palais, dont
seul El Ouafa sentait visiblement
la présence.
« Les députés sont depuis toujours tétanisés à l’évocation du sujet, commente l’économiste Najib Akesbi. En matière de budget de la Cour, nous en sommes encore à la préhistoire de la transparence des finances publiques. » Sous l’hémicycle, les finances du palais restent un tabou que personne n’ose aborder. « C’est plus par pudeur que par peur, à en croire cet élu qui préfère garder l’anonymat.
Au Maroc, c’est culturel : on ne demande jamais à son boss ce qu’il
touche comme salaire ou ce qu’il dépense en notes de frais. » Rachid Rokbane, chef du groupe PPS à la première chambre, met cela sur le compte des coutumes de l’hémicycle : «
Il est de tradition à la première chambre que certains budgets comme
ceux du sérail, de la défense ou encore de la deuxième chambre ne soient
pas discutés et soient même votés à l’unanimité », soutient-il.
Une tradition ? Faudra-t-il renouer avec un rituel d’une ère révolue où
l’on votait ce genre de budget par acclamation ?
Le roi et sa cour
Le
budget royal est une composante du budget général de l’Etat, donc
ponctionné en partie dans la poche du contribuable. En débattre de
manière respectueuse est donc loin de représenter un crime de
lèse-majesté. D’autant que sur les 2,5 milliards de dirhams qu’il pèse,
seuls 20% sont à inscrire sur le compte de « Sa Majesté ». Le gros du
pactole est classé dans une rubrique fourre-tout, dite « Cour royale ».
Cela inclut des institutions publiques, des services du Palais, le
personnel et le fonctionnement du cabinet et tant d’autres organismes. «
J’ai trop de respect pour la personne du souverain pour discuter de ses
émoluments, mais la Cour royale reste pour moi une administration comme
une autre. Elle doit être soumise au contrôle du moment qu’elle est
financée par l’argent du contribuable », nous explique Abdelaziz
Aftati. Or, jusque-là, les documents fournis et présentés de manière
laconique devant le parlement ne contiennent pas plus de 4 tableaux et
27 lignes budgétaires. Même si les députés voulaient discuter des
détails, ils ne disposent que de très peu de données et surtout d’aucun
interlocuteur à même de leur fournir des explications sur l’utilisation
de cette manne. Bonjour la transparence.
Dans les pays démocratiques, en
revanche, les maisons royales publient des rapports annuels qui
fourmillent de détails au sujet des dépenses de la cour, qu’elles ont
tout intérêt à justifier jusqu’au dernier centime d’euro et qui sont
soumises à un contrôle draconien. En Grande-Bretagne, par exemple, les
dotations accordées à la monarchie sont même indexées aux revenus de la
couronne. Eh oui, chez Elizabeth II comme dans d’autres contrées du
Vieux continent, les monarchies sont devenues des sources de revenus
pour l’Etat.
« Au Maroc aussi, c’est théoriquement envisageable, affirme ce professionnel du marketing. La couronne alouite nous rapporte déjà beaucoup en termes de stabilité et d’unité, mais c’est également un brand
à mettre en valeur financièrement. Il n’y a qu’à voir les photos du
souverain qui se vendent comme des petits pains sur les étals des
marchands ambulants. Je vous laisse imaginer si les palais étaient
ouverts au public, l’engouement que cela engendrerait… »
Dépassionner le débat
Avant
d’en arriver là, les élus devraient d’abord se montrer capables
d’aborder le sujet de manière dépassionnée. Ils devraient se libérer de
la chape de sacralité qui entoure tout ce qui touche au Palais.
D’ailleurs, l’opacité qui entoure ce budget ne rend pas forcément
service à la monarchie. En excluant les dépenses de la cour du budget
royal, le « coût » par habitant retrouverait des niveaux dignes des
monarchies parlementaires européennes (voir comparatif p. 37). En
revanche, dopée par les 2 milliards de dirhams du budget de la Cour, la
monarchie renvoie l’image d’un régime au train de vie effarant,
complètement en décalage avec les conditions de vie des Marocains.
De
plus, la largesse des moyens accordés à la Cour favorise la
multiplication d’organismes extra-gouvernementaux qui empiètent parfois
sur le travail de l’Exécutif. Le gouvernement n’aborde jamais le sujet
et Abdelilah Benkirane se garde bien de s’attirer les foudres des hommes
du sérail. « Le gouvernement osera peut-être aborder la question du
budget de la Cour lorsqu’il sera question d’adopter une politique
d’austérité budgétaire »,
pronostique Aftati. Les indicateurs des
finances publiques laissent craindre que cet horizon n’est pas si
lointain. Mais
faudra-t-il en arriver jusque-là pour mettre le sujet
des finances de la Cour sur la table ?
Déséquilibre des pouvoirs
Les
ressources affectées au Chef de gouvernement et au parlement ont
progressé depuis 2001 à un rythme beaucoup plus soutenu que l’évolution
des ressources du Palais. Le budget du parlement a pratiquement doublé,
alors que celui du Chef de gouvernement a quasiment triplé. Cela dit,
les ressources du Palais partent de très loin. Au début du règne de
Mohammed VI, le sérail coûtait déjà plus de deux milliards et
représentait plus de quatre fois (contre le double actuellement) la
manne prévue pour faire tourner la primature et les deux chambres du
parlement. En 2008, les frais de personnel du sérail ont subitement été
réduits de moitié. Mais au même moment, les dotations de souveraineté
ont augmenté de plus de 110 millions de dirhams. Le Palais recrute
beaucoup ces dernières années. Plus de 600 emplois lui ont été réservés
dans les trois dernières Lois de Finances, contre 280 à répartir entre
le Chef de gouvernement, la Chambre des représentants et la Chambre des
conseillers.
132 millions
Depuis sept ans,
le budget d’investissement de la Cour royale reste le même et tombe
comme une traite à chaque Loi de Finances. Cette enveloppe a néanmoins
considérablement baissé : au début de règne, les investissements du
Palais dépassaient les 220 millions de dirhams.
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