- Par Salah Elayoubi, 18/12/2013
Le Maroc est-il un Etat terroriste ?
Printemps 2010. L’homme qui sonne à la porte d’un appartement du « Haut-Agdal », dans la capitale marocaine, s’appelle Eric Goldstein. Il est directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.
Le moment mérite d’être raconté, parce que cette visite insolite va
inspirer l’intitulé du document que produira quelques mois plus tard,
son organisation, lorsqu’elle dénoncera les conditions épouvantables,
dans lesquelles le régime marocain, au prétexte de lutter contre le
terrorisme, broie les consciences qui dénoncent ses exactions.
Une heure durant, entre deux sanglots, la femme qui accueille le responsable, raconte l’enlèvement de son fils, Rida Benotmane,
de son domicile conjugal, sous les yeux de son épouse enceinte, par un
groupe d’inconnus, au soir du 19 janvier 2007, puis la disparition pure
et simple de ce dernier.
Au cours de l’entretien, Rachida Baroudi raconte, encore
médusée comment les responsables sécuritaires l’avaient, à plusieurs
reprises, invitée courtoisement, presque délicieusement, à « arrêter de chercher son fils ! »
La formule stupéfiera à ce point Eric Goldstein et ses collègues,
qu’ils en feront le titre éponyme de leur rapport sur les Droits de
l’homme au Maroc, publié en Octobre 2010.
Plusieurs mois s’écouleront durant lesquels Rida Benotmane croupira
en prison, persuadé qu’il doit pour l’essentiel, son emprisonnement à sa
dénonciation de l’intervention américaine en Irak, sur des sites
islamistes et des graves atteintes aux droits de l’homme, dans les
prisons secrètes du régime marocain ainsi qu’à la publication de photos
aériennes des sites de la Direction de Surveillance du Territoire (DST)
et du palais royal. Jusqu’à ce qu’Eric Goldstein l’informe par téléphone
que l’examen du dossier de police, laisse apparaître, comme principal
reproche, l’offense à la personne du roi, Rida ayant utilisé le terme
tyran pour désigner Mohammed VI, dans l’un de ses commentaires sur la
toile. Et le responsable de Human Right Watch d’ajouter : « Il s’agit
d’une condamnation infondée, chacun ayant le droit de qualifier les
hommes politiques, selon ses opinions, pour autant que cela s’exprime
sans violence, ni diffamation. »
Rida
Benotmane à sa sortie de la prison de Salé, en compagnie de sa fille et de sa
mère
Entre crime de lèse-majesté et apologie du terrorisme
Si plusieurs militants du Vingt Février comme Abdessamad Haydour, Walid Bahomane ou encore DrisDrisss Boutarada,
ont, lourdement et sans ambiguïté, été condamnés pour atteinte à la
personne du roi, et respectivement condamnés à trois ans, dix-huit mois
et un an d’emprisonnement, on ne peut s’empêcher de faire le parallèle
entre le cas Benotmane et le cas Ali Anouzla, emprisonné le 17 septembre 2013, pour « assistance à une entreprise terroriste » et « apologie du terrorisme ».
Quelques semaines avant son interpellation, le journaliste
indépendant avait publié une série d’articles au vitriol sur le budget
de la monarchie, la grâce royale à un multi-pédophile et un
narcotrafiquant en prison préventive, ou encore sur l’absentéisme du
roi.
Le 28 octobre, soit trois jours après la libération provisoire d’Anouzla, un autre journaliste, Mustapha El Hasnaoui,
beaucoup moins médiatique que le premier, était condamné, par la Cour
d’appel de Salé, à quatre (4) années d’emprisonnement, après une obscure
procédure judiciaire, pour « constitution de bande criminelle, en vue
de commettre des actes terroristes, dans le cadre d’une entreprise
collective, visant l’atteinte grave à l’ordre public par l’intimidation,
la terreur ou la violence » et « non-dénonciation d’actes de
terrorisme ».
Reporter à la publication salafiste Assabile, l’homme s’était rendu en Turquie,
pour y mener un reportage dans la région frontalière avec la Syrie à
propos des réfugiés et des combattants marocains, selon son comité de
défense. Bien que la Turquie lui ait refusé l’accès de son territoire,
les autorités marocaines l’ont interpellé, le 16 mai, à
son retour au Maroc, espérant, à tout le moins, lui soutirer des
informations, sinon le voir collaborer à identifier les jihadistes
marocains en Syrie et leurs réseaux.
L’Etat terroriste
On le voit, la loi anti-terroriste mise en place en mars 2003, sert à
merveille les desseins liberticides du régime marocain et lui permet de
condamner, à tour de bras ses opposants. Bien pire, le modus operandi
des forces de sécurité marocaines, les procédures induites par la loi,
l’opacité de l’instruction et la lourdeur des charges ont pour principal
objectif de dissuader la société civile et les militants de tous bords
de s’immiscer dans le cours de cette justice d’exception. Une méthode
consubstantielle de la terreur distillée par les tyrannies dont fait
assurément partie Rabat.
Les exactions menées par le régime marocain à l’encontre de ses
contradicteurs, sont allées crescendo, depuis l’arrivée de Mohammed VI
au pouvoir et les trois dernières années resteront sans doute inscrites
parmi les pires avec plus de deux cent cinquante détenus politiques
dont le régime et ses thuriféraires continuent de nier jusqu’à
l’existence. Tous les rapports de l’ONU, de Reporters sans frontières, d’Amnesty International et Human Rights Watch
pointent du doigt les sévices physiques, psychologiques et sexuels,
menés à l’encontre de personnes arrêtées sous prétexte de lutte contre
le terrorisme et dont certaines sont même décédées sous la torture.
Autre effet dévastateur de la fameuse loi, longtemps après la remise
en liberté des condamnés, le dossier de l’anti-terrorisme continue de
leur coller à la peau. Pour peu que les intéressés appartiennent à un
mouvement islamiste, les voilà affublés de l’étiquette d’extrémiste qui
les condamne à l’exclusion professionnelle, voire à une faillite
personnelle définitive. Le régime ayant alors atteint son but ultime de
mettre définitivement hors d’état de nuire des adversaires, des
opposants ou de simples militants.
Sept ans de calvaire
L’errance de Rida Benotmane continue. Le jeune père de famille
commémorera en janvier prochain, l’an VII de son calvaire. Il n’a pas
fini de payer pour des crimes imaginés par le corpus de la dictature
marocaine.
Plus de quinze organisations avaient adressé en avril 2011, un mémorandum au Chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane,
recommandant à ce dernier de le réintégrer à son poste de travail, ce
qui revenait de facto, à reconnaître qu’il avait été condamné pour délit
d’opinion. Même le Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH)
s’était prononcé en faveur de la mesure.
C’était mal connaître l’acharnement légendaire du Makhzen. Le 09 Octobre 2013, Najib Boulif, ministre chargé des Affaires générales et de la gouvernance et Idrissi Azami,
ministre Chargé du Budget auprès du ministre de l’Économie et des
Finances, co-signaient la décision de réintégration de Rida à son ancien
poste de fonctionnaire, avant que celle-ci ne soit brutalement annulée
le 25 Octobre, sans autre explication.
Un ultime rebondissement en forme de mesure coercitive. Révoltant
parce qu’il apporte du crédit aux voix qui s’élèvent de plus en plus
nombreuses, jusque parmi les proches de la monarchie, pour reconnaître
qu’il n’existe pas d’Etat marocain. Une autre façon de dire que nous
sommes en présence d’une organisation tentaculaire et omnipotente qui
tisse sa toile dans l’ombre pour agir sur le destin d’une quarantaine de
millions d’âmes. Dans n’importe quelle langue, cela porte un nom :
Mafia
Salah Elayoubi
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