Par Salah Elayoubi, demainonline, 19/9/2013
Demain, nous irons en pèlerinage, sur la terre des ancêtres de Ali Anouzla !
Mardi 17 septembre 2013 restera gravé dans nos mémoires, comme un autre jour, frappé du sceau de l’infamie.
L’arrestation de notre confrère Ali
Anouzla, au saut du lit, par une escouade d’agents de la brigade
anti-terroriste, la perquisition de son domicile, puis des bureaux de
LAKOME et la saisie des unités centrales de notre journal, confirment
bien que le régime marocain refuse obstinément de se départir de ses
méthodes de répression des libertés, contrairement à ce qu’osent encore
affirmer ses défenseurs.
Si d’aventure, on devait ne retenir qu’une
seule image de cette énième exaction, commise à l’encontre d’un seul
homme, ce serait bien celle de son transfert, dans les locaux de la
brigade de police judiciaire de Casablanca, supposée protéger les
honnêtes gens, contre les criminels de tous bords. Un mélange des
genres, insupportable qui distille l’idée puante que les monstres et les
démocrates seraient apparentés et que la protection de la société passe
inexorablement par celle de la tyrannie.
Et de savoir Ali « entrepris » par les mêmes tortionnaires ayant
sévi, durant les années de plomb, gardé à vue, dans ces locaux qui ont
vu torturer tant de nos démocrates ou encore de l’imaginer couché sur ce
même bat-flanc, infectés du sang, des larmes, des soupirs et de
l’agonie de tant d’entre eux, conforte le sentiment que nous vivons bien
sous la même tyrannie qu’hier. Un « Tyrannistan » qui puise ses
racines dans la protection des bourreaux et des assassins et l’impunité
des corrompus et des prédateurs, émargeant au trésor public et aux
richesses de notre pays.
Ali paie aujourd’hui le prix de son courage. Un courage exceptionnel.
Physique d’abord, avant d’être intellectuel. L’homme avait choisi
d’exercer son métier, à un jet de pierre de la préfecture de police de
Rabat, prenant ses repas, dans les mêmes cafés où se restaurait le gotha
de la maréchaussée. Il avait catégoriquement refusé que l’on ébruite,
dans la presse étrangère, ou auprès des instances internationales de
protection des journalistes ou des droits de l’homme, les assiduités
dont il faisait l’objet de la part du régime et de sa justice aux
ordres. En patriote sincère, Il considérait tout cela comme affaire
domestique et par pudeur ou modestie, comme affaires strictement
personnelles. Çà ne s’invente pas.
Il paie au prix fort ses articles où l’intelligence le dispute à la
pertinence et à la clairvoyance politiques. Les adeptes de la servitude
volontaire et les inconditionnels de la sacralité ne lui ont jamais
pardonné l’évocation pêle-mêle et chaque fois que l’actualité
l’exigeait, du Sahara, du train de vie de la monarchie, de l’absentéisme
royal, du « DanielGate », de la prétendue nouvelle constitution, de la
trahison des élites et de tous ces autres sujets que les tyrans rêvent
de passer sous silence.
Imputer à Ali l’apologie du terrorisme relève de la même aberration que si les Etats-Unis s’en étaient pris à CNN, pour une improbable complicité, dans les attentats aériens des « Twin Towers », parce que la chaîne avait diffusé les vidéos de Ben Laden ou si la France avaient poursuivi France24, BFMTV
ou d’autres, pour leur implication dans l’invasion du Mali par les
islamistes et les exactions criminelles qui ont suivi, parce qu’elles
avaient diffusé les cassettes vidéos des terroristes appelant au Jihad.
Aux dernières nouvelles, le Maroc qui n’en finit plus de se ridiculiser, compte poursuivre le journal espagnol « El Pais »,
pour diffusion de la même vidéo qui doit à Ali son emprisonnement.
Preuve supplémentaire que le pays est devenu fou, livré aux mains de
gouvernants qui, non contents de s’illustrer par leur incompétence
désormais proverbiale, ont pour projet immédiat, de dilapider les
deniers publics, comme ils ont pris le pli de le faire, en procédures
pénales, avec le risque assuré d’essuyer un nouveau camouflet, qui nous
couvrirait de ridicule et d’opprobre aux yeux de la communauté
internationale et particulièrement de l’Espagne. Un voisin, dont je
rappelle que nous avons éclaboussé son chef de l’Etat, il y a quelques
semaines, lorsque nous avions, par excès de zèle et d’obséquiosité
envers ce dernier, qui n’en demandait pas tant, libéré un dangereux
pédophile et plusieurs autres criminels espagnols ! Il s’en est fallu de
peu que Juan Carlos ne les ramène à Madrid, dans son propre avion. Il
s’en est fallu de peu également que Daniel Galvan, le pédophile en
question gracié par Mohammed VI, n’échappe définitivement à la justice,
si Lakome n’avait donné l’alerte.
Et dans l’aveuglement et le suivisme général qui caractérise tant nos
institutions, Il ne s’est pas trouvé un seul juriste compétent, ou une
seule voix discordante, pour attirer l’attention des responsables
marocains qui comptent s’attaquer au journal espagnol, sur cette
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, datée du 2
octobre 2008, qui a libéré un certain Denis LEROY, caricaturiste occasionnel du journal politique de gauche « Ekaitza »,
et anti-américaniste confirmé, de l’accusation de complicité d’apologie
du terrorisme. Une affaire qui avait commencé par un dessin de
l’intéressé, le 11 septembre 2001, sur les attentats terroristes qui ont
endeuillé la ville de New-York, et qui se concluait par ces mots : « Nous en avons tous rêvé……..le Hamas l’a fait ».
Condamné une première fois le 8 janvier 2002, par le tribunal
correctionnel de Bayonne, l’homme fut condamné à 1 500 euros et aux
frais de procédure, assortis de la contrainte par corps, jugement
confirmé, le 22 septembre 2002, par la cour d’appel de Pau. La cour de
cassation ayant opposé une fin de non-recevoir, le caricaturiste
s’était, alors, adressé à la Cour européenne, qui l’a libéré des charges
qui pesaient sur lui. Dans sa requête, le dessinateur dont le moins
que l’on puisse dire est qu’il avait tout de même applaudi à un acte
terroriste qui avait coûté environ trois mille morts, alléguait entre
autres affirmations que sa condamnation pour complicité d’apologie du
terrorisme, portait atteinte à sa liberté d’expression et d’opinion
garantie par les articles 9 et 10 de la Convention et se plaignait de
n’avoir pas eu droit à un procès équitable, devant la Cour de Cassation,
en violation de l’article 6, alinéas 1 de la Convention.
Au Maroc, on est bien loin de cette conception des Droits de l’homme
et l’histoire nous dira si notre pays osera pousser le ridicule, jusqu’à
traîner en justice les autres médias internationaux qui ont osé publier
la vidéo d’AQMI et les millions d’Anouzla que nous sommes qui avons osé
la partager. Plus rien n’étonne, venant de Rabat !
Et puisque le parquet semble tout particulièrement exceller dans la
célérité à s’en prendre à un journaliste dans l’exercice de ses
fonctions et à communiquer à ce sujet, peut-être serait-il enfin,
disposé à nous informer sur la suite qu’il a cru devoir donner à
l’enquête sur les « Cinq carbonisés d’Al Hoceïma », Jamal Salmi, Nabil Jaafar, Jaouad Benkaddour, Sami El Bouazzaoui, Imad Oulkadi ?
Cinq jeunes gens dont tout porte à croire qu’ils ont été torturés à
mort, avant d’être jetés dans les flammes. Tout comme on livre à
l’incinérateur des chiens enragés, après les avoir euthanasiés.
Peut-être le Procureur du roi consentirait-il également, à déférer
devant les tribunaux, les assassins présumés des autres militants du « Mouvement du Vingt-février », Karim Chaib, Kamal Ammari, Mohamed Boudouroua et Kamal Hussaini et
nous expliquer pour quelles obscures raisons, le Conseil des Oulémas,
continue d’échapper à ce jour, à toutes poursuites judiciaires, après
sa fatwa, appelant à tuer les apostats et pourquoi Mustapha Ramid,
représentant d’un parti islamiste au pouvoir, continue d’occuper le
portefeuille de la Justice et des libertés, après avoir qualifié de lieu
de débauche universellement réputé, la ville de Marrakech, risquant de
livrer celle-ci à la vindicte éventuelle de quelques illuminés ou
quelques obscurantistes ?
Autant de dysfonctionnements et d’injustices qui n’ont guère dissuadé
les suppôts de l’indéfendable d’enfoncer une porte ouverte en s’en
prenant à Ali, aux première heures de son arrestation. Cruauté
supplémentaire inutile et chargée des relents pestilentiels de lâcheté.
Elle sonne comme l’hallali, précédant la curée. S’acharner sur un homme à
terre, particulièrement lorsque ce dernier est innocent n’a jamais
grandi personne. Mais rien qui étonne pour un pays dont les élites, à
quelques rares exceptions près, ont préféré rendre les armes à la
dictature et lui apporter aide et assistance, plutôt qu’aider les leurs
à construire la démocratie dont ils rêvent. Après la gauche, les
islamistes de Sa majesté, oubliant ces promesses de lutter contre la
corruption et la tyrannie qui les avaient propulsés au pouvoir
s’improvisent, à leur tour, bras séculier de la tyrannie, pour réduire
au silence les voix discordantes de la liberté. Ali est assurément l’une
d’entre elles. Je me souviens avoir évoqué avec lui et les autres,
cette poignée d’amoureux de la liberté que sont les journalistes de
Lakome, cet instant dont nous avions, tous, la quasi certitude qu’il
arriverait.
- « 3adia ! Rien que de plus normal ! » Avait-il
répondu, avant d’ajouter, dans ce merveilleux sourire qui illumine si
bien son visage et fait rire ses grands yeux noirs:
- « De tout ce que la tyrannie continue de m’infliger,
je ne retiens qu’une seule chose, le cadeau qu’elle m’a offert, de vous
avoir rencontrés ! »
Mon Ami, mon merveilleux Ami, Ali, le plus beau des cadeaux, serait
que tu puisses un jour, vivre libre et en paix, dans ce pays que tu
chéris par-dessus tout. Ce jour-là, ensemble, nous pourrons, enfin, dans
la sérénité retrouvée, accomplir ensemble, ce pèlerinage que tu m’as
promis, sur la terre de tes ancêtres ! Ce sera sans doute, l’une des
rares fois, où j’accepterai, avec un plaisir non dissimulé, de me
laisser conduire là où, je n’ai pas, moi-même, choisi d’aller !
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