Par Nizar Bennamate, 17/9/2013
Aboubakr Jamaï, directeur de la version francophone du site d’information Lakome, répond aux questions d'H24info sur l’arrestation de son collègue Ali Anouzla suite à la publication par le site (version arabophone) d’un lien d'une vidéo d’Aqmi qui s’attaque au Maroc et au roi Mohammed VI. Il persiste et signe...
Ce mardi matin, Ali Anouzla, directeur du site arabophone de Lakome, a été arrêté suite à la publication par le site d’information Lakome d’un
lien menant à une vidéo d’Al Qaïda au Maghreb Islamique. La vidéo en
question, diffusée la semaine dernière par Aqmi, est intitulée "Maroc:
le royaume de la corruption et du despotisme". D'une quarantaine de
minutes, elle s’en prend à la monarchie et appelle au jihad.
Que pensez-vous de cette arrestation?
La même chose que pour toutes les précédentes. On sait que
notre ligne éditoriale, notre traitement de l’actualité en gênent plus
d’un. Nous ne croyons pas que le Maroc a changé, la réalité du pouvoir
reste concentrée entre les mains du roi et de ses proches. Quant au PJD,
lui aussi n’a jamais démontré qu’il était un parti attaché à la
démocratisation du Maroc.
Ainsi, le PJD avait déclaré qu’il allait combattre la corruption. Après
avoir publié la liste des bénéficiaires des carrières de sables, nous
avons mené une enquête qui montre les liens étroits entre ces
bénéficiaires et les proches du pouvoir. Le PJD n’a pas réagi.
La liberté d’expression ne s’est pas améliorée non plus sous leur
mandature. Le régime ne veut pas d’une presse indépendante. Voyez ce qui
s’est passé avec le Daniel Gate. Seuls la presse électronique et les
réseaux sociaux, unis par un mariage heureux, ont suivi l’affaire et ses
rebondissements. La presse traditionnelle a été à la traîne. Donc,
cette presse électronique qui informe les Marocains, gêne. Le régime
cherche à la faire disparaître.
Pensez-vous que c’était opportun de publier la vidéo?
Je tiens d’abord à préciser une chose: bien qu’ils soient un même projet, le site arabophone de Lakome est
distinct du francophone. Ali Anouzla est le directeur de la version
arabophone, moi de la francophone. La responsabilité éditoriale de ce
qui se publie sur chaque version relève de son directeur respectif.
Quant à votre question: sans donner dans la bravade, je la republierais
volontiers. Je fais partie de ceux qui croient en la liberté
d’expression et pour qui l’appel à la haine n’est criminel que lorsqu’il
pose un danger imminent à une personne ou à un groupe de personne. Il
faut donc qu’il y ait des éléments factuels précis. Par exemple: appeler
au meurtre d’untel ou d’untel en donnant des précisions sur leurs
déplacements ou leur adresse…
Le droit à la liberté d’expression peut s’exprimer jusqu’au moment où il pose un danger imminent. Dans ce sens, la BBC a
déjà diffusé des vidéos de l’IRA (Irish Republic Army), les télévisions
espagnoles des vidéos de l’ETA (Euskadi ta Askatasuna) et les média
français des vidéos d’AQMI qui appelaient les musulmans de France à
s’insurger contre leur gouvernement quand ce dernier a décidé
d’intervenir au Mali.
Maintenant, je pense que l’une des raisons derrière la réaction du
régime dans cette affaire est l’instrumentalisation par Aqmi de
l’affairisme effréné du roi et de ses amis, et des révélations de
Wikileaks allant dans le même sens. Il ne s’agit nullement de souscrire
aux thèses d’Aqmi, qui est une organisation terroriste et donc
condamnable. Quand Aqmi utilise des arguments et des constats largement
partagés par les démocrates, ça ne rend pas suspect ni moins valides
ces même arguments et constats. Ça ne met pas non plus les démocrates du
même côté qu’Aqmi.
Ali Anouzla, qui a juste publié un lien hypertexte (sur la
version arabophone) a été arrêté. Pas vous, alors que vous avez
carrément publié la vidéo sur la version francophone. Comment l'expliquez-vous?
Je m’interroge comme vous. On attend de voir le retour des
avocats et les développements de l’affaire. Je vis à l’étranger mais je
reste à la disposition de la justice marocaine. Si je suis convoqué, ce
qui me parait logique vu ce qui est reproché à Ali Anouzla, je rentrerai
au Maroc pour répondre à la convocation.
Le fait que la police saisisse les unités centrales du site est très
suspect. Ils ne vont quand même pas trouver une photo d’Anouzla dans une
grotte en train de fabriquer une bombe… Qu’est-ce qu’ils cherchent
alors? C’est clair, le régime veut déstabiliser le fonctionnement du
site et sa capacité de production. Et discréditer sa ligne pro-démocrate
face a un régime autoritaire.
http://www.h24info.ma//maroc/politique/jamai-le-regime-veut-la-fin-de-la-presse-electronique
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire