Par Thomas CLUZEL
Depuis
deux jours, l'opinion publique marocaine est chamboulée par
l'arrestation d'un journaliste de renom, Ali Anouzla, directeur du site
d'information LAKOME, dans sa version arabophone. Ce dernier est accusé
d’apologie du terrorisme, après avoir publié sur son site la vidéo d'un
groupe terroriste d'AQMI (Al Qaïda au Maghreb Islamique), contenant des
menaces contre le Maroc et des incitations à y commettre des actes
terroristes.
Aussitôt, précise le portail
d'information AU FAIT MAROC, associations des droits de l’Homme,
journalistes et citoyens lambda ont unanimement condamné cette
arrestation. Tous expriment leur solidarité avec le journaliste et se
disent inquiets quant à cette nouvelle tentative de l'Etat de frapper de
plein fouet la presse indépendante, soucieux également de la
confiscation de la voix et des plumes libres qui représente une
restriction de la liberté d'expression. Seulement voilà, alors que les
voix de ceux qui appellent à libérer Ali Anouzla ne cessent de
s'accroître, précise l'article, nos partis politiques, eux, sont
clairement dans le camp opposé. Et ils enfoncent même le clou, en
accusant sur un ton virulent Ali Anouzla d’être au service de l'ennemi
ou encore d’incitation au terrorisme.
Il
faut dire que le film incriminé est clairement un contenu de
communication marketing de la cellule terroriste, incitant les Marocains
à renverser la monarchie et à s’engager dans le jihad. En clair,
afficher une telle vidéo reviendrait finalement à distribuer des
centaines de milliers de tracts, appelant au jihad guerrier contre
l’Occident, à la destruction de la monarchie, de la bourgeoisie
marocaine et de tous ceux qui s’opposent à l’application de la charia.
Dès
lors, la question qui se pose est celle-ci : peut-on en parler pour
informer le public et faire notre travail de journaliste, sans pour
autant transformer nos médias en tribunes au service des terroristes ?
Pour sa défense, le site LAKOME rappelle ce matin que dès le départ, il a
pris soin de préciser qu'il s'agissait là d'une vidéo de propagande et
qu'à aucun moment, bien entendu, il n'avait pris partie pour les
terroristes. Et d'ailleurs, dit-il, le fait même de diffuser une vidéo
d'AQMI est une pratique constatée couramment dans les médias
internationaux.
Autrement dit, avec ce
raisonnement, les locaux d’Al Jazeera devraient être saisis, les
journalistes de la BBC arrêtés et le directeur de CNN limogé. Tous ces
médias ont diffusé à plusieurs occasions des messages et enregistrements
émanant d’Al Qaïda ou d’autres organisations terroristes. Car informer
n’a jamais été synonyme de galvanisation et d’incitation au terrorisme,
sauf, sauf visiblement au plus beau pays du monde, comprenez : le Maroc.
Et
c'est d'ailleurs encore le cas aujourd'hui, puisque le site américain,
Site Intelligence Group, qui publie, chaque jour, des dizaines de
communiqués et de vidéos émanant de jihadistes radicaux, vient à son
tour de publier sur sa principale page, la vidéo d’AQMI, celle là même
qui a valu au journaliste Ali Anouzla une arrestation fulgurante et son
incarcération sous le coup de la loi anti-terroriste. Idem pour le
quotidien madrilène EL PAIS. Au point, d'ailleurs, que pour faire bonne
figure, peut-on lire sur le site DEMAIN ONLINE, le ministre marocain de
l’injustice et du peu de libertés a décidé de poursuivre en justice le
quotidien espagnol. Et maintenant, que va-t-il faire interroge le
journaliste ? Va-t-il également appeler son homologue américain ? Et
pourquoi pas aussi donner un petit coup de fil à sa collègue française,
Christiane Taubira, puisque le site français Dailymotion n’a pas censuré
la vidéo d’AQMI ?
Certainement pas, car comme
le précise toujours l'article, si le ministre marocain insiste à
poursuivre aujourd'hui uniquement EL PAIS, c’est parce que les autorités
en veulent au correspondant de ce journal au Maghreb, bête noire du
régime marocain. Et c'est d'ailleurs aussi la raison pour laquelle Ali
Anouzla, journaliste jugé trop irrévérencieux et incontrôlable a été
arrêté. Cette affaire est une manipulation sournoise pour le faire
taire, éclipser le site d’informations LAKOME et aviser les autres
journalistes qui oseraient s’attaquer au vrai centre du pouvoir : la
monarchie.
Il est clair, écrit encore ce matin
LE QUOTIDIEN D'ORAN, que la justice marocaine, sur ordre, a trouvé là un
prétexte pour s'attaquer au directeur d'un site indépendant, qui
tranche avec la flagornerie ambiante de la presse marocaine. Et
d'ajouter, Ali Anouzla est devenu une bête noire du pouvoir parce qu'il
ne s'interdit aucun sujet, pas même «l'absentéisme» du roi. Autrement
dit, il est clair que ce journaliste engagé pour la démocratisation de
son pays était dans le collimateur du Palais. Tout comme l'a été et
l'est toujours d'ailleurs son homologue Aboubakr Jamaï, dont on a fermé
le Journal Hebdo.
Et le site LAKOME d'en
conclure ce matin : oui, Anouzla est un terroriste. Un terroriste qui
puise sa plume dans l’encrier de la dignité, pour dénoncer le vrai
terrorisme pratiqué par l’Etat à l’égard de ses « sujets ». Appauvrir
les marocains, les distraire avec des politicards, dilapider leurs
deniers publics et mener des politiques désastreuses tout au long des
dernières années. C’est cela le terrorisme. Bref, libérez Ali.
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