Par Mohammed Belmaïzi, 16/9/2013
Plus
de cinq décennies, les violations des droits humains au Maroc n’ont
cessé de provoquer l’opinion et d’indigner la conscience en torpillant
l’avènement de l’Etat de Droit dont notre association l’AMDH exige
vivement l’édification. Arrestations, torture, disparations et
assassinats ont mis l’Etat marocain au ban des nations démocratiques et
civilisées. Il a fallu que le scandale crève les yeux et érode
significativement la façade cosmétique collée à la peau de
l’autoritarisme de cet Etat, pour que l’étendue de l’horreur des
violations éclate au grand jour. Parmi tant d’écrits et d’interventions,
retenons le livre de Gille Perrault « Notre ami le roi » qui décrit les
arcanes du pouvoir personnel d’Hassan II. L’Histoire retiendra de ce
monarque de droit divin qu’il s’est ingénié à opprimer, à bannir et à
ériger des bagnes clandestins contre ses opposants. C’est alors que sous
la pression nationale et internationale, le régime a cédé. Et le monde a
ouvert les yeux sur le désastre de Tazmamart et d’Agdz, entre autres
mouroirs clandestins au Maroc.
Pour
redorer son blason, le régime marocain, en se dépêchant de tourner cette
hideuse page, exhibe sa ‘bonne volonté’ et crée le CCDH (Conseil
Consultatif des Droits de l’Homme) en 1990. Il opta, huit ans plus tard,
pour l’Alternance, un gouvernement dirigé par le socialiste Abderrahman
el-Youssoufi Celui-là même qui évoqua durant son exil, les délits
attentatoires de l’Etat marocain comme inhérents aux « crimes contre
l’humanité ». Mais pour effacer et passer sous silence cette macabre
phase contre les droits humains, on s’est empressé de désigner un
« ministre chargé des Droits de l’Homme » au sein de ce gouvernement.
Signe d’un consensus irraisonné à tous les niveaux de l’Etat et de ses
commis, anciens et nouveaux venus, pour arracher la défense des droits
humains des mains des associations autonomes, telle que l’AMDH. C’est
que l’Etat marocain excelle dans ses créations et remaniements d’organes
étatiques pour la défense des Droits de l’Homme. Et c’est ainsi que le
CCDH a été remplacé par le CNDH (Conseil National des Droits de
l’Homme); étrange et subite reconversion d’un pouvoir nourri par la
violence d’Etat. Chose fort curieuse et combien antagoniste avec la
nature de ce régime qui recourt régulièrement à la coercition et aux
descentes punitives contre manifestations et contestations populaires.
On a enregistré tout récemment, dans le cadre du Mouvement du 20 février
inscrit dans la foulée des Révolutions au Maghreb et au Proche-Orient,
l’atteinte à la liberté de manifester des citoyens, habitants d’Abou
Ayach, de Taza, de Safi, d’Ifni… avec mort d’hommes, deuils et
désarrois des familles brisées par nombre d’arrestations et
d’emprisonnements arbitraires des jeunes.
Où
trouve-t-on, alors les principes de « la protection des droits et
libertés des citoyens et l’attachement du pays au respect de ses
engagements internationaux en matière de protection et de promotion des
droits de l’Homme », dont se gargarisent intellectuels et commis de
l’Etat ? Accablant, à ce sujet, est le récent rapport de Juan Mendez,
l’envoyé spécial des Nations Unis pour les Droits de l’Homme. Il note
sans détour que « la torture et les mauvais traitements n’ont pas
disparu » et révèle que « la pratique des traitements cruels persiste
dans les affaires pénales de droit commun. » Il évoque « l’usage
excessif de la force par la police pendant des manifestations à Rabat et
dans plusieurs autres villes en février et en mars 2011 ». Il souligne
les « événements du 15 mai 2012 à Rabat, à Fez, à Tanger et à Témara,
localité où les manifestants réclamaient la fermeture du centre de
détention ». Juan Mendez demande à l’Etat marocain de libérer Ali Arras
de nationalité belgo-marocain, emprisonné arbitrairement
sans preuves tangibles et irréfutables, à l’instar de l’ensemble des
prisonniers du centre de détention de Témara, victimes de la vague
liberticide qui voyait en chaque marocain un potentiel islamiste ou
terroriste…
Même le CNDH, organe de
l’Etat, reconnaît, en ‘transgression’ de ses accointances obligées, que
les violations dans les prisons marocaines sont catastrophiques. La
maltraitance des prisonniers se manifeste « par des coups portés aux
moyens de bâtons et de tuyaux, la suspension sur des portes à l’aide de
menottes, les coups administrés sur la plante des pieds (FALAQA), les
gifles, les pincements à l’aide d’aiguilles, les brûlures, les coups de
pied, le déshabillage forcé des détenus au vu et au su des autres
prisonniers, les insultes et l’utilisation d’expressions malveillantes
et dégradantes portant atteinte à la dignité humaine des détenus. Ces
exactions ont été observées dans la plupart des prisons visitées avec
une prévalence et une intensité qui diffèrent d’une prison à une
autre… »
Comment en est-on arrivé à
revivre les pratiques d’un passé immédiat qu’on fustigeait pourtant,
pour tourner promptement la page ? La réponse est on ne peut plus
limpide. Ce tableau fort pollué par la déliquescence de l’Etat marocain
est inscrit dans les rouages de cet autre organe créé par le Maroc sous
l’étiquette IER (Instance Equité et Réconciliation, son mandat allait du
7 Janvier 2004 au 30 Novembre 2005). Un spectacle bourré de manquements
et de détournement du sens, puisque les victimes des années de plomb
qui devaient décrire leurs drames, étaient sommées de ne point
mentionner leurs bourreaux. Un procès amputé de sa partie essentielle
qui sont les bourreaux. Ces bourreaux qui continuent, sans être
inquiétés, à occuper les basses et hautes instances de l’Etat. Ce procès
édulcoré par des invocations mensongères de la fameuse « justice
transitionnelle » était prévisible, lorsqu’on sait que l’Etat se refuse
obstinément à s’excuser des atrocités du passé devant la souveraineté du
peuple marocain. Il est à noter en effet, que selon la constance de
l’oppression et des violations des Droits Humains, décrites plus haut,
le Maroc se refuse à promouvoir la « justice » et la « transition », à
l’instar de ce qu’ont fait les Sud Africains lors de l’abolition de
l’Apartheid. Un exemple pourtant si riche de leçons que l’Etat marocain
appuyé par ses intellectuels et ses commis, ont lamentablement feint
d’omettre.
Notre
association l’AMDH l’a dit et répété : sans abolir l’impunité, aucune
page ne peut être tournée pour accéder à la paix sociale, à la
gouvernance éthique, à la démocratie et à la prospérité. L’impunité à
tous les niveaux d’ailleurs, restera comme une écharde dans le pied
purulent des dominants, voué à des métastases, contestées et
contestables.
Alors, c’est pour quand une
authentique démocratie et un Etat de Droit, pour bannir définitivement
l’impunité, cette maladie dévastatrice ?
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