Par A.I./Algérie, 14/09/2013
Des
révélations publiées cette semaine par une équipe espagnole d'experts
médicolégaux confirment la mort de huit Sahraouis, dont deux enfants,
qui avaient disparu en 1976, et établissent des preuves inédites de leur
exécution extrajudiciaire par les forces armées marocaines.
Ces révélations soulignent
combien il reste nécessaire de faire toute la lumière sur les centaines
de cas de disparitions forcées survenues ces dernières décennies et de
rendre justice aux victimes et à leurs familles.
L'équipe de spécialistes de l'université
du Pays basque et de la Société de sciences Aranzadi a exhumé les corps
des huit Sahraouis pour procéder à des examens médicolégaux, dont des
tests ADN. Parallèlement, elle a enquêté sur les circonstances de leur
mort et interrogé leurs proches et des témoins des faits survenus en
1976. Ces spécialistes avaient été contactés en avril 2013 par des
familles sahraouies de victimes de disparitions forcées après la
découverte par un berger de restes humains dans la zone de Fadret
Leguiaa, près d'Amgala, au Sahara occidental. Cette zone se situe dans
la partie de ce territoire contesté qui est sous contrôle du Front
populaire pour la libération de la Saguia el Hamra et du Rio de Oro
(Front Polisario), qui dirige un gouvernement en exil, autoproclamé,
depuis les camps de Tindouf, en Algérie, à 400 kilomètres de là.
L'équipe a publié ses conclusions le 10
septembre 2013, indiquant que les huit Sahraouis (six adultes – Salma
Daf Sidi Salec, Sidahmed Segri Yumani, Salama Mohamed Ali Sidahmed
Elkarcha, Salma Mohamed Sidahmed, Mohamed Abdalahe Ramdan et Mohamed
Mulud Mohamed Lamin – et deux enfants – Bachir Salma Daf et Sidi Salec
Salma) avaient été arrêtés en février 1976 par une patrouille militaire
marocaine et exécutés sur place par arme à feu, avant d'être enterrés
dans deux tombes de faible profondeur creusées à même le sable et les
cailloux.
L'Instance équité et réconciliation
(IER), créée en 2004 par les autorités marocaines pour enquêter sur les
disparitions forcées, entre autres violations, n'avait révélé aucune
information sur ce qu'il était advenu de ces huit personnes. Cependant,
quatre d'entre elles avaient fait l'objet de recherches menées par le
Conseil consultatif des droits de l'homme (CCDH), organisme national de
protection et de promotion des droits humains, dans le cadre de ses
travaux de suivi des conclusions de l’IER. Celui-ci avait conclu que ces
quatre personnes avaient été arrêtées par les forces armées marocaines
près d'Amgala en 1976 (en février, juin et juillet) et emmenées à la
caserne militaire de Smara – autre ville du Sahara occidental – où elles
étaient ensuite décédées. Les quatre autres ne figuraient ni sur les
listes de personnes disparues de l'IER, ni sur celles du CCDH.
La divergence entre les conclusions du
CCDH et celles de l'équipe espagnole sur la mort de quatre des huit
Sahraouis disparus sème le doute sur la fiabilité des conclusions
publiées par le CCDH à propos d'autres cas de disparitions forcées, en
particulier lorsque ni l'IER, ni le CCDH n'ont pu recueillir de
témoignages des familles de disparus, réfugiées dans les camps de
Tindouf.
Amnesty International demande que les
éléments de preuve laissés par l'équipe de spécialistes espagnols soient
préservés, qu'une enquête indépendante, impartiale et minutieuse soit
menée sur la mort de ces huit Sahraouis, et que les responsables
présumés soient traduits en justice. Compte tenu du lieu où se trouvent
les ossements et de la défiance entre les autorités marocaines et celles
du Polisario, l'organisation appelle les Nations unies à faire le
nécessaire pour que ce soit le cas.
Il est probable que d'autres corps
restent à découvrir dans cette zone et dans d'autres parties du Sahara
occidental. Ceux-ci doivent être recherchés, exhumés, identifiés et
rendus à leurs familles. Les autorités marocaines doivent veiller à ce
qu'une enquête soit rouverte dès lors que de nouveaux éléments émergent
dans des affaires de disparitions forcées, du fait de l'exhumation
d'ossements ou de témoignages de proches de victimes qui n'avaient pas
été interrogés par l'IER ou le CCDH, notamment ceux qui vivent dans les
camps de Tindouf.
Il faut demander des comptes aux
responsables afin de mettre réellement un terme à l'impunité pour les
violations commises dans le cadre du conflit armé entre le Maroc et le
Front Polisario. La Mission des Nations unies pour l'organisation d'un
référendum au Sahara occidental (MINURSO), qui est la force de maintien
de la paix présente dans la région, pourrait jouer un rôle en apportant
une aide internationale et des compétences pour faciliter le processus,
de même que le Haut-Commissariat aux droits de l'homme et le Groupe de
travail sur les disparitions forcées ou involontaires de l'ONU.
La justice de transition : un processus inachevé
Les nouvelles informations révélées par
l'équipe d'experts médicolégaux montrent les limites du travail mené par
l'IER et le CCDH pour établir la vérité sur les centaines de
disparitions forcées survenues au Maroc et au Sahara occidental sous le
règne de l'ancien roi Hassan II, ainsi que la nécessité de mener de
nouvelles enquêtes indépendantes, impartiales et approfondies.
De nombreuses familles attendent
toujours de connaître toute la vérité sur le sort de leurs proches
disparus et d'obtenir justice pour les crimes dont ils ont été victimes.
Les disparitions forcées restent une atteinte aux droits humains tant
que les familles n'ont pas obtenu le droit à la vérité et au deuil,
ainsi qu'à la justice et à des réparations.
Il faudrait utiliser les mécanismes
existants des Nations unies pour aider à résoudre ces affaires de
disparitions forcées. Le Groupe de travail sur les disparitions forcées
ou involontaires pourrait jouer un rôle précieux dans la résolution des
problèmes de vérité et de justice au Maroc et au Sahara occidental.
Amnesty International a salué la récente ratification par le Maroc de la
Convention internationale pour la protection de toutes les personnes
contre les disparitions forcées, mais elle a appelé les autorités
marocaine à renforcer cet engagement en reconnaissant la compétence du
Comité des disparitions forcées pour recevoir et examiner des
communications présentées par des victimes ou pour le compte de victimes
et par d’autres États parties, ainsi qu'en transposant les dispositions
de cette Convention dans le droit national, dans les plus brefs délais.
Le roi Mohammed VI a mis en place l'IER
il y a près de 10 ans pour enquêter sur les atteintes aux droits humains
commises par les services de sécurité marocains entre 1956 et 1999.
Deux ans plus tard, à l'issue des travaux de cette Instance, il a chargé
le CCDH, organisme national de protection et de promotion des droits
humains, d’assurer le suivi des travaux et des recommandations de l’IER,
ce que celui-ci a fait jusqu'en 2010. C'était la première expérience de
ce type dans le domaine de la justice de transition dans cette région,
et elle a suscité beaucoup d'espoirs en termes de vérité, de justice et
de réparations.
Dans son rapport de 2010 intitulé "Des
promesses non tenues" l'Instance équité et réconciliation et le suivi de
ses travaux, Amnesty International a reconnu les progrès réalisés dans
le cadre de ce processus sans précédent de justice de transition. L'IER a
mis en avant la responsabilité de l'État dans les violations des droits
humains, et des indemnisations financières ont été accordées. Un plus
petit nombre de victimes a aussi bénéficié d'autres formes de
réparations, comme une assurance maladie ou le rétablissement dans un
emploi.
Cependant, Amnesty International a aussi
dénoncé les lacunes du processus, dont certaines étaient liées au
mandat de l'IER. Par exemple, le travail de cette Instance a été gêné
par le fait qu'elle ne pouvait pas obliger à témoigner les membres des
autorités ou des forces de sécurité susceptibles d’avoir connaissance du
sort de personnes disparues. Par ailleurs, trop peu de cadavres de
personnes exécutées ou décédées en détention ont été exhumés, identifiés
et rendus aux familles, privant ces dernières de la possibilité de
faire réellement leur deuil.
De plus, l'IER a accru le sentiment de
marginalisation des Sahraouis en ne tenant pas compte de l'ampleur
particulière des violations dont ils avaient été victimes. Ainsi, aucune
audience publique permettant aux victimes d’évoquer leurs souffrances
n’a été organisée au Sahara occidental, contrairement à ce qui s’est
passé dans d’autres régions, où de telles audiences ont été retransmises
à la télévision. Le rapport final de l’IER fournissait très peu
d’informations sur les disparitions forcées et les autres atteintes aux
droits humains subies par des Sahraouis. Il ne reconnaissait même pas
que le Sahara occidental avait souffert de manière disproportionnée,
comme le montre son exclusion du programme de réparations collectives
destiné aux zones particulièrement touchées par les violations pendant
les « années de plomb ». L’IER n’a pas non plus réussi à améliorer la
communication avec les victimes, leurs familles et les organisations de
la société civile au Sahara occidental, ni à rétablir leur confiance –
ce manque de confiance étant lui-même une conséquence des violations
subies dans cette région aux mains des autorités marocaines.
En outre, le mandat de l'IER ne
prévoyait pas l'identification des auteurs de graves violations des
droits humains ni l'engagement de poursuites à leur encontre, laissant
aux victimes le soin de saisir elles-mêmes la justice à titre
individuel. À ce jour, l’écrasante majorité des responsables marocains
soupçonnés d’avoir commis des violations flagrantes des droits humains
pendant la période couverte par le mandat de l’IER n’ont pas été
traduits en justice, et rien ne laisse supposer que les autorités aient
l’intention d’y remédier à l'avenir. Au contraire, le discours officiel
encourage une justice de « réconciliation », et non une justice «
accusatoire », ce qui se traduit par l’impunité pour de graves atteintes
aux droits humains.
Plusieurs des recommandations juridiques
et institutionnelles formulées par l'IER ont été intégrées à la
nouvelle Constitution, comme la reconnaissance des droits humains, et
d'autres ont conduit au lancement de réformes visant à renforcer
l'indépendance de la justice. Cependant, il reste à traduire ces
avancées dans les faits, en faisant évoluer les pratiques. Par ailleurs,
la réforme de l'appareil de sécurité également recommandée par l'IER,
indispensable pour garantir la transparence et l'obligation de rendre
des comptes, n'a toujours pas été mise en œuvre.
Un mandat de protection des droits humains pour la MINURSO
L'emplacement où se trouvent les
ossements, dans une zone où la MINURSO fait appliquer un cessez-le-feu
le long de la ligne qui sépare la partie est du Sahara occidental,
contrôlée par le Front Polisario, de la partie ouest, administrée par le
Maroc, souligne aussi combien il serait important de disposer d'un
dispositif officiel indépendant de surveillance de la situation des
droits humains dans cette région.
Amnesty International a déjà demandé à
maintes reprises et continue de demander que le mandat de la MINURSO
soit étendu à la protection des droits humains, non seulement pour
promouvoir la vérité et la justice dans les cas non résolus d'atteintes
commises par le passé par les autorités marocaines et le Front
Polisario, mais aussi pour s'occuper des nouvelles violations, qui
restent une source de préoccupation dans la région.
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