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mardi 3 novembre 2015

Ali Aarrass, l’agonie d’un pas assez Belge.

novembre 2, 2015

Chaque fois que je pense à Ali Aarrass, je vois ces yeux :
farida

Ce sont ceux de sa soeur, Farida. Des yeux magnifiques, immenses, qui vous transpercent. Ceux d’une femme, d’une mère, d’une fille, d’une soeur que j’ai croisée sans même savoir qu’elle était celle de cet Ali dont je connaissais vaguement l’existence dans une prison quelque part au Maroc.

J’ai connu Farida parce que j’ai eu besoin d’elle. Pour des sans-abris. Et qu’elle avait créé l’asbl ESG (Engagés, Solidaires et Généreux) qui lutte au quotidien pour une société sans discrimination et sans laissés-pour-compte en organisant notamment des distributions de repas aux plus démunis, « qu’ils soient de « souche » ou pas, qu’ils soient barbus, voilés ou pas, noirs ou blancs, qu’ils aient les papiers ou pas ».
J’ai connu Farida et elle m’a raconté son frère. Un gars de 10 ans de plus que moi, né en Espagne de parents marocains et donc marocain de naissance et pour la vie, puisque cette nationalité, on ne peut pas la perdre ni y renoncer. D’Espagne, Ali et une partie de sa famille sont venus vivre en Belgique, où il a accédé à la nationalité belge. En 1993, il a fait son service militaire en Belgique. Il s’est marié en Belgique, il a travaillé en Belgique et s’est occupé de sa mère. Il n’a jamais eu de problème avec la justice belge. Il n’est retourné vivre en Espagne qu’en 2005, pour rejoindre son père, qui prend de l’âge. Il a une fille.
Le 3 novembre 2006, soupçonné par l’Espagne de trafic d’armes pour des groupes terroristes, il est arrêté puis libéré faute de preuve. Le 1e avril 2008, il est arrêté à nouveau, cette fois à la demande des autorités marocaines, qui disent avoir de nouvelles accusations de terrorisme à son égard. Il est maintenu en isolement pendant 3 ans et est extradé vers le Maroc, malgré de sérieux risques de torture. Il nie avoir commis les faits dont on l’accuse et il est torturé pendant 12 jours dans un centre secret, où il finit par avouer pour que ça cesse. Envoyé ensuite en prison, il y porte, selon les témoignages de ses codétenus, des traces des sévices subis.
Malgré ses plaintes, aucune enquête n’est menée sur les accusations qu’on lui porte ni sur les sévices endurés. Son corps n’est examiné par les autorités marocaines qu’un an après les tortures subies. Ses plaintes sont rejetées et ses aveux, obtenus sous la torture, sont retenus contre lui par le Tribunal. Il est condamné à 12 ans de prison pour usage illégal d’armes à feu et participation à un groupe projetant de commettre des actes terroristes. En prison, il est victime de multiples maltraitances, parmi lesquelles être forcé de rester nu et empêché de dormir la nuit.
La mobilisation, menée par sa soeur Farida, est énorme : de nombreux citoyens, Amnesty, des parlementaires belges et européens, le MRAX, la Ligue des Droits de l’Homme et même le comité des Droits de l’Homme des Nations Unies ont réclamé et réclament encore justice.
La Belgique, quant à elle, refuse une assistance consulaire à Ali Aarrass au prétexte de sa binationalité. Le Ministère des Affaires étrangères affirme veiller à ce qu’il soit bien soigné en prison et c’est tout.
Ali Aarrass a entamé il y a 70 jours une grève de la faim. Ce n’est pas la première, mais ça sera probablement la dernière. Car très rares sont ceux qui survivent à plus de 70 jours de grève de la faim. Et le corps d’Ali Aarrass porte déjà les séquelles des tortures endurées.
Aujourd’hui, Farida est allée voir son frère en prison. Elle est sortie ravagée par le chagrin. Ce même jour, Didier Reynders a souhaité une belle semaine à ses amis Facebook…

Au-delà de ce dossier et de la lâcheté impardonnable de notre gouvernement, c’est bien entendu toute la question de la binationalité qui est posée : est-on réellement tous égaux devant la justice belge? Mérite-t-on l’indifférence de nos autorités parce qu’on a une double nationalité? Alors même qu’il est impossible d’y renoncer? Y a-t-il une seule bonne raison d’infliger des tortures à un être humain? A-t-on le droit de rester passif face à la mort d’un être humain pour ne pas créer d’incident diplomatique? Que vont penser tous ces belgo-marocains de leur valeur aux yeux de nos autorités?

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