AnneLöwenthal's Blog
Des humeurs. Bonnes et mauvaises.
novembre 2, 2015
Chaque fois que je pense à Ali Aarrass, je vois ces yeux :
Ce sont ceux de sa soeur, Farida. Des yeux magnifiques, immenses, qui
vous transpercent. Ceux d’une femme, d’une mère, d’une fille, d’une
soeur que j’ai croisée sans même savoir qu’elle était celle de cet Ali
dont je connaissais vaguement l’existence dans une prison quelque part
au Maroc.
J’ai connu Farida parce que j’ai eu besoin d’elle. Pour des sans-abris. Et qu’elle avait créé l’asbl ESG
(Engagés, Solidaires et Généreux) qui lutte au quotidien pour une
société sans discrimination et sans laissés-pour-compte en organisant
notamment des distributions de repas aux plus démunis, « qu’ils soient de « souche » ou pas, qu’ils soient barbus, voilés ou pas, noirs ou blancs, qu’ils aient les papiers ou pas ».
J’ai connu Farida et elle m’a raconté son frère. Un gars de 10 ans de
plus que moi, né en Espagne de parents marocains et donc marocain de
naissance et pour la vie, puisque cette nationalité, on ne peut pas la
perdre ni y renoncer. D’Espagne, Ali et une partie de sa famille sont
venus vivre en Belgique, où il a accédé à la nationalité belge. En 1993,
il a fait son service militaire en Belgique. Il s’est marié en
Belgique, il a travaillé en Belgique et s’est occupé de sa mère. Il n’a
jamais eu de problème avec la justice belge. Il n’est retourné vivre en
Espagne qu’en 2005, pour rejoindre son père, qui prend de l’âge. Il a
une fille.
Le 3 novembre 2006, soupçonné par l’Espagne de trafic d’armes pour
des groupes terroristes, il est arrêté puis libéré faute de preuve. Le
1e avril 2008, il est arrêté à nouveau, cette fois à la demande des
autorités marocaines, qui disent avoir de nouvelles accusations de
terrorisme à son égard. Il est maintenu en isolement pendant 3 ans et
est extradé vers le Maroc, malgré de sérieux risques de torture. Il nie
avoir commis les faits dont on l’accuse et il est torturé pendant 12
jours dans un centre secret, où il finit par avouer pour que ça cesse.
Envoyé ensuite en prison, il y porte, selon les témoignages de ses
codétenus, des traces des sévices subis.
Malgré ses plaintes, aucune enquête n’est menée sur les accusations
qu’on lui porte ni sur les sévices endurés. Son corps n’est examiné par
les autorités marocaines qu’un an après les tortures subies. Ses
plaintes sont rejetées et ses aveux, obtenus sous la torture, sont
retenus contre lui par le Tribunal. Il est condamné à 12 ans de prison
pour usage illégal d’armes à feu et participation à un groupe projetant
de commettre des actes terroristes. En prison, il est victime de
multiples maltraitances, parmi lesquelles être forcé de rester nu et
empêché de dormir la nuit.
La mobilisation, menée par sa soeur Farida, est énorme : de nombreux
citoyens, Amnesty, des parlementaires belges et européens, le MRAX, la
Ligue des Droits de l’Homme et même le comité des Droits de l’Homme des
Nations Unies ont réclamé et réclament encore justice.
La Belgique, quant à elle, refuse une assistance consulaire à Ali
Aarrass au prétexte de sa binationalité. Le Ministère des Affaires
étrangères affirme veiller à ce qu’il soit bien soigné en prison et
c’est tout.
Ali Aarrass a entamé il y a 70 jours une grève de la faim. Ce n’est
pas la première, mais ça sera probablement la dernière. Car très rares
sont ceux qui survivent à plus de 70 jours de grève de la faim. Et le
corps d’Ali Aarrass porte déjà les séquelles des tortures endurées.
Aujourd’hui, Farida est allée voir son frère en prison. Elle est
sortie ravagée par le chagrin. Ce même jour, Didier Reynders a souhaité
une belle semaine à ses amis Facebook…
Au-delà de ce dossier et de la lâcheté impardonnable de notre
gouvernement, c’est bien entendu toute la question de la binationalité
qui est posée : est-on réellement tous égaux devant la justice belge?
Mérite-t-on l’indifférence de nos autorités parce qu’on a une double
nationalité? Alors même qu’il est impossible d’y renoncer? Y a-t-il une
seule bonne raison d’infliger des tortures à un être humain? A-t-on le
droit de rester passif face à la mort d’un être humain pour ne pas créer
d’incident diplomatique? Que vont penser tous ces belgo-marocains de
leur valeur aux yeux de nos autorités?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire