Opinions |
Publié le 01 novembre 2015
Aux femmes du PJD, sur l'héritage, par Salah Elouadie
A mes amies les honorables femmes du PJD,
J’ai côtoyé et travaillé avec plusieurs d’entre vous dans maints
domaines et à plusieurs reprises, et j’ai gardé avec vous, sans
exception, d’excellentes relations empreintes de respect et de
considération. C’est aujourd’hui avec le même sentiment que je m’adresse
à vous, et également à Mme Samira Bouhamdane dont l’interprétation et
la position sur la question de l’héritage dénotent d’un admirable
courage qui lui fait particulièrement honneur. Je forme le vœu de
trouver encore plus d’occasions d’écoute mutuelle, afin de nous
permettre d’atteindre une meilleure compréhension du sujet, ne serait-ce
qu’en partie.
Le débat a donc encore été ouvert sur cette question de succession,
et j’ai plaisir à m’adresser à vous, animé par la conviction que les
consciences vives existent bel et bien en tous temps et en tous lieux,
sans exception aucune.
Aujourd’hui, nous entendons des arguments et des réflexions, dont certaines prêtent à rire et d’autres à pleurer.
Aujourd’hui, nous voyons et entendons certains monter aux créneaux
pour nous indiquer que cette pauvre société marocaine est conservatrice
et qu’il ne faut point la heurter et encore moins l’offusquer…
D’autres s’en prennent au Conseil national des droits de l’Homme, lui
contestant le droit de s’atteler à cette question de l’héritage, qui ne
serait donc ni de sa responsabilité ni ne relèverait de ses
attributions. Ces gens, qui partagent la même citoyenneté que les
membres du CNDH, les tiennent pourtant pour des « marionnettes » alors
même qu’ils n’ont d’autres différends avec eux que de ne pas épouser
leurs vues ni de se retrouver dans leurs interprétations. Je rends grâce
à Dieu de nous avoir prémuni de nous retrouver avec des bases
« daechiennes » sous nos cieux, auquel cas ces membres du CNDH auraient
été crucifiés et cloués au pilori.
Nous avons vu comment des individus ont déversé tout leur fiel et
leur haine sur le président du CNDH qu’ils accusent d’avoir mangé du
lion puis d’avoir pris des positions dites arrogantes parce qu’elles ne
leur siéent guère… alors même qu’ils auraient préféré le voir ramper,
soumis et prostré, comme tous ceux-là qui rédigeaient des dithyrambes et
battaient leurs coulpes, pour finir par défendre malgré elle et à son
insu la commanderie des croyants, dans des démarches tout à fait
hypocrites, loin d’être animés par la conviction que cette institution
est la protectrice d’une « question dont nul ne doit approcher »…
Certaines de ces gens, montées sur leurs ergots et bombant le torse,
viennent nous dire que le sujet est clos depuis longtemps et pour
toujours, car il a fait l’objet de toutes les études et d’encore plus de
réflexions… laissant penser que ces mêmes gens ont reçu des
instructions pour défendre Dieu, alors même qu’elles ne protègent que
leurs intérêts et ne privilégient que leurs personnes.
Plusieurs de ces gens qui rejettent toute réflexion à ce sujet, qui
glapissent aujourd’hui sont d’inconditionnels amateurs de la dive
bouteille, ou des consommateurs invétérés de la viande de porc, ou
encore des Casanova multiples et inavoués, disposés à payer et percevoir
des intérêts bancaires -bien que nous convenions que tout cela relève
de leurs libertés individuelles qu’ils ont toute la latitude d’exercer -
… mais dès lors que nous nous attelons à la question de l’héritage, ces
mêmes honorables se drapent de toute la vertu religieuse, s’accrochent à
la lettre du texte et s’attachent à sa moindre virgule, dans une
attitude risiblement dogmatique…
Si tous ceux-là étaient des politiques obnubilés par les dates des
échéances électorales imminentes ou à venir, nous aurions aisément
compris leurs contorsions morales et leurs circonvolutions verbales,
mais la réalité consternante et que nous trouvons parmi eux,
prêchi-prêcha, le journaliste, le chroniqueur, le penseur et
l’intellectuel, et que sais-je encore…
On trouve ainsi parmi eux des individus qui ont un avis sur tout sauf
lorsqu’il s’agit du droit des femmes, qui semblent être seules
concernées par le caractère explicite et irréfutable du texte… Je ne
discute ni ne dispute les opinions de ces faqihs qui se sont emparés des
textes religieux et en ont fait leurs propriété exclusive, comme si ces
textes leur avaient été révélés en leur autoproclamée position de
tuteurs devant Dieu de nos pensées et de nos esprits...
Non… je récuse les attitudes de ceux qui revendiquent un ancrage dans
la « modernité », dans l’interprétation positive et dans l’attachement à
l’esprit du siècle et à la pensée contemporaine !
Comment osez-vous donc rejeter la révision des conditions de succession au regard des régulières évolutions sociales…
… alors que dans le même temps vous acceptez que les femmes
supportent tant de fardeaux, moraux et physiques, en faveur de leurs
hommes et de leurs enfants, dans les montagnes et les régions reculées,
ainsi que nous le pouvons voir sur tant de photos et de reportages ?...
… alors que vous acceptez que des jeunes filles, souvent des
fillettes, travaillent sous nos yeux dans des conditions qui évoquent
terriblement les temps de l’esclavage ?
… alors que vous vous accommodez de voir toutes ces femmes se lever
aux aurores pour s’en aller s’épuiser de travail dans les usines, les
fermes et les maisons, devançant les hommes dans les bus et autres
moyens de transport dès avant même le lever du soleil, mais la
conscience intacte et la volonté ferme ?
… alors que vous acceptez que les femmes ajoutent à leurs activités
économiques rémunérées les charges des tâches ménagères en cuisine, en
buanderie ou ailleurs, sans ciller ni piper mot… et que dans le même
temps, si vous avez l’heur d’ouvrir l’œil en passant près d’un café,
vous y remarqueriez une clientèle presqu’exclusivement masculine, se
prélassant et se détendant devant une boisson chaude tiédissant ?...
Comment accepter que les hommes préfèrent épouser les femmes qui
disposent d’un emploi et d’un salaire, et que certains de ces hommes
poussent leur « virilité » jusqu’à exiger que les salaires de leurs
épouses soient mis à leur disposition à eux, les « hommes » ?
De quelle manière pouvez-vous regarder et aviser les enfants des
hommes défunts qui n’auront pas laissé de progénitures mâles et dont les
filles et les veuves se trouvent brutalement exposées à la férocité et à
la rapacité d’oncles venus de nulle part, et qui ne connaissent de
« l’islam » que l’héritage et rien d’autre que l’héritage ?
Et pour quelle raison acceptez-vous donc parmi vous des femmes
responsables, ministres, députées, fonctionnaires, dirigeantes
d’entreprises, professeures…
Et puisque vous prenez sur vous des responsabilités sociales qui
incombent aux hommes au nom de leurs familles, n’estimez-vous pas (cet
avis est personnel) que le trop-plein de charges, celles de l’éducation
des enfants et des tâches ménagères, devrait être pris en compte dans la
comptabilité nationale fiscale chaque fin d’année ?
Il en est assez ! Assez de ce silence assourdissant sur cette façon
de ne considérer la masculinité qu’à l’aune d’attributs physiologiques
virils… car grande, immense, sidérale est la différence entre l’attribut
d’un homme et la qualité d’homme !
Voilà donc dans le monde d’aujourd’hui, dans le monde qui est le
nôtre, toutes ces femmes qui lèvent la tête : des chefs d’État et de
gouvernement, des ministres et des intellectuelles, des savantes et des
sportives qui sont en situation de prendre des décisions qui vous
concernent, devant lesquelles vous vous inclinez et que vous
reconnaissez comme dirigeantes… Mais quand il s’agit de femmes humbles
et modestes de votre pays, vous vous dressez et vous vous réclamez de
votre loyauté à la religion, alors que vous n’êtes loyaux qu’à vos
personnes et à vos intérêts, à vos égoïsmes et à vos narcissismes… vous
brandissez les textes et les sacralités sans prendre garde à leurs
visages et à leurs personnes écrasées par votre mépris, quand elles sont
envoyées, toutes jeunes encore, aux domiciles conjugaux et aux lits
nuptiaux sur lesquels sont conçus des enfants avant que leurs pères, ces
maris indignes, ne s’en aillent sous d’autres cieux les abandonnant à
leurs tristes sorts, marginalisées, précarisées, écrasées… et puis, pris
par un remords subit et mus par une charité soudaine, vous créez à leur
intention des Fonds de solidarité pour divorcées et pour veuves, ce qui
vous donne l’illusion de la bonté et de l’humanité, appuyées par vos
larmes de crocodiles… Voilà donc comment se décline cette masculinité
autoproclamée !
Nous en sommes donc à cela… face aux contradictions, à la lâcheté et
aux hésitations de nos politiques, de nos faqihs, de nos journalistes et
de nos écrivains… Face à ces situations de misère physique des unes et
morale des autres, pouvons-nous donc encore nous résoudre à observer
notre silence, qui se transforme et devient complicité ?
On ne peut éviter le débat aujourd’hui, et c’est pour cela que je
m’adresse à vous. Nul ne peut ni ne doit aujourd’hui, quel qu’il soit,
nous soumettre ainsi sans que nous ne réagissions, nous autres qui
sommes les maîtres et les maitresses de nos destins et de nos
existences.
Mais on pourrait me rétorquer : pourquoi ne commencez-vous pas par
vous-même, cher Monsieur ? Et je réponds : L’affaire et réglée depuis
longtemps déjà au sein de notre famille, grande et petite ! Dans notre
famille, aucun homme ne possède plus que ce que ne détient une femme car
tous les hommes ont compris que les femmes nous surclassent en
sacrifices et en efforts et, plus que cela, si nous étions encore plus
équitables, nous ne demanderions pas plus de la moitié de ce qui revient
aux femmes…
« Les musulmans et les musulmanes, les croyants et les croyantes, les obéissants et les obéissantes, les loyaux et les loyales, les endurants et les endurantes, les craignants et les craignantes, les donneurs d’aumône et les donneuses d’aumône, les jeûneurs et les jeûneuses, les gardiens de leur chasteté et les gardiennes, ceux qui invoquent beaucoup Allaah et les invocatrices, Allaah leur a préparé un Pardon et une Récompense Immense. Il n’appartient pas à un croyant ni à une croyante, une fois qu’Allaah et Son Messager ont décidé d’une chose, d’avoir encore le choix dans leur façon d’agir. Et quiconque désobéit à Allaah et à Son Messager, s’est égaré d’un égarement évident. »
RépondreSupprimer(Alqoraane (Le Coran), sourate 33 (chapitre 33), Alahzaab, Les Coalisés, aayate 35 et aayate 36, verset 35 et verset 36).