Comment comprendre aujourd’hui que la France
appelle à la « retenue » quand on tue des enfants en connaissance de
cause ? Comment comprendre que la France s’abstienne lorsqu’il s’agit
d’une enquête internationale sur les crimes de guerre commis des deux
côtés ? Comment comprendre que la première réaction de la France, par la
voix de son président, soit celle du soutien sans réserve à la
politique de sécurité d’Israël ? Quelle impasse pour la France que cet
esprit d’alignement et de soutien au recours à la force.
Je crois que seule la vérité permet l’action. Nous ne construirons
pas la paix sur des mensonges. C’est pour cela que nous avons un devoir
de vérité face à un conflit où chaque mot est piégé, où les pires
accusations sont instrumentalisées.
L’État israélien se condamne à des opérations régulières à
Gaza ou en Cisjordanie, cette stratégie terrifiante parce qu’elle
condamne les Palestiniens au sous-développement et à la souffrance,
terrifiante parce qu’elle condamne Israël peu à peu à devenir un État
ségrégationniste, militariste et autoritaire.
Ayons le courage de dire une première vérité : il n’y a pas en droit
international de droit à la sécurité qui implique en retour un droit à
l’occupation et encore moins un droit au massacre. Il y a un droit à la
paix qui est le même pour tous les peuples. La sécurité telle que la
recherche aujourd’hui Israël se fait contre la paix et contre le peuple
palestinien. En lieu et place de la recherche de la paix, il n’y a plus
que l’engrenage de la force qui conduit à la guerre perpétuelle à plus
ou moins basse intensité. L’État israélien se condamne à des opérations
régulières à Gaza ou en Cisjordanie, cette stratégie terrifiante parce
qu’elle condamne les Palestiniens au sous-développement et à la
souffrance, terrifiante parce qu’elle condamne Israël peu à peu à
devenir un État ségrégationniste, militariste et autoritaire. C’est la
spirale de l’Afrique du Sud de l’apartheid avant Frederik De Klerk et
Nelson Mandela, faite de répression violente, d’iniquité et de
bantoustans humiliants. C’est la spirale de l’Algérie française entre
putsch des généraux et OAS face au camp de la paix incarné par de
Gaulle.
Il y a une deuxième vérité à dire haut et fort : il ne saurait y
avoir de responsabilité collective d’un peuple pour les agissements de
certains. Comment oublier le profond déséquilibre de la situation, qui
oppose non deux États, mais un peuple sans terre et sans espoir à un
État poussé par la peur ? On ne peut se prévaloir du fait que le Hamas
instrumentalise les civils pour faire oublier qu’on assassine ces
derniers, d’autant moins qu’on a refusé de croire et reconnaître en 2007
que ces civils aient voté pour le Hamas, du moins pour sa branche
politique. Qu’on cite, outre les États-Unis, un seul pays au monde qui
agirait de cette façon. Même si les situations sont, bien sûr,
différentes, la France est-elle partie en guerre en Algérie en 1995-1996
après les attentats financés par le GIA ? Londres a-t-elle bombardé
l’Irlande dans les années 1970 ?
Troisième vérité qui brûle les lèvres et que je veux exprimer ici :
oui il y a une terreur en Palestine et en Cisjordanie, une terreur
organisée et méthodique appliquée par les forces armées israéliennes,
comme en ont témoigné de nombreux officiers et soldats israéliens
écœurés par le rôle qu’on leur a fait jouer. Je ne peux accepter
d’entendre que ce qui se passe en Palestine n’est pas si grave puisque
ce serait pire ailleurs. Je ne peux accepter qu’on condamne un peuple
entier à la peur des bombardements, à la puanteur des aspersions d’« eau
sale » et à la misère du blocus. Car je ne peux accepter qu’on nie
qu’il y a quelque chose qui dépasse nos différences et qui est notre
humanité commune.
Il n’y a aujourd’hui ni plan de paix, ni interlocuteur capable d’en
proposer un. Il faut tout reprendre depuis le début. Le problème de la
paix, comme en Algérie entre 1958 et 1962, ce n’est pas « comment ? »,
c’est « qui ? ». Il n’y a pas de partenaire en Palestine car les
partisans de la paix ont été méthodiquement marginalisés par la
stratégie du gouvernement d’Israël. La logique de force a légitimité
hier le Hamas contre le Fatah. Elle légitime aujourd’hui les fanatiques
les plus radicaux du Hamas voire le Djihad islamique. Se passer de
partenaire pour la paix, cela veut dire s’engager dans une logique où il
n’y aurait plus que la soumission ou l’élimination.
Il n’y a plus de partenaire pour la paix en Israël car le camp de la
paix a été réduit au silence et marginalisé. Le peuple israélien est un
peuple de mémoire, de fierté et de courage. Mais aujourd’hui c’est une
logique folle qui s’est emparée de son État, une logique qui conduit à
détruire la possibilité d’une solution à deux États, seule envisageable.
La résignation d’une partie du peuple israélien est aujourd’hui le
principal danger. Amos Oz, Zeev Sternhell ou Elie Barnavi sont de plus
en plus seuls à crier dans le désert, la voix couverte par le vacarme
des hélicoptères.
Il n’y a plus non plus de partenaire sur la scène internationale, à
force de lassitude et de résignation, à force de plans de paix enterrés.
On s’interroge sur l’utilité du Quartette. On désespère de la
diplomatie du carnet de chèques de l’Europe qui se borne à payer pour
reconstruire les bâtiments palestiniens qui ont été bombardés hier et le
seront à nouveau demain, quand les États-Unis dépensent deux milliards
de dollars par an pour financer les bombes qui détruisent ces bâtiments.
Face à l’absence de plan de paix, seules des mesures imposées et
capables de changer la donne sont susceptibles de réveiller les
partenaires de leur torpeur. C’est au premier chef la responsabilité de
la France.
Le premier outil pour réveiller la société israélienne, ce
sont les sanctions. Il faut la placer devant ses responsabilités
historiques avant qu’il ne soit trop tard, tout particulièrement à
l’heure où il est question d’une opération terrestre de grande envergure
à Gaza. Cela passe par un vote par le Conseil de sécurité de l’ONU
d’une résolution condamnant l’action d’Israël, son non-respect des
résolutions antérieures et son non-respect du droit humanitaire et du
droit de la guerre. Cela signifie concrètement d’assumer des sanctions
économiques ciblées et graduées, notamment pour des activités
directement liées aux opérations à Gaza ou aux activités économiques
dans les colonies. Je ne crois guère aux sanctions face à des États
autoritaires qu’elles renforcent. Elles peuvent être utiles dans une
société démocratique qui doit être mise face aux réalités.
Le deuxième outil, c’est la justice internationale.
L’urgence aujourd’hui, c’est d’empêcher que des crimes de guerre soient
commis. Pour cela, il est temps de donner droit aux demandes
palestiniennes d’adhérer à la Cour pénale internationale, qui demeure
aujourd’hui le meilleur garant de la loi internationale. C’est une
manière de mettre les Territoires palestiniens sous protection
internationale. Le troisième outil à la disposition de la communauté
internationale, c’est l’interposition. À défaut de pouvoir négocier une
solution, il faut l’imposer par la mise sous mandat de l’ONU de Gaza, de
la Cisjordanie et de Jérusalem Est, avec une administration et une
force de paix internationales. Cette administration serait
soumise à de grands périls, du côté de tous les extrémistes, nous le
savons, mais la paix exige des sacrifices. Elle aurait vocation à
redresser l’économie et la société sur ces territoires par un plan
d’aide significatif et par la protection des civils. Elle aurait
également pour but de renouer le dialogue interpalestinien et de
garantir des élections libres sur l’ensemble de ces territoires. Forte
de ces résultats, elle appuierait des pourparlers de paix avec Israël en
en traçant les grandes lignes.
Nous n’avons pas le droit de nous résigner à la guerre perpétuelle.
Parce qu’elle continuera de contaminer toute la région. Parce que son
poison ne cessera de briser l’espoir même d’un ordre mondial. Une seule
injustice tolérée suffit à remettre en cause l’idée même de la justice.
Dominique de Villepin
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