Parti vivre dans le camp de réfugiés Sahraouis d’El Ayoun, en
Algérie, entre 2008 et 2010, le Français Jean-François Debargue a
coordonné sur place la création de jardins familiaux. Au-delà de
l’intérêt agricole (et nutritionnel) de cette action, Jean-François
Debargue s’est réellement immergé dans la vie des familles. De cette
expérience, il nous fait partager son regard d’une grande humanité,
fruit d’une écoute et d’une empathie qu’il a développées au contact de
cette population, et aussi d’une grande clairvoyance. Un long et fort
entretien.
Nouvellesdusahara :
Pour le compte du CCFD et de Caritas, vous avez séjourné
régulièrement dans les camps de réfugiés pendant trois ans (entre
décembre 2007 et décembre 2010), puis les trois années suivantes lors de
missions plus courtes, pour participer à un programme de création et de
suivi de jardins familiaux.
Quel est le but recherché à travers ces jardins ? Plus largement,
quel était votre parcours pour vous retrouver impliqué dans un tel
projet et dans une région du monde dont on ne parle jamais ?
Jean-François Debargue :
Berger, puis éleveur ovin et technicien bovin lait, j’ai quitté mon
exploitation normande du Pays d’Auge pour répondre à la proposition de
l’Archevêque d’Alger, Monseigneur Teissier, et du CCFD
de coordonner un projet agricole dans le camp sahraoui d’El Ayoun. A 51
ans, sans expérience humanitaire, je quittais la France pour
la première fois, à la rencontre d’une république exilée en plein
Sahara Algérien.
Je suis arrivé sur place le 29 décembre 2007 pour relancer le
projet de la ferme Théodore Monod, grand jardin régional de
polyculture-élevage dont la production animale et végétale devait être
donnée à la population du camp d’El Ayoun.
En arrivant, j’ai découvert que le projet, qui devait concerner 17
hectares et 300 ovins et caprins, était en fait de 8 hectares et que le
troupeau atteignait à peine une centaine de têtes.
Vue partielle sur le site de la ferme Théodore-Monod -camp de El Ayoun. Crédit : JF Debargue |
J’ai immédiatement
prévenu le CCFD par le seul moyen de communication possible à l’époque,
les sms !
Très vite, cette situation inattendue et la faible productivité des
productions animales et végétales m’ont fait réfléchir. Mais le projet
ayant du retard, l’objectif prioritaire était d’utiliser 75% du budget
dans les 6 premiers mois. Avec l’accord du CCFD, j’ai modifié les
investissements pour les adapter à la situation. Malgré plusieurs coupes
de fourrage et des économies substantielles réalisées grâce à de
longues périodes de transhumance dans les zones libérées (Note de l’auteur du blog
: les Sahraouis appellent « zones libérées » la partie du Sahara
occidental -environ 20 %- qui se situe à l’est du mur de sable,
c’est-à-dire qui n’est pas sous contrôle marocain. Les Sahraouis,
notamment ceux qui ont des animaux, fréquentent cette zone, malgré la
pollution des mines), et malgré l’amélioration de la productivité
animale, ce qui était distribué en chevreaux, agneaux, animaux de
réforme, ainsi que la production végétale (betteraves, carottes,
tomates), restaient désuets par rapport à la population et à ses
besoins. Quelques dizaines d’animaux et quelques quintaux de
végétaux pour une population du camp estimée à plus de 25 000 personnes !
J’ai beaucoup observé et réfléchi durant ces premiers mois ; j’étais
partagé entre les obligations de résultat d’un projet remanié et la
connaissance de la réalité que je vivais quotidiennement dans les camps.
Nouvellesdusahara :
Finalement, le projet a évolué assez vite…
Jean-François Debargue :
J’ai découvert de minuscules jardins familiaux, que nous avons
développé avec l’un des ingénieurs agronomes qui travaillaient avec
moi. Il faut rappeler que pendant les années de guerre (1975 à 1991),
les difficultés d’acheminement de l’assistance alimentaire et la
présence dans les camps de prisonniers marocains, plus culturellement
jardiniers que les Sahraouis, avaient suscité la mise en place de
jardins qui ont disparu dès que les conditions d’assistanat se sont
améliorées…
Dès l’année suivante, un jardin pédagogique familial à la ferme
Théodore-Monod, a été créé, avec, autour, des formations. Peu à peu,
s’est construite l’idée qu’il valait mieux faire produire par les
familles que donner simplement la production.
«Apprendre à pêcher plutôt que donner si peu de poissons», dit-on,
développer plutôt qu’assister en somme. Il s’agissait aussi de donner la
priorité au rendement végétal plutôt qu’animal. Partout dans le monde,
il faut neuf protéines végétales pour produire une protéine animale.
En réorientant de cette manière le projet, nous pensions pouvoir
utiliser d’autres ressorts, comme la fierté légitime de produire, le
moyen d’apporter un complément alimentaire aux déséquilibres
nutritionnels engendrés par les rations distribuées par le Programme
alimentaire mondial (PAM), sans parler de la possibilité d’assurer
ainsi plus facilement la pérennité du projet, et, enfin, de pouvoir
revendiquer, avec peu de moyens, une première étape d’autonomie…
Nouvellesdusahara :
D’une ferme de production, vous en êtes arrivé à imaginer avec les Sahraouis du camp un véritable jardin familial…
Jean-François Debargue :
C’est vrai. La troisième année vécue au camp d’El Ayoun a permis
d’atteindre les objectifs du projet remanié du CCFD. Elle m’a permis de
proposer à Caritas un projet de création et de suivi de jardins
familiaux, projet s’appuyant à la fois sur l’activité du jardin
pédagogique, les formations délivrées, la réflexion de l’équipe
sahraouie avec laquelle je travaillais, la concertation avec les
autorités du camp que j’avais appris à bien connaitre et le suivi de
quelques jardins existants.
L’année 2009 fut une année de préparation et l’année 2010
fut réellement l’année de la mise en place des premiers jardins. En
moins de trois ans, nous sommes passés d’une trentaine de jardins à près
de 300. (1)
Je ne peux m’empêcher de penser que si j’avais trouvé en arrivant une
situation conforme au projet annoncé et si je n’étais pas resté sur
place pendant de longs mois, cette réflexion et cette démarche
d’imaginer les jardins familiaux ne se serait sans doute pas faite.
Nouvellesdusahara :
Vous êtes arrivé dans les camps de réfugiés sans connaître ni le
peuple sahraoui, ses traditions, sa culture, ni l’histoire du conflit
qui explique leur présence dans cette région du sud-ouest algérien, ni,
bien entendu, leurs conditions de vie.
Quels ont été vos sentiments, vos remarques, à votre arrivée ?
Jean-François Debargue :
Je reste étonné des capacités d’adaptation que nous pouvons receler. La mienne n’est
rien au regard de celle dont ont su faire preuve les Sahraouis. J’ai
vécu pratiquement trois ans parmi eux (2008, 2009, 2010), dans les
familles, puis les trois années suivantes en m’y rendant 4 à 5 fois par
an pour des missions de deux à trois semaines. L’immersion dans ce monde
inconnu a été totale. Avec le recul, j’ai compris que la vie m’avait
préparé. Les évènements les plus importants de ma vie ont été des choix
vers des mondes que j’ignorais. J’ai toujours eu peu de besoins. Je suis
parti sans a priori et dans une disponibilité de temps et
d’esprit total. Un ensemble de conditions qui aident à l’immersion et
aux rencontres !
Distribution de l’aide humanitaire. Crédit : JF Debargue |
J’ai appris l’histoire du conflit à travers l’histoire des familles
chez qui j’ai été hébergé pendant ces années. L’histoire de chacun est à
la fois individuelle et pourtant collective. J’avais entendu sur ma
petite radio à piles pour la toute première fois parler du Polisario et
du peuple Sahraoui, pendant l’été 1976 alors que j’étais berger
transhumant dans les Monts du Forez. Je n’imaginais pas alors retrouver
tout un peuple au même endroit, plus de trente années après !
J’ai eu la chance de vivre près de 2 ans dans une famille de combattants très proche d’El Ouali
(le premier secrétaire général du Polisario) et de Bassiri (l’un des
premiers indépendantistes dans les années 70, sous l’occupation
espagnole au Sahara Occidental). J’ai recueilli auprès des Sahraouis les
blessures encore ouvertes de l’histoire, j’ai pleuré et ri avec eux,
j’ai partagé le sol dur du reg, la pitance du PAM, l’eau non potable,
les perfusions et les piqures d’un hôpital démuni, l’enfer de la chaleur
entre mai à octobre, le froid de novembre à janvier, les vents de sable
de février à avril, les écarts d’amplitudes thermiques journalières de
30°… bref j’ai vécu humblement au total un dixième de leur quotidien. Il
n’est pas de meilleur apprentissage.
J’ai toujours pensé qu’il faudrait mettre les négociateurs cherchant
des solutions au conflit dans les conditions de vie quotidienne des
Sahraouis. Nul doute qu’il faudrait moins de 40 ans pour trouver des
solutions !
J’ai eu la chance d’être accueilli comme un membre de la famille,
d’être invité lors de la venue de familles venant des territoires
occupés (Note de l’auteur du blog
: partie du Sahara occidental occupée par le Maroc), de rencontrer
Dafa Ali Bachir, Brahim Dahane, Ali SalemTamek, Mohamed Daddach, Naâma
Asfari, tous militants des DH et de l’indépendance et tant d’autres, de
pouvoir entrer sous n’importe quelle tente en étant le bienvenu.
Nouvellesdusahara :
Vous avez donc vécu au milieu des familles sahraouies. Qu’est-ce qui vous a marqué le plus dans ces expériences ?
Sans être allé là-bas, on se rend difficilement compte à quoi la
vie dans un camp de réfugiés, pour certains depuis l’origine de ces
camps, c’es-à-dire depuis 39 ans, peut bien ressembler…
Jean-François Debargue :
Je pourrais évoquer tant d’humanité vécue… Celle d’une vieille femme
serrant ma main pendant ses dernières heures de vie alors que je ne
pouvais rien faire d’autre que lui humidifier le visage avec une
serviette rafraichissante d’Air Algérie ; celle de cette jeune fille
berçant jours et nuits le corps douloureux et sanglotant de sa
petite sœur handicapée ; celle de cette jeune femme anémiée, comme tant
d’autres, et perdant son bébé après quelques heures ; ou encore
l’humanité de cette femme italienne présente depuis 12 ans auprès des
enfants handicapés des camps ; celle de cette amie me questionnant, les
larmes aux yeux : «Mais qu’avons-nous de moins que les espèces animales
ou végétales que vous protégez ? ».
Je pourrais aussi évoquer le partage du presque rien, du réconfort ou
du thé entre voisins… Je pourrais évoquer la dignité, partout présente,
l’hospitalité, l’amabilité de tous que j’ai parfois trouvé
préjudiciable et contre-productive, car masquant la réalité lors du
passage de délégations et d’officiels. La misère, la détresse, l’urgence
ne sautent pas aux yeux. La chronicité supplante tout. A ceux qui
ne sont que de passage, elle masque la réalité : l’anémie dont sont
atteintes 70% des femmes, le «retard de croissance harmonieux» des
jeunes qui donne un corps de 13 ans à un adolescent qui a plus de 16
ans, les vieillards usés bien avant l’âge.
L’oubli et la chronicité finissent par gommer l’inacceptable.
J’ai vu des femmes, au lever du jour,
balayer le désert devant leur tente,
comme Sisyphe roulant son rocher.
L’ennui est aussi comme ces vents de sable dont on ne sait quand ils vont enfin s’arrêter.
On n’imagine pas si on ne l’a pas vécu pendant plusieurs mois. Comme le
font les prisonniers dans leurs cellules, pour ne pas craquer, les
sahraouis rythment la journée autour du thé, de la prière, des
distributions alimentaires ou de bouteilles de gaz, de corvées de
nettoyage, de la lessive du vendredi. J’ai vu des femmes, au lever du
jour balayer le désert devant leur tente, comme Sisyphe roulant son
rocher.
« L’ennui… vu du camp d’El Ayoun », selon Jean-François Debargue |
L’adversité sous les formes de l’attente, de l’ennui, de l’oubli, de
la chronicité, réclame une vigilance constante, l’entretien d’une forme
de révolte et un devoir de mémoire. Le temps qui passe,
l’affaiblissement physique et moral des Sahraouis sont des réalités
qu’on ne perçoit qu’en les côtoyant sur une certaine durée.
Nouvellesdusahara :
Vous avez découvert progressivement le contexte de ces
camps. Aujourd’hui, vous avez une très bonne connaissance de la
situation, une connaissance qui n’est pas liée à une démarche de
militantisme politique mais réellement humaine.
Que répondez-vous quand on entend dire ou que l’on lit
régulièremment que ce sont des camps de la honte. Les sahraouis qui
vivent dans les camps sont-ils des « prisonniers » du Front polisario ?
Jean-François Debargue :
Ceux que le roi du Maroc appelle « ses fidèles sujets séquestrés »
ont fui sous les bombes de ses alliés (dont la France) et l’ont combattu
pendant 16 années. Les seuls sujets séquestrés de sa majesté étaient
les derniers prisonniers marocains libérés par le Polisario en 2005 et
si mal accueillis à leur retour au Maroc que certains sont revenus dans
les camps !
Si le terme de honte doit être endossé, c’est bien par la communauté
internationale et l’ONU. Ne pas être capable d’organiser un référendum
alors qu’on est mandaté chaque année depuis 23 ans pour le faire relève
au mieux de l’incompétence et au pire du parti pris. La
« realpolitik » se joue de l’application du Droit et préfère se
retrancher derrière le cynisme, le courage politique n’étant plus de
mise.
La gestion humanitaire remplace la solution politique. Le système
onusien est une garantie de gel de la situation, dont la devise est :
«Il n’est pas de problème qu’une absence de solution politique ne
finisse par résoudre !» La perfusion humanitaire s’apparente aujourd’hui
à un soin de confort palliatif. L’espoir de la dernière génération
finit par se dissoudre dans ce temps qui passe.
Beaucoup de Sahraouis pensent que la sortie de l’impasse se trouve aujourd’hui non plus dans les camps mais dans les territoires occupés
Je ne pense pas que les Sahraouis soient prisonniers du Polisario.
Ils sont dans une impasse dans laquelle on les maintient. Ceux qui sont
arrivés dans les camps et la première génération qui est née dans les
camps ont eu l’espoir que la lutte armée puis les négociations
permettraient d’aboutir à l’indépendance. Ceux qui sont nés de parents
eux-mêmes nés dans les camps voient de moins en moins d’issue collective
et cherchent des solutions individuelles (double nationalité, migration
…). Le travail d’éducation et de formation d’élites, la volonté
d’affermir l’unité autour du sentiment national, ne trouvent pas
d’applications en l’absence d’un territoire national. On entretient donc
la cause dans une quatrième décennie dénuée d’espoir…
Jean-François Debargue tenant dans ses bras Fatma. Crédit : JF Debargue |
Dans les camps, la liberté de parole cohabite chez les Sahraouis avec
une forme de coercition interne. Dans les territoires occupés, la
liberté de parole est bâillonnée par une coercition d’Etat. Les penseurs
Sahraouis emprisonnés ou régulièrement bafoués dans leurs Droits
Humains pensent que depuis l’intifada de 2005 (Note de l’auteur du blog
: début de la lutte pacifique au Sahara occidental sous occupation
marocaine) et les évènements de Gdeim Izik en 2010, la sortie de
l’impasse se trouve aujourd’hui non plus dans les camps mais dans les
territoires occupés.
Nouvellesdusahara :
Vous avez écrit plusieurs textes dont certains ont été édités
(1). Un de ces textes évoque la torpeur qui s’abat dans cette zone
désertique du sahara.
« Nous sommes des milliers dans ces cercles de silence spontanés
en plein désert. Et nous sommes pourtant si seuls, chacun avec sa bouche
sèche, sa salive déposée en pâte au palais ou sur l’émail des dents,
ses mouches venant au coin des yeux ou des lèvres comme en un puits à
sec. Si nombreux et si seuls au bord de cette torpeur, comme si dans un
instinct de survie, chacun devait laisser croire à la mort qui passe
qu’il l’est déjà et qu’il n’est pas besoin du coup de grâce. Si nombreux
et si seuls à répondre à cet appel au calme en nous-mêmes lancé par ce
souffle si chaud qu’on le croirait sorti d’un four. »
L’écriture a été le moyen pour vous de crier votre indignation et de se faire l’écho de la souffrance de ces réfugiés…
Jean-François Debargue :
Distribution d’animaux, dans le cadre d’un projet mené avec le CCFD. Crédit : JF Debargue |
J’ai tenu mon journal qui est devenu un livre (2), et j’ai écrit quelques articles. Une amie Sahraouie
me disait : «Ce que tu entends, tu l’oublies ; ce que tu lis, tu
l’oublies ; mais ce que tu vois, tu ne l’oublies jamais». L’oralité des
cultures nomades, les traces écrites de nos cultures sédentaires sont
des témoignages importants mais qui n’empêchent pas l’oubli. Vivre et
voir la réalité ne peut s’oublier mais nécessite une démarche de
rencontre.
Nouvellesdusahara :
Dans un autre texte, vous écrivez :
« Qui expliquera à ces enfants que leur situation n’est pas le
choix d’une décision familiale mais la résultante d’une démission
internationale ? Face à des intérêts économiques et géopolitiques, que
pèsent les générations nées dans les camps, frappées d’anémies
chroniques, de retards de croissance, de diabètes, de problèmes de
thyroïde… Quels arguments faudra-t-il trouver pour mener à bien des
missions souvent financées par des filiales humanitaires d’Organisations
ou d’Unions qui leur refusent par ailleurs la possibilité de choisir un
retour prôné par des décisions internationales ou de garantir leurs
droits élémentaires ? Qui convaincra qu’un mieux-vivre dans les camps
peut remplacer une terre promise ? Qui peut accepter que des
innocents payent les pénalités de ceux qui ne se donnent aucune
obligation de résultat depuis vingt ans ? »
Ces mots sont durs mais rien ne change… Comme vous l’évoquez à
plusieurs reprises, pensez-vous que face à l’abandon des idéaux
humanistes, l’ultime option sera le terrorisme ou la reprise du conflit
armé ?
Jean-François Debargue :
L’histoire du peuple Sahraoui a montré qu’ils ont su être, à un
contre dix, pendant seize ans des combattants redoutables. J’ai vu des
femmes âgées capables de démonter et remonter différents types d’armes,
appeler les ministres et le Président à les reprendre. L’histoire a
aussi montré que depuis 23 ans de négociations, aucun attentat
terroriste n’a été perpétré. Combattants, puis négociateurs
infatigables, les Sahraouis réalisent qu’ils avaient été plus près de la
victoire lors du conflit armé.
Il nous faut souhaiter la violence d’un ultime engagement pacifique
afin d’éviter l’engagement d’une violence destructrice. Le terrorisme
ferait immédiatement le jeu du Maroc qui fait tout pour
accréditer l’équation « Polisario= terrorisme ».
Quant à des négociations informelles ? Elles ont prouvé leur totale
inutilité et ne sont qu’un jeu de dupes. L’immuabilité des protagonistes
est un frein qui peut être «dégrippé » par l’application du Droit
International dans le cadre de négociations formelles, avec calendrier
et obligation de résultats. Cette carte n’a jamais été véritablement
jouée.
Nouvellesdusahara :
En octobre 2013, dans un autre texte, vous citez une phrase que
vous avez entendue de la bouche d’un haut responsable du Front
polisario, conseiller du Président Sahraoui, face à des délégations
internationales : «le temps qui passe profite aux Sahraouis». Vous
écrivez : « deux fois en cinq ans d’intervale, j’ai entendu cette phrase
(…) . Deux fois de trop. »
Dans le documentaire « Enfants des nuages », l’ancien ministre
des affaires étrangères, Roland Dumas, dit, concernant ce même conflit :
« la non-solution est la solution », en précisant que sa remarque est
cynique mais que c’est ainsi que les choses se présentent.
Qu’est-ce que ce parallèle vous inspire ?
Etes-vous d’accord avec l’idée avancée par l’universitaire Khadija Finan, dans une interview publiée sur ce même blog, à savoir : « Maroc
et Front Polisario continuent à penser le conflit comme dans les années
1970 ou 1980. Cela prouve bien que l’essentiel pour eux n’est pas
de trouver une solution qui puisse satisfaire les Sahraouis, mais
d’avoir raison contre l’adversaire et avec des positions qui s’excluent
mutuellement. »
Jean-François Debargue :
Chaussé de ses fameuses bottines Berluti,
Roland Dumas est un adepte de la diplomatie de la honte et de la
démission, celle dont Edgar Faure disait : « La politique ne consiste
pas à résoudre les problèmes mais à vivre avec des problèmes
insolubles ». Le cynisme n’excuse pas la lâcheté et le seul rire pendant
la projection du film « Enfants des nuages », à laquelle j’ai assistée,
lui fut dédié.
«Le temps qui passe profite aux Sahraouis», phrase répétée à
l’envi par le conseiller en stratégie politique du Président Sahraoui
devant les différentes délégations est une injure faite aux Sahraouis
des camps et des territoires occupés, en plus d’être une erreur
politique accréditant l’excuse de l’oubli.
A qui profite le crime, à qui profite le temps ? Le temps profite au
colonisateur, le temps profite aux multinationales, le temps profite aux
pays complices, le temps profite à l’Onu et à ses agences
«humanitaires», le temps profite à bon nombre d’ONGs, le temps profite à
l’absence de solution comme résolution possible de ce conflit Sahraoui,
oublié avec obstination depuis 39 ans.
«La non-solution est la solution» et «le temps qui passe profite aux Sahraouis» sont
des constats d’échec avoués. Il est facile de prononcer ces phrases
devant une caméra ou un auditoire acquis à la cause. Oseraient-ils les
dire en regardant droit dans les yeux les parents de ces enfants oubliés
dans ce désert ou des prisonniers de Gdeim Izik purgeant 30 ans de
peine ?
Je ne partage pourtant pas l’analyse de Mme Khadidja Finan. En
signant les accords de cessez-le-feu en 1991, les Sahraouis étaient
persuadés qu’une solution négociée rapide était envisageable. Les
obstructions systématiques du Maroc et de ses alliés, dont la France,
ainsi que l’inertie de l’ONU ont figé la situation.
Le Polisario n’a pas su trouver d’alternative et est entré dans ce
jeu de rôle, justifiant ce que j’appellerai un constat d’échec
cyniquement optimiste, une forme de déni d’échec.
(1)Depuis 2011, le Secours Populaire Français participe au financement de ce programme de développement des jardins familiaux.
(2)« Journal d’un camp Sahraoui, le cri des pierres », aux éditions Karthala
http://www.nouvellesdusahara.fr/loubli-finit-par-gommer-linacceptable/
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