Sara Hussein journaliste de l’AFP au Moyen-Orient a récemment terminé une mission de 13 jours à Gaza, où plus de 1.500 Palestiniens ont été tués, dont plus de 240 enfants, selon l’Unicef.
ATTENTION: ce post contient des photos montrant des scènes à l'intérieur d'une morgue
Un
proche s'effondre après avoir reconnu le corps de l'un des trois enfants
palestiniens morts des suites d'une explosion sur un terrain de jeu en
bord de mer, près du camp de réfugiés de Shati, le 28 juillet 2014.
(AFP/Marco Longari)
Par Sara HUSSEIN
GAZA, 2 aout 2014 ---Cette guerre à Gaza n’est pas
la première guerre que j’ai couverte. Ce n’est d’ailleurs pas la
première guerre que j’ai couverte à Gaza. Je suis allée en Syrie, en
Libye. J’avais déjà vu ces horreurs qui accompagnent tous les conflits
armés. J’avais déjà vu des enfants morts, mais jamais comme pendant
cette guerre à Gaza. Jamais autant, jamais aussi souvent.
Tout le monde aime ses enfants, à Gaza comme ailleurs. Mais ici,
l’affection publique est toute particulière, c’est une fierté que
n’altère en aucune manière les idées de sphère privée ou de réserve.
Tout le monde veut vous montrer les photos de ses enfants. Les hommes
dégainent leur portable encore plus vite que les femmes. J’ai vu des
photos de la plupart des enfants du personnel de mon hôtel. Mon
réceptionniste préféré, Ayman, a deux fils, dont l’une a la peau claire
et les yeux pâles. Mahmoud, le gardien barbu de l’hôtel, toujours
souriant, a trois fils, dont le plus jeune, me dit-il avec une fierté
mêlée d’un brin d’embarras, est « aussi joli qu’une fille ».
L'an dernier: des écoliers palestiniens jouent sur une plage de Gaza, à Deir al-Balah, le 24 octobre 2013. (AFP/Mohammed Abed)
On voit des enfants partout à Gaza. Ils se pressent autour de vous
dans les camps de réfugiés et les écoles gérées par l’Agence onusienne
pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), où plus de 240.000 personnes ont
trouvé refuge dans une très grande précarité après avoir fui leur foyer
depuis le début des hostilités, le 8 juillet, entre le Hamas
palestinien et Israël.
Certains sont téméraires et curieux, tendant une main pour serrer la
vôtre, posant mille questions personnelles, sur votre famille, votre
pays. Dans une école de la ville de Gaza, deux sœurs ont fouillé mon sac
à la recherche de quelque chose pour jouer avant de battre des mains et
de chanter.
Des enfants palestiniens déplacés posent le temps d'une photo à Gaza City, le 26 juillet 2014. (AFP/Mohammed Abed)
Mais d’autres sont différents et vous regardent en silence, un
silence qui laisse à penser qu’il ne s’agit pas que d’un trait de
caractère. Dans la même école à Gaza, une petite fille rousse aux grands
yeux m’a tendu la main mais au lieu de se contenter de me saluer, elle
ne m’a pas lâchée. Elle m’a dit qu’elle s’appelait Yasmine, mais rien
d’autre. Elle m’a suivie dans l’école pendant que je menais mes
interviews, puis elle est venue s’asseoir à côté de moi, alors que je
patientais à l’ombre avant le début d’une conférence de presse. Elle ne
voulait pas parler. Elle voulait juste rester, sagement, à côté de moi.
Des
proches portent les corps de trois enfants tués par une frappe
aérienne, lors de leurs funérailles à Beit Lahia, le 19 juillet 2014.
(AFP/Thomas Coex)
A la morgue de l’hôpital al-Chifa de Gaza, les employés ont vu des
dizaines d’enfants morts. Il y a du stoïcisme dans leur façon de laver
et de toiletter les trois cadavres placés devant eux: Afnane, Jihad et
Wissam Chouheiber. Ils ont déjà vu des petits corps brisés, et ils en
verront d’autres, probablement plus tard dans la journée. Leur
comportement professionnel, clinique, frappe d’autant plus qu’à côté,
les proches ne cachent rien de leur immense douleur.
Ces trois enfants, deux frères et un cousin, jouaient sur un toit de
Gaza quand un missile a frappé le bâtiment. Ils ont été transportés à
l’hôpital mais ont succombé peu après à leurs blessures. Tous trois
étaient criblés d’éclats d’obus, brûlants, qui leur avaient arraché des
morceaux de peau de la taille d’une pièce d’un sou. L’un des enfants
semblait avoir eu les dents fracassées. Wissam, le cadet, portait un
slip aux couleurs bleu et jaune d’un Superhéros.
Les
proches de quatre garçons palestiniens issus de la même famille, en
plein deuil à la morgue de l'hôpital al-Shifa de Gaza City, le 16
juillet 2014. (AFP/Mahmud Hams)
Difficile de garder sa contenance à la morgue face au personnel
s’affairant autour des trois enfants, et d’un quatrième tout juste
transféré après être décédé dans un autre hôpital. Je m’étais glissée
dans la pièce avant que la mêlée des journalistes n’entre, et je suis
restée dans un coin pendant que l’équipe travaillait et que les membres
des trois familles passaient de la colère à la douleur infinie. J’ai
continué à prendre des notes et à observer, en pleurant. Et quand j’ai
décrit la scène, plus tard, dans une dépêche, j’avais les larmes aux
yeux.
Si vous n'arrivez pas à visualiser correctement cette vidéo, cliquez ici.
Les enfants Chouheiber n’ont pas été les seuls mineurs tués alors qu’ils jouaient à Gaza. Le 16 juillet, j’envoyais une dépêche de l’hôtel, avec mes collègues, quand une déflagration nous a fait courir dehors. En arrivant dans le patio, j’ai vu un groupe d’enfants paniqués qui remontaient la plage en criant dans notre direction. A ce moment, un autre obus les a visés. Plusieurs d’entre eux ont réussi à se réfugier à l’hôtel, où le personnel et les journalistes ont essayé de réconforter les gamins terrifiés et d’apporter les premiers soins aux blessés. Il en y avait au moins trois. Avec d’autres journalistes, j’ai essayé d’aider un garçon qui avait un morceau d’obus dans la poitrine. Les ambulances sont arrivées et ont évacué les victimes. Elles sont aussi allées sur la plage, où elles ont trouvé quatre enfants morts. Une fois la panique dissipée, le sol du restaurant dans le patio de l’hôtel était maculé de sang et parsemé de bouts de gaze.
Les enfants Chouheiber n’ont pas été les seuls mineurs tués alors qu’ils jouaient à Gaza. Le 16 juillet, j’envoyais une dépêche de l’hôtel, avec mes collègues, quand une déflagration nous a fait courir dehors. En arrivant dans le patio, j’ai vu un groupe d’enfants paniqués qui remontaient la plage en criant dans notre direction. A ce moment, un autre obus les a visés. Plusieurs d’entre eux ont réussi à se réfugier à l’hôtel, où le personnel et les journalistes ont essayé de réconforter les gamins terrifiés et d’apporter les premiers soins aux blessés. Il en y avait au moins trois. Avec d’autres journalistes, j’ai essayé d’aider un garçon qui avait un morceau d’obus dans la poitrine. Les ambulances sont arrivées et ont évacué les victimes. Elles sont aussi allées sur la plage, où elles ont trouvé quatre enfants morts. Une fois la panique dissipée, le sol du restaurant dans le patio de l’hôtel était maculé de sang et parsemé de bouts de gaze.
Il est impossible d’écrire une chute de récit convenable pour ce type
d’expérience, de témoignage. Il n’y a pas de « happy end ». Mais pour
moi, il y a aussi eu, quand même, un moment contrastant avec ces images
atroces, chez l’un de nos formidables journalistes en poste à Gaza, Adel
Zaanoun. Nous nous sommes assis pour le dîner quotidien de l’ « iftar
», la rupture du jeûne pendant le mois de ramadan, et il a insisté pour
que je prenne dans mes bras Adam et Alma, ses jumeaux de deux mois.
Ils étaient minuscules, tout roses, poussant des petits cris de
chérubins et agitant leurs petits poings. Vivants, si vivants. Et face à
eux, chacun dans la pièce ne pouvait que sourire.
Avant
les bombardements: des enfants palestiniens pleins de joie, au deuxième
jour de l'Aïd al-Adha ou Fête du sacrifice, à Gaza City le 16 octobre
2013. (AFP/Mohammed Abed)
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