Mieux vaut tard que jamais ! Un homme
politique français d'envergure, Dominique de Villepin, ancien Ministre
des Affaires Étrangères et Premier Ministre sous la présidence de
Jacques Chirac, vient donc de « lever la voix » dans un grand quotidien
national, « Le Figaro » (http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2014/07/31/31002-20140731ARTFIG00381-dominique-de-villepin-lever-la-voix-face-au-massacre-perpetre-a-gaza.php), afin d'y dénoncer publiquement « le massacre perpétré à Gaza » par Israël.
Ainsi s'est-il finalement rangé, lui aussi, aux côtés de ceux (dont ma
modeste personne) qui se sont insurgés ouvertement depuis le début, le 8
juillet dernier, de cette offensive menée, avec une rare violence, par
l'armée israélienne dans la bande martyre de Gaza.
Un massacre sans nom, sinon - je le déplore amèrement en tant
qu'intellectuel juif - celui de « crime contre l'humanité » : 1.800
hommes et femmes palestiniens, dont des centaines d'enfants, y ont déjà
été tués, et près de 10.000 grièvement blessés, sous les bombes. Un
déluge de fer et feu, où mêmes les infrastructures civiles – écoles,
hôpitaux, magasins, marchés, parcs publics,
centrales électriques, pompes à eau, entrepôts de nourriture, champs
agricoles, etc – ne sont guère épargnées. Ce peuple, le peuple
palestinien, est aujourd'hui à genoux, terrorisé jour et nuit, épuisé,
comme vidé de son sang ainsi que le hurlait une mère agenouillée devant
le cadavre de son bambin.
Ce crime organisé, méticuleusement préparé, le monde entier y assiste quotidiennement avec effroi,
médusé, révolté et scandalisé à la fois, à travers les images que lui
diffusent sans arrêt, sur ses écrans de télévision, les divers journaux
télévisés. Notre Occident, impuissant à calmer cette folie meurtrière,
se demande chaque jour, incrédule et consterné, comment Israël, cette
nation qui vit le jour au lendemain (1948) de ce crime unique dans les
annales de l'(in)humanité que fut la Shoah, peut aujourd'hui se
comporter à son tour, à l'encontre des Palestiniens, comme un assassin.
L'inhumaine souffrance n'a pas de nationalité, de frontière, de
culture ou de religion ; elle est universelle, comme la honte qui nous
envahit à entendre ces cris lacérer, parallèlement à l'éclair des obus,
le ciel plombé, tel un immense linceul, de Gaza.
QUAND LA BARBARIE RÉPOND A LA BARBARIE
Certes, pourront toujours répliquer les plus farouches partisans d'Israël (dont je suis) :
ce pays ne fait là que se défendre contre les terroristes du Hamas,
lequel, pour lancer ses immondes roquettes sur Tel Aviv, Jérusalem ou
Haïfa, se cache derrière sa propre population, la prenant lâchement en
otage, tel un vaste bouclier humain. J'en conviens, à cette différence
près : détruire les tunnels bellicistes du Hamas, oui ; éradiquer de
Gaza ces fanatiques qui mettent la sécurité d'Israël en péril, oui ;
mais non, pour autant, tuer des centaines d'innocents, qui n'ont rien
demandé, sinon, pour la plupart d'entre eux, à vivre en paix avec leur
voisin.
D'aucuns, tels Pedro Almodovar, Penelope Cruz et Javier Bardem,
ont même osé là conférer un nom, non sans raison, à ce meurtre
collectif : un génocide !
C'est donc la méthode employée par d'Israël, sa stratégie militaire et sa tactique guerrière, que je mets ici, par leur disproportion,
sévèrement en cause : ce pays à une armée (Tsahal) assez sophistiquée
et des services secrets (le Mossad) suffisamment performants, pour
parvenir à ses fins, sans qu'il doive, pour cela, se livrer à pareille
boucherie !
Rien ne peut justifier un tel carnage : c'est là, de la part
d'Israël, qui se devrait d'être un exemple pour l'humanité au vu de son
douloureux passé, intolérable sur le plan moral et criminel au niveau
humain.
Répondre à la barbarie par la barbarie n'est guère, en outre,
une solution ; cet engrenage ne fait qu'attiser la haine et exacerber ce
conflit
L'HONNEUR PERDU D'ISRAËL
Je le clame donc, porté ici par ma seule conscience d'homme
libre, haut et fort : Israël n'est pas digne, en cette effroyable
circonstance, de son Histoire. Pis : il la trahit, au gré de ses seuls
intérêts géostratégiques, et la déshonore ! La politique menée
aujourd'hui par le gouvernement israélien s'avère aussi désastreuse, par
son radicalisme idéologique et son intransigeance politique, que celle
des extrémistes palestiniens et autres djihadistes de tous poils : une
impasse ne conduisant qu'au pire des scénarios catastrophes.
Ainsi Dominique de Villepin a-t-il parfaitement raison lorsqu'il affirme, dans sa toute récente tribune du « Figaro »,
que l'on ne peut punir de la sorte tout un peuple (les Palestiniens) à
cause des forfaitures de ses responsables politiques (le Hamas). La
culpabilité collective est, en effet, une notion issue de l'idéologie
fasciste, ainsi que l'a très bien démontré Zeev Sternhell, notamment,
dans un livre resté célèbre : « Naissance de l'idéologie fasciste » (Paris, Fayard, 1989, en collaboration avec Mario Sznajder et Maria Asheri).
Mais Dominique de Villepin va plus loin, dans cette même
tribune. Il y propose aussi, parallèlement à cette courageuse
dénonciation, un certain nombre de solutions, toutes frappées au coin du
bon sens politico-diplomatique le plus élémentaire, afin de mettre
enfin un terme à ce trop long et sanguinaire conflit
israélo-palestinien.
POUR UNE FORCE D'INTERPOSITION DE L'ONU
Le premier pas, essentiel, vers un apaisement de cet
interminable conflit est la mise en place, relativement facile par
ailleurs, d'une force d'interposition de l'ONU à Gaza. Quant à la
Cisjordanie et Jérusalem Est, territoires occupés depuis 1967 et la
« guerre des six jours », Villepin y préconise, à juste titre toujours,
une administration, sous mandat international, de cette même ONU. Bref :
Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem Est sous protection des fameux
« casques bleus » comme naguère, à l'époque de la guerre en
ex-Yougoslavie, entre les années 1994-1995 plus précisément, les
enclaves musulmanes (Srebrenica, Gorazde, Zepa, Bihac) en Bosnie, alors
mise à feu et à sang là aussi, jusqu'à ce que les fameux « accords de
Dayton » y imposèrent la paix, par les Serbes.
UNE HAIE POUR LA HAYE
Le deuxième pas, vers cette paix tant désirée par les hommes et
les femmes de bonne volonté à travers le monde civilisé, est, ainsi que
Villepin l'a encore indiqué dans cet épineux dossier, l'établissement
d'une justice internationale : cette prétendue « haie de protection »,
comme l'actuelle offensive militaire d'Israël contre Gaza se voit
cyniquement baptisée par ses responsables politiques, aurait déjà
conduit ces derniers, s'ils avaient été à la tête d'un autre pays,
devant le tribunal pénal international (TPI) : une haie, sans vouloir
faire d'incongrus jeux de mots, pour la Haye !
Imagine-t-on, par ailleurs, l'inverse : des centaines de morts
et des milliers de blessés juifs, en trois semaines à peine, sous le feu
arabe ? On aurait déjà hurlé, depuis longtemps, à un nouvel
holocauste !
Là où, en revanche, je serai beaucoup plus sceptique, quant aux
remèdes que prône Dominique de Villepin en sa tribune, c'est dans
l'appel à des sanctions économiques, sinon à un véritable boycott, à
l'encontre d'Israël. Je suis, pour ma part, résolument contre ! Car s'il
est exact que l'on ne peut décemment châtier tout un peuple pour les
seules fautes, fussent-elles gravissimes, de ses dirigeants politiques
(l'actuelle droite israélienne, en l'occurrence), ce principe, s'il est
authentiquement universel, doit forcément valoir, également, pour les
Juifs : asphyxier une population entière, quelle qu'elle soit, sous la
contrainte économico-financière s'avère un acte inacceptable
humainement, même si, en l'absence de bombes et de sang, de cris et de
larmes, d'enfants déchiquetés et de mères pleureuses, il n'est guère
spectaculaire médiatiquement !
CES INDIGNES PRIX NOBEL DE LA PAIX
Mais ce qui, en cette dramatique histoire, m'interpelle le plus, ainsi que je l'ai écrit récemment en ma « lettre ouverte d'un intellectuel juif à ses pairs » (http://blogs.mediapart.fr/blog/daniel-salvatore-schiffer/220714/lettre-ouverte-dun-intellectuel-juif-ses-pairs-alain-finkielkraut-andre-glucksmann-be),
c'est l'assourdissant silence dont font preuve, en ces jours
mortifères, la plupart des intellectuels juifs, eux qui sont pourtant
toujours prompts à s'insurger contre le crime partout dans le monde,
face à cette abominable tuerie. Un incompréhensible et
irrationnel « deux poids, deux mesures » ! Une suspecte et très mal
venue indignation sélective, à géométrie variable !
Ainsi, qu'attend donc, par exemple, un Élie Wiesel, à qui
l'académie d'Oslo décerna le prix Nobel de la paix en 1986, pour
condamner, au nom de cette même paix, sa patrie d'élection qu'est Israël
lorsqu'elle massacre sans trêve ni répit, humilie et terrorise un peuple tout entier, comme elle le fait aujourd'hui ?
Non : ce prix Nobel de la paix, belliciste patenté quand il
s'agit de la cause d'Israël, à choisi de se taire face à l'horreur, dont
il se révèle ainsi, fût-ce malgré lui, l'indirect complice !
Il y en a par ailleurs un autre au sein de ces prix Nobel de la
paix, peut-être plus symbolique encore de par sa fonction même, à ne
pas broncher, tout aussi veule, devant cette avalanche d'atrocités,
sinon - le comble ! - pour la justifier, encore et toujours, du haut
d'une bonne conscience plus qu'usurpée : Shimon Peres, qui fut, jusqu'à
il y a quelques jours à peine, président d'Israël !
Et puis, last but not least,
il reste, parmi ces trop silencieux prix Nobel de la paix, censés
pourtant incarnés d'incontestables et prestigieuses autorités morales,
l'inénarrable Barack Obama, président du pays le plus puissant du monde
et commandant en chef de son armée, mais qui, allié inconditionnel
d'Israël, préfère gesticuler lamentablement,
prétextant la crise ukrainienne, en direction de son homologue russe,
Vladimir Poutine, afin de l'affaiblir politiquement, plutôt que de
dénoncer ouvertement Benyamin Netanyahou pour les crimes dont il se rend
actuellement responsable à Gaza. Pis : cette Amérique qu'il dirige
vient d'autoriser une nouvelle livraison d'armes et de munitions à
Israël: histoire de tuer un peu plus, de manière indistincte !
PITIE POUR LES INNOCENTS !
Ainsi donc, Messieurs les Nobel, j'ose vous le dire, moi qui ne
suis qu'un humble philosophe épris des seuls mais inaliénables
principes universels de l'humanisme : avez-vous le cœur à ce point
endurci, et la raison à ce point offusquée que vous en demeuriez
invariablement muets ? êtes-vous à ce point sourds et aveugles pour ne
point entendre ni ne voir le martyre des enfants, des pères et des mères
de Palestine ? Ressaisissez-vous, de grâce et par pitié pour ces
milliers d'innocents !
Il ne faudrait pas que vous finissiez par ressembler, par votre
passivité, sinon votre indifférence, au tristement célèbre, d'antique
mémoire, Ponce Pilate, qui, plutôt que de prendre ses responsabilités en
tant que dirigeant politique, préférait s'en laver les mains, fût-ce,
comme aujourd'hui à Gaza, dans une mare de sang !
POUR LA COEXISTENCE DES ETATS D'ISRAËL ET DE PALESTINE
Davantage : un peu de courage moral et d'honnêteté
intellectuelle, de sagesse et de lucidité ; exprimez-vous donc plus
fermement, nantis de la légitimité politique qui est la vôtre, pour la
coexistence, pacifique et démocratique, des États israélien et
palestinien, le tout assorti d'une reconnaissance mutuelle
de la part de leurs institutions respectives ! Ce n'est qu'à ce juste
prix, et dotée de semblable préalable, que la paix reviendra en cette
turbulente région du monde qu'est le Proche et Moyen-Orient.
Cet ultime et nouveau massacre des innocents à Gaza hantera
encore longtemps la conscience morale de l'Occident, si, du moins,
celui-ci peut encore se targuer d'avoir une quelconque conscience, face à
ce véritable crime contre l'humanité, tant son inertie s'avère, en
cette effroyable circonstance, aussi inconcevable, sinon coupable,
qu'effarante !
DANIEL SALVATORE SCHIFFER*
*Philosophe, auteur de « La Philosophie d'Emmanuel Levinas » (PUF), « Critique de la déraison pure » (François Bourin),signataire du JCall (Appel des Juifs à la Raison).
http://blogs.mediapart.fr/blog/daniel-salvatore-schiffer/050814/gaza-le-massacre-des-innocents-et-lhonneur-perdu-disrael
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